La 'vie abominable' d'un détenu de la prison centrale de Yaoundé

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Wed, 1 Feb 2017 Source: observers.france24.co

Surpopulation, maltraitance, corruption, hygiène quasi-inexistante. C’est avec ces mots que les détenus de la prison centrale de Yaoundé, au Cameroun, décrivent leur quotidien. Un Observateur, aidé de quelques codétenus, a filmé sa cellule bondée, les sanitaires et la cour centrale pour dénoncer des conditions de vie "abominables".

Les quartiers 8 et 9 de la prison centrale de Yaoundé, surnommés "Kosovo", ont été filmés du 21 au 30 janvier 2017 par plusieurs détenus à bout de nerfs. Depuis leur cellule, ils ont envoyé des vidéos à France 24, en demandant que leur anonymat soit préservé. Pour des raisons de sécurité, un pseudonyme a été donné à notre Observateur, détenu depuis près de 10 ans.

Les images ci-dessous montrent les pièces où vivent essentiellement des personnes condamnées pour vol aggravé et très largement issues des classes populaires. La plupart d’entre eux, surnommés "dorment-à-terre", n’ont pas de lit faute de pouvoir payer pour une bonne place.

La nourriture est infecte, on a du maïs avec quelques haricots ou du riz en sauce. C’est comme ça toute l’année depuis que je suis arrivé. Dans une cellule de 60 à 70 personnes on reçoit chaque matin un sceau de 10 litres, ça ne fait pas plus d’un demi-bol de nourriture par personne.

Pour les 1 300 détenus du quartier 8, il y a trois sanitaires et une seule salle de douche. L’hygiène est quasi inexistante, d’autant que les coupures d’eau sont très fréquentes et que les gens ne sont pas propres, ils font leurs besoins partout.



"C'est comme un camp de concentration"

Nous souffrons énormément, les conditions sont abominables et nos droits les plus élémentaires sont bafoués. La vie au 'Kosovo' est insupportable, on l’appelle le camp de concentration, comme ceux des nazis.

Dans cette partie de la prison, il y a 2 800 personnes : les voleurs, les braqueurs, les violeurs, mais aussi ceux qui n’ont rien fait de grave ou ceux qui n’ont rien fait du tout, tout le monde est mélangé.

La nourriture est infecte, on a du maïs avec quelques haricots ou du riz en sauce. C’est comme ça toute l’année depuis que je suis arrivé. Dans une cellule de 60 à 70 personnes on reçoit chaque matin un sceau de 10 litres, ça ne fait pas plus d’un demi-bol de nourriture par personne.

Pour les 1 300 détenus du quartier 8, il y a trois sanitaires et une seule salle de douche. L’hygiène est quasi inexistante, d’autant que les coupures d’eau sont très fréquentes et que les gens ne sont pas propres, ils font leurs besoins partout.



"Il faut payer pour aller prendre l’air"

Dans les cellules, certains brûlent du bois et beaucoup fument des cigarettes ou du cannabis. L’air est irrespirable, on suffoque. De temps en temps, je verse 100 francs CFA [environ 15 centimes d’euros] pour aller dans la grande cour. Parce qu’il faut payer pour aller prendre l’air !

Parfois je reçois de l’argent de l’extérieur. Mais, après toutes ces années, mes proches ne sont plus vraiment disponibles pour m’aider.

Au Cameroun, quand on n’a pas d’argent, les portes se ferment et on ne fait que survivre. Ici, les gens extrêmement pauvres n’ont pas accès au marché noir et doivent donc se contenter du demi-bol de maïs pour tenir toute la journée.

Des pots-de-vin "à la tête du client"



Des détenus ont été punis pour vol ou détention d’objet illicite et doivent alors garder les pieds enchaînés pendant deux semaines. Mais certains sont incapable de payer les pots-de-vin nécessaires et sont enchainés depuis quatre ou cinq ans. Le prix de leur libération dépend de leur origine sociale.

Téléphones, alcool, drogue : "On peut pratiquement tout acheter"

Des prisonniers sont enrôlés officieusement par l’administration en tant qu’"agents du renseignement". Ils enquêtent sur les détenus et sont capables de dire qu’untel est capable de payer telle somme d’argent. C’est un peu à la tête du client.

On peut pratiquement tout acheter auprès des gardiens. Pour alerter France 24 sur notre situation nous nous sommes procuré un téléphone portable. Un gardien complice a acheté l’appareil à l’extérieur pour 65 000 francs CFA [100 euros] et nous avons déboursé 15 000 francs CFA [22 euros] supplémentaires pour la livraison.



Il est également possible d’acheter du cannabis. Le petit pochon que vous voyez sur la vidéo coûte 650 francs CFA [un euro]. Le sachet de whisky montré sur une table coûte le même prix alors qu’il est vendu six fois moins cher à l’extérieur. Ici, une cigarette coûte 150 francs CFA [20 centimes d’euros] contre 25 francs CFA [4 centimes] hors de la prison.

"Certains vivent dans des palais dorés"

Certains vivent dans des palais dorés ici. Ce sont des VIP, des anciens ministres, députés et hauts fonctionnaires souvent condamnés pour détournement de fonds publics.

La bibliothèque de la prison est réservée à ces nantis et fait désormais office de "bureau des anciens ministres". C’est un endroit conçu pour les riches.

D’autres prisonniers sont à leur service, on les appelle les "majordomes". Ils vont leur chercher de l’eau quand il y a une coupure, s’occupent de leur chambre, font leur lit, la cuisine ou sont gardes du corps. Ils reçoivent des contreparties et bénéficient d’une sorte de réseau en sortant.

Les propos de notre Observateur sont corroborés par une étude de géographie sociale menée par Marie Morelle, maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, publiée dans les Annales de géographie en 2013.

La prison centrale de Yaoundé a été construite en 1968 pour 1 000 détenus. Aujourd’hui, elle accueillerait environ 5 000 personnes, selon notre Observateur. Les derniers chiffres officiels donnés par le ministre de la Justice en 2015 dénombraient 4 234 prisonniers.

Contactés à de multiples reprises par la rédaction des Observateurs France 24, les responsables de la prison, la direction nationale de l’autorité pénitentiaire et le ministère de la Justice n’ont pas donné suite à nos sollicitations. Nous publierons leurs explications sur les conditions de vie des prisonniers si elles nous parviennent.

Source: observers.france24.co