Il est 5 h 24 et la nuit encore épaisse à Bangangté, dans l’ouest du Cameroun. Devant l’agence de voyage, les conducteurs de motos-taxis, reconnaissables à leurs chasubles jaunes, guettent les clients. Parmi eux, Clément, emmitouflé dans un blouson, interpelle les passagers qui descendent du bus six heures après avoir quitté Douala. « Madame, monsieur, bienvenue à Bangangté ! Vous êtes dans la plus belle ville du Cameroun, tout est propre ici », s’amuse-t-il. Les voyageurs, transis de froid, se bousculent pour quitter la gare, éclairée seulement par les phares du bus.
Lorsque le jour se lève enfin, armés de pelles et de râteaux, les agents d’Hygiène et salubrité du Cameroun (Hysacam), la société chargée du ramassage des ordures dans le pays, collectent des emballages plastiques, des feuilles et des branches d’arbres dans l’artère principale de cette ville de près de 100 000 habitants. Clément prévient : « Ne jette pas les ordures au sol, sinon tu payeras jusqu’à 25 000 francs CFA [38 euros] d’amende ! »
Campagnes de sensibilisation
A la mairie de Bangangté, Honoré Tchaewo, responsable hygiène et assainissement, raconte qu’en 2007, après l’élection de la maire actuelle, Célestine Ketcha Courtès, du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), son équipe se rend compte que la ville est sale. Les ordures sont versées dans les rues, la société Hysacam n’y a pas de bureau. La mairie sollicite alors l’entreprise, lance des campagnes de sensibilisation dans les marchés, les écoles, les églises et les rues. Depuis, Bangangté a été plusieurs fois désignée « ville propre » et a remporté le prix de l’excellence des Nations unies pour le service public.
« Depuis des années, nous sommes constamment élus ville la plus propre du Cameroun. Tout le monde travaille pour l’embellir. Les amendes sont là pour rappeler l’importance de la propreté », explique Virginie Tamen Fotso. Troisième adjointe au maire, cette femme imposante et élégante reçoit dans son bureau surchargé de dossiers. Elle est chargée de l’hygiène, de la salubrité et de la voirie municipale. Le jeudi est justement jour de propreté générale. Les marchés et les boutiques n’ouvriront pas avant 10 heures. Les habitants nettoient, désherbent et curent les rigoles. Sur le terrain, les chefs des huit quartiers et les agents municipaux y veillent.
« Nous sommes la première ville verte du pays. Nous ne pouvons pas jouer avec notre image », poursuit Virginie Tamen Fotso en montrant la ville par la fenêtre de son bureau. Des arbres ont été plantés le long de la route principale, près de l’hôpital central, dans des écoles et des quartiers. Des bacs à ordures ont été placés au bord des routes. A quelques mètres de la mairie, devant la préfecture, un jardin aux fleurs multicolores attire les travailleurs et les marcheurs fatigués.
Des concours entre quartiers
L’objectif de Bangangté est clairement affiché : demeurer la ville la plus propre et la plus verte du Cameroun. Pour tenir ce rang, la mairie organise régulièrement le concours du quartier le plus propre. Deux grands critères de sélection dominent : la propreté et la protection de l’environnement.
Cette année, le quartier 2 l’a emporté grâce à son innovation phare : la création de sept fosses à ordures communes d’1,50 m de profondeur. Des habitants y jettent les ordures ménagères et tout ce qui est biodégradable.
Une fois remplie, la fosse est couverte de terre. Les ordures fermentées deviennent du compost, que les habitants utilisent par la suite pour fertiliser leurs champs. « Nous jetons les emballages plastiques, la ferraille et les autres déchets non biodégradables dans les bacs à ordures. Ce sont ces bonnes pratiques qui nous ont permis de gagner, assure Roger Tankeu, chef de quartier depuis sept ans, coiffé d’un chapeau noir orné de perles. Comme les autres quartiers, nous ne badinons pas avec la propreté. »
En récompense, le quartier s’est vu remettre des brouettes, des machettes, des houes, des limes, des pelles, des râteaux et des pioches. Pour le partage, Roger Tankeu a organisé un autre concours entre les six blocs que compte son quartier. L’objectif est de pousser les habitants à créer davantage d’initiatives « vertes ». Il leur a dit : « La propreté est très importante. Notre environnement est l’héritage que nous léguerons à nos enfants. »
Toilettes écologiques
Pour Pierre Marie Wanang, responsable de la régie communale de l’eau, ces initiatives facilitent « énormément » la vie des habitants. En 2009, une étude a montré que plus de 80 % de la population de la commune de Bangangté n’avait pas accès à l’eau, ni à l’assainissement de base. Un an plus tard, la mairie a décidé de construire, dans des marchés et des écoles, des toilettes écologiques constituées de fosses à deux compartiments : un côté pour les excréments, ce qui permet de diriger les urines dans des bidons, et l’autre pour l’eau de nettoyage.
« Ces toilettes évitent la contamination de la nappe phréatique car les matières fécales ne sont pas mélangées à l’eau. Ces toilettes ne dégagent pas d’odeur, il y a un système d’assèchement par l’air via des tuyaux de ventilation », explique Pierre Marie Wanang. Au bout d’un mois d’« hygiénisation », elles sont utilisées pour fertiliser les champs de maïs, de haricots, de pommes de terre et de plantains.
« Certains agriculteurs n’achètent plus d’engrais chimiques », assure Pierre Marie Wanang, qui soutient que les habitants achètent ainsi plus de semences. « Nous avons mené des études avec des médecins et ingénieurs agronomes. Elles ont montré que les cultures faites avec les urines avaient presque la même production que celles faites avec des engrais, à la différence qu’il n’y a pas d’effet secondaire. Les agriculteurs en raffolent. »
En sept ans, la commune a construit 20 latrines écologiques et projette d’en construire trois autres cette année : quinze dans des écoles et cinq dans des marchés, pour un coût global de 70 millions de francs CFA (107 000 euros). La ville compte également trois toilettes publiques, dont deux « genrées » (hommes et femmes), pas encore ouvertes.
La promesse de l’eau pour tous
Désormais, Bangangté veut aussi devenir « une ville fleurie qui attire les touristes ». Certains endroits, comme le rond-point RDPC, sont déjà ornés de fleurs. La ville veut créer des quartiers et écoles fleuris. « Nous voulons un environnement attrayant et naturel pour les enfants. Pour le faire, nous avons besoin de financements », reconnaît Théophile Fosso, chef du projet ville fleurie. Plus de 100 millions de francs CFA sont nécessaires.
Mais il y a un hic. « Cet argent devrait d’abord servir à fournir de l’eau potable à la population. Bangangté est une ville verte et fleurie qui manque cruellement d’eau », ironise Loïc Mbami, un jeune étudiant en lettres venu rendre visite à ses grands-parents au quartier Mba. C’est ici que l’on se rue, lors des fréquentes coupures, pour se ravitailler à un point d’eau aménagé par la mairie. « Même le préfet envoie souvent son chauffeur puiser de l’eau ici. Matin et soir, la file est interminable », explique Ismaël, un jeune homme qui attend son tour pour se servir. En saison sèche, ce point d’eau ne coule pas et l’eau manque. Pourtant, à la mairie, Pierre Marie Wanang assure que près de 60 % de la population a accès à l’eau potable. Un chiffre difficile à vérifier.
Dans les rues de Bangangté, l’eau potable reste le principal problème pour la plupart des habitants rencontrés. « Paul Biya n’est pas un président que j’admire, encore moins son parti politique, mais il faut dire qu’en dehors de l’eau potable, Célestine Ketcha a changé notre ville, qui est au moins belle et propre », reconnaît Isidore, 67 ans, militant « à vie » de l’Union des populations du Cameroun (UPC). A la commune, la maire est absente. Mais certains responsables assurent « qu’on aura bientôt de l’eau potable pour tous » dans la ville verte et fleurie. « Ce n’est pas qu’une promesse politique », jurent-t-ils.