Les causes de la mal gouvernance, le TCS et l’inefficacité de la lutte contre la prédation de la fortune publique ; l’emprisonnement des anciens membres du gouvernement et assimilés ; l’attractivité pour les investissements et le discours des gouvernants sur l’émergence à l’horizon 2035 ; les incertitudes dues aux âges avancés du président de la République et du président du Sénat dans l’éventualité d’une vacance subite du pouvoir à la tête de l’Etat ; les préalables pour une élection présidentielle pour l’intérêt du peuple camerounais en 2018 ; les devoirs du régime et de l’opposition pour éviter un cataclysme au pays dans l’après Paul Biya ; ce que propose son parti politique aux Camerounais pour la reconstruction d’un nouvel Etat tourné vers la modernité… sont quelques-uns des sujets sur lesquels Pierre Mila Assouté, le président de la formation politique dénommée RDMC et du Conseil National pour la Libération du Cameroun (CNL) se prononce dans cet entretien accordé à «L’info» des faits…tout fait dans ses appartements parisiens.
Avec le courage de ses convictions, la visibilité de son idéal et la froideur de ses analyses qui caractérisent toujours ses interventions, cet homme particulier, l’un des très rares politiciens Camerounais encore à inspirer respect et considération, parce que au-dessus des petites jolies balades un miroir qui présente une image à la fois hideuse et à haut risque du pouvoir de Yaoundé…tout en offrant des perspectives.
Par le nombre d’anciens ministres et assimilés incarcérés à Yaoundé et Douala, le Cameroun est l'un des rares pays au monde à disposer de l’équivalent de tout un gouvernement en prison, ceci du fait des détournements des fonds publics. Mais chaque jour, il y a de nouveaux scandales avec pour unité de mesure minimale des sommes volées, le milliard de FCFA: selon-vous, quelles sont les raisons de l’inefficacité du combat contre la prévarication de la fortune publique?
Les régimes politiques qui asseyent leur reproduction sur la corruption sont congénitalement victimes de leurs propres turpitudes. Les ministres sont cooptés et se recrutent au gouvernement sur la base des critères subjectifs que sont des rapports familiaux, des réseaux mafieux tribalofinanciers et/ou des favoritismes politiques inhérents à la corruption... Les objectifs inavoués d’accession aux responsabilités d’Etat sont l’enrichissement ostentatoire des "élus" sur le dos de la Nation. Ils créent et entretiennent des situations de rente, chacun à son poste, le plus longtemps possible qu’ils sont dociles à leurs mentors et peuvent tordre, par la corruption les consciences dans leur base sociale et tribale en faveur du régime.
Le régime devient alors luimême tout un système de corruption dont il ne peut pas se défaire. La répression de la corruption ne peut donc viser que ceux qui, au premier chef dans le gouvernement l’entretiennent et exécutent les budgets publics d’où leur grand nombre en prison... Elle ne peut pas s’arrêter parce que le système se nourrit et se reproduit de la corruption au sommet et à la base. Le Conseiller en matière des répressions de la corruption luimême est le premier des corrompus et traine des affaires scandaleuses qui relèvent de la corruption.
En clair …
Les raisons de l’inefficacité sont donc simples : Ceux mêmes qui initient la répression de la corruption sont des corrompus. La pratique courante ne tourne mal que pour les brebis galeuses ou lorsqu’un sacrifice politique a besoin d’un visage emblématique pour étouffer une opinion ou régler un compte politique …
Et le TCS alors…
Le Tribunal Criminel Spécial que le pouvoir a voulu plagier dans le projet de société du RDMC rédigé en 2009, n’est qu’une pâle copie mal inspirée de la triche... Ils auraient pu nous demander de leur dire á quoi nous pensions, puisque nous en sommes les géniteurs réels. Lisez notre projet. Il date de 2009. J’avais distribué une copie gratuite à chaque membre du gouvernement.
Que retenez-vous de l’abondante littérature des anciens ministres en prison ?
La prison, en principe, lorsqu'elle est méritée, est un lieu de privation de liberté pour des fautes commises et établies par la justice. C’est aussi un lieu de rééducation en milieu carcéral du citoyen à la fois, dans son concept initial et ceci dans un contexte de justice équitable bien sûr. On ne peut pas nier la corruption et les détournements massifs dans les pratiques de nombreux gestionnaires publics de notre pays. Les détourneurs et les corrompus ne descendent pas du ciel comme l'insinueraient certaines des littératures ...
Les nombreuses concussions décriées au Cameroun, et ce n'est pas de la fiction, ne sont pas du fait des anges du ciel! Si tous ceux qui sont en prison n’ont rien détournés et qu’ils n’y étaient que pour des desseins politiques, exclusivement, il y aurait des raisons d’aller chercher des marabouts pour savoir qui détourne l’argent des Camerounais et qui ne détourne pas...! Ce qui choque c’est la justice sélective! Lorsque je lis certaines des littératures auxquelles vous faites allusions, parfois je suis amusé mais aussi attentif. J’ai même lu mon nom cité succinctement dans l'une des lettres écrites de prison à un moment, sur un sujet que je dénonçais pourtant vainement depuis 2004 et relatif à un détournement scandaleux dont j’attribue la paternité à Fouman Akame Jean. Il s’agit de l’argent de la défunte Cameroon Airlines relevant d’un détournement que moi j’ai fait établir et permis de récupérer auprès de TRANSNET SA en Afrique du Sud, 40 milliards FCFA environ.
Ils ont fini leur course dans un compte bancaire personnel ouvert insidieusement au nom du Cameroun à la Société Générale de Banque à Paris par Jean Fouman Akame sous sa seule signature... Je m’étonne parfois devant leur réveil littéraire sur des sujets qu’ils n’ignoraient pas..! Cet argent a disparu des radars et les anciens secrétaires généraux de la Présidence de la République, aujourd’hui en prison, à tort ou à raison, qui le savaient comme moi où est parti l’argent et qui m’entendaient remuer ciel et terre depuis 2005 sur cette affaire grave ont attendu, sourds, muets et aveugles, (peut être le regrettent-ils) d’être arrêtés 8 ans plus tard, pour me donner raison...!
Leurs ouvrages disent ce que nous leurs disions déjà lorsque j’ai créé le courant des modernistes au sein du Rdpc avant ma démission...! Ils ne découvrent rien en prison de ce qu’ils écrivent j’imagine. On va donc dire, sans aucun cynisme ni réjouissance des malheurs des autres, que la prison leur inspire hélas plus de lucidité tardive et leur a permis à certains, de retrouver de la mémoire devant nos drames... Un des ministres encore en poste, et encore libres, a dit que ces nombreuses littératures, - elles sont intéressantes à liresont "des déclamations pro domo...".
Il est difficile de ne pas l’écouter ou de ne pas voir dans ces écrits des dénonciations utiles mais au moins tardives pour des besoins d’une cause personnelle des intéressés en situation de détresse humainement compréhensible...ils disent des choses sensées dans certains des ouvrages! Mais alors, il n’est jamais vraiment trop tard ? Eux seuls savent y répondre. Nous pouvons compatir et c’est tout. D’ailleurs vous observez bien que lorsqu’ ils sortent de prison, ils reprennent du service au Rdpc ou encore qu'aucun ne démissionne du Rdpc pour coller á leurs écrits une certaine cohérence....
D’une manière générale, quelle lecture faites-vous de la situation politique actuelle au Cameroun?
Le Cameroun est politiquement bloqué et sclérosé en initiatives de progrès. Les textes sur les libertés sociales ont connu un recul démocratique étrange. La société tout entière est gagnée par le désespoir et le défaitisme, surtout dans l’immense majorité jeune engluée dans un chômage endémique, sans perspectives et parmi les paysans qui sont notre force de travail...
Le président autocrate aux rives de la sénilité, (c’est biologiquement humain, il a 83 ans), n’a plus rien à offrir aux Camerounais en terme d’innovations politiques et même, il ne pilote plus rien lui-même en réalité. Seule sa propre survie le préoccupe et sans doute sa santé et sa famille... C’est cette situation qui m’a fait dire que l’incertitude est définitivement ouverte au Cameroun. Elle est aggravée par l’âge du Président 83 ans et l’âge du Président du Senat, supposé assurer l’intérim en cas de vacance subite du pouvoir, lui aussi a 83 ans. Ce qui accroît l’incertitude...
Le président Paul Biya a déclaré que d’ici 2018, il verra s’il va continuer ou prendre sa retraite ?
2018, année des élections sera donc un moment important dans l’histoire passée et à venir de notre pays. Un moment qu’il faut se préparer à vivre activement pour changer notre destin où à subir... J’ai la conviction que ce sera un moment pas comme les autres qui ouvrira un nouvel espoir sur l’avenir commun ou qui aggravera les lumières sombres actuelles de notre destin si l’on regarde le spectacle se poursuivre...
A vous entendre, Marcel Niat Njifenji, l’actuel président du Sénat n’offre pas les garanties nécessaires pour assurer l’intérim en cas de vacance du pouvoir. A quel scénario s’expose le pays ?
Je ne fais jamais d’attaques des personnes, des individus en politique... Je parle d'une perspective institutionnelle. Si vous substituez à titre préventif les risques de pannes d’une vieille voiture de 83 ans par une autre vieille voiture de 83 ans pour faire un voyage familial, le risque d’accident pour votre famille devient à multiplier par deux. S’il y a vacance de pouvoir subite aujourd’hui, il y a risque certain de coup d’Etat. Les Sénateurs nommés ne détiennent aucune légitimité...les remettre en cause aurait un fondement objectif.
Les gouvernants annoncent des actions devant conduire le pays vers l’émergence à l'horizon 2035, qu’en dites-vous?
Si vous relisez mes interviews depuis 2010, vous constaterez la constance dans mes positions. Vous verrez que j’ai toujours dis et je redis qu’il s’agit d’un slogan de plus du régime BIYA parmi tant d’autres que nous connaissons: rigueur et machin...grandes ambitions, grandes réalisations… des mots souvent plagiés à l’occasion électorale des déclarations des concurrents politiques. Ils le savent intimement. Ils utilisent ces mots sans aucune préparation structurelle pour les rendre crédibles... Je leur proposerai un autre slogan comme ils sont à court d’idées: le nouvel avenir...vous verrez, ils vont le plagier. Il n’y a pas d’émergence possible au Cameroun sous Paul BIYA en 2035 où 2050 si l’on veut, c’est impossible avec une base institutionnelle et structurelle des régimes bonapartistes. L’émergence n’est pas un don du ciel. C’est un concept d’organisation politique et économique découlant d’une culture d’opérationnalisation, d’une vision politique planificatrice, programmatique, prévisionnelle et participative à la base des forces du travail. Mr. Paul Biya n’a ni vision ni système opérationnel de l’émergence que ce soit aujourd’hui, en 2035 ou en l’an 3000.
La récente conférence internationale de Yaoundé pour l’attractivité des investisseurs, à votre avis, de ce fait était donc sans objet ?
Vous l'avez bien compris. Un pays ne devient pas attractif parce qu’on y organise des conférences exhibitionnistes et encore moins parce qu’on présente sa forêt vierge où couper des arbres... L’attractivité d’un pays relève bien sûr de sa stabilité, de sa sécurité intérieure et extérieure, de son système judiciaire, donc de la sécurité des investissements, de son système économique macro et micro économique fort et d’un code des investissements incitatifs le tout dans un pays où la corruption n’est pas un frein... On a bavardé à Yaoundé au cours de cette conférence ok. Le citoyen camerounais acteur de son développement économique a compris quoi et il intervient où et comment? L’impact sur sa vie quotidienne c’est quoi?
Vous êtes à la tête d'une formation politique à l'opposition, à votre avis, quelles sont les actions que doivent mener les forces vives de la nation pour préserver le pays d'une fin de règne catastrophique?
Ce n’est pas de la responsabilité de l’opposition de préserver le pays d’une fin de règne catastrophique. C’est de la responsabilité de Paul BIYA d’organiser des élections inclusives, libres et transparentes à deux tours pour éviter au pays un cataclysme systémique de mauvaise fin de règne. Seules des pratiques démocratiques que refuse le régime BIYA conduisent à une alternance ou alternative politique paisible. Le Benin vient de nous en administrer l’exemple. Seul un pouvoir responsable et une opposition responsable éviteront au Cameroun une fin de règne cauchemardesque. Le dialogue sincère, des vraies lois électorales démocratiques et le respect du choix du peuple seuls éviteront au pays un coup d’Etat. Or la logique de M. BIYA a été annoncée. "Ne reste pas longtemps au pouvoir qui veut mais qui peut". Cette logique est guerrière et non démocratique. Elle fait appel à une logique rivale: " n’accèdera pas au pouvoir qui veut mais qui peut" Lorsque ces deux logiques s’affrontent en politique dans un rapport de force, l’on vit dans les coups d’Etat permanents et loin de la paix civile.
Quelles sont vos projets politiques?
Mon projet est de sortir mon pays du désordre politique et social actuel, et de moderniser le Cameroun. Notre pays a besoin d’un nouvel élan, d’un nouvel avenir et d’un nouvel espoir. Il a besoin de ma vision, de ce que j’entends par un pays moderne à bâtir avec notre jeunesse dans les domaines de développement qui font déficience à notre pays et dont il a le plus besoin pour le citoyen de notre prochain cinquantenaire après celui des indépendances africaines... J’ai la conviction qu’il est urgent et possible de doter le pays des besoins de base en matière d’adduction d’eau potable, d’électrification généralisée et permanente, de sécurité maladie à travers un système de santé opérant. Nous comptons revoir totalement notre système éducatif et bien sûr au plan économique, moderniser la productivité agricole, agropastorale et agro-industrielle et industrielle... Le Cameroun a besoin de réformes profondes au plan administratif et judiciaire. Ce sont ces réformes impérieuses qui constituent pour chaque nation moderne les fondements d’une économie dynamique et prospère...
Vous en avez une étude ?
Cela suppose une maitrise statistique de notre démographie et son indice de progrès, de nos besoins et de nos moyens. Une maîtrise de notre environnement sécuritaire à l’intérieur et aux frontières. Une maitrise de notre système bancaire, de nos outils financiers et monétaires, une intégration économique sous régionale accélérée, une diplomatie offensive et prométhéenne... En bref nous comptons mobiliser tous les moyens humains et intellectuels de notre nation, tous les moyens matériels nécessaires disponibles et à trouver pour redonner à chaque citoyen la chance de réussir sa vie au sens où chacun l’entend pour lui-même et de bâtir nous-mêmes avec notre jeunesse une nation forte et sécurisée qui progresse et maitrise son destin dans un vivre ensemble nouveau, épanouissant pour tous sans laisser personne au bord de la rue... Rédiger un bon projet de société est une chose, le présenter et disposer des instruments de conquête du pouvoir en sont d’autres.
Comment le RDMC compte-t-il accéder aux affaires dans un environnement où le régime semble avoir tout verrouillé à travers ELECAM, le MINATD et le Conseil Constitutionnel ?
Nous pensons au RDMC que la politique n’est pas synonyme d’angélisme. Le régime a confisqué les leviers d’accession au pouvoir en mettant en place des lois électorales verrouillées. Une élection à un tour divise forcément les ambitions dans l’opposition et ne rend pas facile toute coalition. Elle permet de faire élire un président même sans majorité absolue... Ils éliminent nos candidatures sur ces bases-là. Deux fois ma candidature a été éliminée... Mon parti muselé. Ils traumatisent nos militants. On nous exclus des commissions d’Elecan, du défilé pour la fête nationale... Aucun système politique dictatorial ne peut résister contre la volonté populaire et nous allons nous appuyer sur notre Peuple pour inverser le rapport de force. Je vais regagner le pays et je m’y prépare. S’il y a violence, elle ne sera pas de notre responsabilité et dans tous les cas nous n’allons en aucun cas le subir en victimes expiatoires. La jeunesse de mon pays m’attend et audelà de la jeunesse les Camerounais dans leur immense majorité veulent changer de régime. ELECAM ou le MINATD ne vont pas dépasser notre Peuple. Notre armée devra éviter de se mêler de politique en tuant nos compatriotes pour empêcher des élections crédibles, libres et transparentes qui seules vont préserver notre pays des risques de violences majeures... Notre stratégie est donc de présenter notre projet aux Camerounais et de les mobiliser pour voter pour nous massivement. On votera, on protègera notre vote et on gagnera.
On vous dit très affecté par la situation des populations dans les zones de guerre à l’Extrême Nord et à l’Est…
oui je suis très affecté par ce qui arrive à nos compatriotes à l’Extrême Nord et bouleversé par la violence récurrente dans le village de (mon ex-ami et beau-frère des Mbo Amadou Ali. Je leur adresse toute ma compassion et mon affection en tant que humaniste. Je suis tout aussi profondément bouleversé par les pertes en vies humaines dans notre armée. Je suis de tout coeur avec les familles éprouvées. L’avenir de cette région se trouve dans notre capacité en tant que nation au-delà de la guerre, de mettre en place un plan général de développement et de réduction de la misère dans ce milieu infesté par Boko Haram. Je ne manquerai pas de témoigner concrètement de mon soutien physique le moment venu aux populations et à l’armée dans la région.