Le changement dans la paix, un stratagème aux yeux du pouvoir ?

Le leader de l’opposition a fait une longue déclaration à la presse vendredi dernier

Tue, 7 Dec 2021 Source: Le Messager

Le leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc), a tenu un point de presse vendredi dernier au siège de ce parti à Odza à Yaoundé. En 1h30, un Maurice Kamto visiblement excédé a explicité devant la presse les tenants et les aboutissants de la posture du régi- me vis-à-vis de sa famille politique.

S’appuyant sur ses déboires à Douala, Maurice Kamto s’est épanché sur l’histoire du malaise politique que traverse aujourd’hui le Cameroun. Il a articulé son propos sur trois points : la genèse du slogan politique changement dans la paix et par les urnes ; le récit des évènements du 30 novembre et des 1er et 2 décembre 2021 à Douala ; et les perspectives du Mrc. Le Messager revient sur ce point de presse en mettant en exergue, in extenso, le premier point sus-évoqué. Les deux autres feront l’objet d’autres publications dans les mêmes formats dans les jours à venir.

« La création du Mrc fut un Paris sur l’avenir du Cameroun. Un pari qu’il est possible de fédérer les énergies dans notre pays, opposé une offre politique alternative à ce qui existe, à ceux qui gèrent le pays depuis plus de 60 ans. Pari surtout qu’on peut réussir l’alternance sans passer par la case de la guerre. Et ce pari qui nous a initié le slogan « changement dans la paix et par les urnes » reste notre option fondamentale au Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc). Nous n’y sommes pas arrivés par hasard.

C’est après une analyse patiente de la situation politique de notre pays. Il nous a semblé qu’après la phase marquante des années 1990, où le peuple camerounais légitimement rassemblé avait espéré qu’une nouvelle page de l’histoire de notre pays allait s’ouvrir, qu’après les atermoiements, les violences qui déjà existaient à cette époque, il était temps que nous sachions raison gardée, que nous reprenions nos esprits, tous animés par un même amour inconditionnel de notre pays. Et que si tel était l’option partagée par les uns et les autres, nous pouvions arriver, quelles que soient les différences à animer la vie politique de notre pays sur la base des idées, des propositions des uns et des autres. Ensuite laisser au souverain suprême qui est le peuple camerounais, trancher, choisir ceux des Camerounais qui faisaient de bonnes propositions. Ce n’est pas une vue de l’esprit parce que nous y croyions fondamentalement. On a pu prendre cela souvent pour la faiblesse, l’incapacité à faire plus ! C’est une erreur ! Car faire un choix de cette nature, c’est faire un choix difficile. C’est faire un choix du chemin le plus compliqué, en particulier lorsqu’on a à faire à un régime qui est autoritaire et qui est devenu franchement dictatorial.

Quand on a à faire à un tel régime, faire le choix du « changement dans la paix et par les urnes » est un pari extrêmement compliqué. Patiemment et année après année, nous avons persuadé et je crois convaincu une bonne partie de notre peuple que c’était possible. Ce désintérêt-là, tous en font le témoignage. Le désintérêt manifeste que le peuple avait pour la politique s’est estompé et il y a eu au moins depuis 3 ans un regain réel des Camerounais pour la politique.

Le Mrc combattu dès le sein maternel

Je crois qu’en soi, s’est déjà une victoire d’avoir pu faire comprendre aux Camerounais que leur destin dépend d’eux et d’eux seuls. Or depuis la création du Mrc, il est apparu très rapidement que son itinéraire était un parcours d’obstacles. C’est un parcours jalonné d’interdictions. Tout ce que les pouvoirs publics savent faire au Cameroun vis-à-vis du Mrc, c’est interdire les rassemblements. Et ne croyez pas parce que certains, soit par mauvaise foi, soit par ignorance de l’histoire politique de notre pays, soit par désintérêt sur la trajectoire des uns et des autres, vous font faire croire que les difficultés du Mrc ont commencé à partir du moment où il a contesté les résultats de l’élection, a revendiqué sa victoire à l’élection présidentielle de 2018. Il n’en est rien ! C’est dès le premier jour, c’est même avant la naissance. Je crois que le bébé était redouté alors qu’il était encore dans le sein maternel. Je crois qu’il devait bouger très fortement. On s’en inquiétait déjà. Pour certains, ils se souviendront de cette journée mémorable du 13 août 2012, à l’hôtel Hilton.

Déjà, à l’époque nous avions réservé l’hôtel, nous avions fait une déclaration de manifestation avec récépissé du sous-préfet qui n’y voyait aucun inconvénient. Mais le jour dit, on a envoyé la police et la gendarmerie interdire la réunion. Les motifs entre autres soulevés par la police étaient qu’on ne prévoyait pas que Monsieur Kamto serait présent. Mais on n’est pas allé jusqu’à m’expulser de Yaoundé. Sans doute, on observait encore, et les obstacles se sont multipliés. J’en citerai juste quelques-uns à titre illustratif. En 2013, lors de notre premier grand meeting préparé à Bafoussam, refus de nous donner la place de fête pour des événements qui se tiennent naturellement. Nous sommes contraints à aller au stade, et finalement de guerre lasse, on tolère. En 2014, alors qu’après avoir pris part aux élections législatives et municipales, nous avions établi comme en 2018 de façon irréfutable que notre code électoral avait beaucoup d’insuffisances qui permettaient des fraudes massives et ouvraient la voie aux contestations. En 2014, nous entreprenons donc après avoir écrit à la présidence de la République, à Elecam en passant par les services du Premier ministre, le ministère de l’Administration territoriale, le ministère de la justice, la Police, la Gendarmerie, les services de renseignement, que le Code était mauvais et qu’il était de l’intérêt de notre pays de faire une révision électorale.

Nous avons alors entrepris de sensibiliser les Camerounais sur cette nécessité, puisque nos différentes correspondances n’avaient reçu aucune réaction. On parle souvent d’un refus poli mais là il y avait un silence impoli et méprisant. Nous avons donc entrepris d’imprimer des fiches de sensibilisation des Camerounais et certains de nos camarades, dont notre Secrétaire général qui est ici présent, Monsieur Roger Justin Noah, dont le Pr Fogue , Monsieur Thierry Okala et je ne sais plus qui, vont devant l’Assemblée nationale avec l’intention de sensibiliser les députés, donner des flyers aux députés pour leur dire que le code électoral est mauvais, et leur demander de faire quelque chose. Nous avons déposé des propositions, c’est vous le parlement qui devez le faire. Ils ont été brutalisés, et le Pr Fogue s’en est sorti avec la jambe brisée, il est resté plusieurs mois sous le plâtre. Nous sommes là en 2014. Il ne faut pas qu’on vous fasse croire que toutes ces difficultés sont récentes. Moi-même, je me suis rendu à Douala, dans le même but de sensibiliser la population. On nous a chassés et pourchassés d’un marché à l’autre, nous sommes rentrés.2016 ou 2017, je saute d’autres évènements, nous prévoyions un meeting que nous préparions depuis plusieurs mois à Bertoua. Nous faisons une déclaration auprès de l’autorité compétente, qui nous dit tout de go « je vous refuse la place des fêtes, parce que c’est la place du Rdpc ». Nous avons répondu : « Nous en prenons actes Monsieur le sous-préfet. Indiquez-nous donc un autre endroit. Il nous a indiqué le stade et nous avons dit merci, on ira au stade ». Mais peu de temps avant l’évènement, je crois une semaine avant, il est revenu sur sa parole. « Le stade sera occupé pendant la période. On va organiser les épreuves physiques et sportives pour les examens des élèves », dit-il. « Si tel est le cas, il n’y a pas de problèmes. Les examens des élèves sont une priorité, nous attendrons qu’ils terminent leurs examens et après nous ferons notre meeting », avons-nous répondu. Nous avons laissé passer cette semaine et nous sommes repartis voir le même sous-préfet et qui nous a dit : « Ah non, non ! Il n’y aura pas de meeting à l’Est, vous savez le contexte sécuritaire ! » Il le disait alors que dans le même temps, le Rdpc y tenait ses réunions.

Nous sommes allés voir le préfet et nous avons remonté jusqu’au gouverneur. Mais notre cas n’a pas prospéré. Nous sommes revenus à Yaoundé et après avoir attaqué l’arrêté d’interdiction, devant les juridictions compétentes, le juge nous a demandé en fait d’apporter un dernier papier. Là, nous étions, le jeudi. Deux jours avant, le meeting qui devait se tenir le samedi. Un de nos camarades, en voulant apporter le papier parce que nous voulions absolument être dans la légalité, a fait l’accident à Ayos. Je suis allé toute affaire cessante à Ayos. Il était comme la plupart des malades de cet hôpital. Il était dans le noir. Il n’y avait pas de lumière. C’est à la lueur de la torche de nos téléphones qu’on l’a retrouvé abandonné dans une salle. Dans ces conditions, je ne pouvais pas le laisser là-bas. Je l’ai donc pris à bord de mon véhicule et on est venu à l’Hôpital central. Malgré tout, il est mort.

Ne pas banaliser ce qui arrive au Mrc

Il faut que vous mesuriez ce qui se passe dans notre pays ! Il ne faut pas écouter quelques bons esprits qui le soir alors qu’ils ont passé une bonne journée, ils sont repus, vont sur les plateaux de télévision, raconter n’importe quoi aux Camerounais. Il ne faut pas écouter nos compatriotes qui sont devenus, je ne sais quoi, qui passent leur temps sur les réseaux sociaux parce qu’on leur a donné un petit cachet çà et là, tourner tout en dérision. Ce qui se passe dans notre pays est grave et sérieux. Je vous dirai quand on laisse sans rien faire la maison du voisin brûler, il y a de fortes chances que la vôtre brûle aussi. Sinon dans cet incendie forcément dans un autre. Ne prenons pas ce qui arrive aux militants et aux sympathisants du Mrc ou même parfois à des Camerounais qui ne sont même pas sympathisants du Mrc, qui se retrouvent au mauvais endroit au mauvais moment, ne laissons pas cela apparaitre comme un fait divers et sans importance. Quand nous sommes revenus à Yaoundé, je suis allé avec les membres du Directoire en délégation au ministère de l’Administration territoriale.

Il fallait remplir une audience pour rencontrer le ministre, la Secrétaire est venue nous dire que le ministre ne nous recevait pas et qu’il demandait d’écrire et d’attendre. Nous avons répliqué que nous n’avons pas demandé à voir la Secrétaire, mais le ministre. On nous a dit, allez attendre. Nous avons rétorqué qu’on attendra sur place et nous sommes restés dans le hall. Comme notre présence a fini par indisposer, le Secrétaire général du ministère est descendu et on nous a reçus. Avec la courtoisie, nécessaire, nous avons expliqué au ministre qu’il n’était pas bon qu’on interdise sans aucun motif sérieux une manifestation publique pacifique surtout alors même qu’un autre part politique tenait régulièrement ses meetings, probablement même sans les déclarer. Il nous a demandé de partir et de revenir plus tard parce que je lui avais suggéré de saisir ses collaborateurs à l’Est pour qu’ils nous laissent tenir nos meetings. Quand nous sommes revenus, il nous a dit qu’il nous conseillait d’oublier ces manifestations. Je lui ai dit : « puisque vous l’avez interdite, elle n’aura pas lieu mais j’irai dire à mes camarades à l’Est qui ont mis plus de deux à trois mois à préparer ce meeting. J’irai leur dire la gratitude du Directoire de notre parti. Et leur dire que cette manifestation est reportée. Elle se tiendra une autre fois ». Il m’en a dissuadé, il m’a dit qu’il me conseillait vivement de ne pas aller à l’Est. Je parle du ministre de l’Administration territoriale de l’époque qui est vivant, qui est toujours au gouvernement peut-être pas au même poste. Je lui ai dit que j’avais bien entendu son conseil, mais que je ne pouvais ne pas me rendre à l’Est.

Et le lendemain samedi, mes camarades et moi, une délégation, avions pris la route de l’Est. Avant d’y arriver, on nous a fait traverser pas moins de 50 barrières de police. A chaque étape, on nous a bloqués. Des policiers encagoulés, nous faisant descendre de nos véhicules. Je me souviens toujours d’une femme gendarme, qui probablement venait de sortir du centre de formation. Elle tenait son fusil de manière hasardeuse, et je me disais, le coup peut partir à tout moment. Et nous sommes arrivés à Bonis à l’entrée de Bertoua. On nous a fait un blocage, systématique et total. « Vous ne bougez plus », intima-ton. J’ai donc dit à mes camarades, « on va entrer dans Bertoua à pieds ». On est descendu tous de nos véhicules et on avançait. Ils se sont ravisés qu’en entrant à pieds cela pouvait créer plus de problèmes que si on entrait en voitures. Je vous le dis, comme à Douala, c’est le commandant de Légion de la gendarmerie et tous les officiers supérieurs de police qui nous ont nous ont encadrés.

« Que cherchez-vous derrière ce Bamiléké ? »

2017-2018, on se rend à Maroua. On doit y tenir un meeting. Je signale que pour Bertoua, le ministre en question, Monsieur René Emmanuel Sadi, alors que le Rdpc tient une réunion à Bertoua dans le même temps tout comme à Maroua, la question de sécurité ne se pose pas. Il me répond : « oui mais ils sont chez eux ». Je n’étais pas chez moi à Bertoua ? C’était la raison pour laquelle je ne pouvais pas tenir un meeting. Il y a rien qui arrive aujourd’hui par hasard. J’attire votre attention depuis et j’ai l’impression que personne ne m’écoute. Dans ma lettre de démission du gouvernement, je le disais déjà : « Le tribalisme d’Etat. » C’était dedans. Et on a bouché les oreilles à l’époque. Eta quand j’ai redit cela plus tard, on m’insulte. Mais ce n’est pas grave. Je fais mon travail chacun n’a qu’à faire le sien ».

Source: Le Messager