Contrairement à 2018, la France n'a toujours pas félicité Paul Biya pour sa réélection controversée. Un changement de posture qui interroge sur l'évolution de la diplomatie française
Sept ans après avoir rapidement félicité Paul Biya pour sa réélection en 2018, la France observe un silence remarqué face aux résultats de la présidentielle camerounaise du 20 octobre 2025. Une évolution diplomatique majeure qui tranche avec la lettre chaleureuse qu'Emmanuel Macron avait adressée au président camerounais le 25 octobre 2018, et qui alimente les spéculations sur un possible revirement de la position française.
2018 : Des félicitations express et chaleureuses
Le contraste est saisissant. En 2018, cinq jours seulement après la proclamation de la victoire de Paul Biya, Emmanuel Macron lui adressait une lettre de félicitations où il exprimait sa "volonté d'œuvrer avec vous pour renforcer encore davantage [les relations entre nos deux pays] dans tous les domaines".
Dans cette missive datée du 25 octobre 2018 et signée de la main du président français, Macron formulait également un "vœu que le renouvellement dans la continuité de l'exercice que vous saurez engager réponde aux aspirations de la jeunesse du Cameroun à plus de responsabilités", avant d'assurer Paul Biya du "soutien de la France" pour ses projets et réformes.
La lettre se concluait par une formule protocolaire classique : "Vous renouvelant mes félicitations, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma très haute considération."
Sept ans plus tard, alors que Paul Biya vient d'être proclamé vainqueur avec 53,66% des voix pour un huitième mandat, Paris garde le silence. Aucune lettre de félicitations, aucun communiqué officiel, aucune déclaration du Quai d'Orsay saluant cette réélection.
Ce mutisme diplomatique contraste non seulement avec la rapidité de 2018, mais aussi avec les félicitations adressées par l'Union africaine, qui a certes exprimé ses "vives préoccupations" sur les violences, mais a néanmoins reconnu la victoire de Paul Biya.
L'Union européenne, dont la France est un membre influent, a adopté une position critique. Par la voix de son porte-parole Anouar El Anouni, Bruxelles a invité les autorités camerounaises à "identifier les responsabilités, à faire preuve de transparence et à faire justice, afin de lutter contre le recours excessif à la violence et les violations des droits humains".
Cette déclaration, qui ne contient aucune félicitation et met l'accent sur les violences et les violations des droits humains, reflète un changement de ton radical par rapport aux complaisances passées envers le régime de Yaoundé.
Qu'est-ce qui a changé entre 2018 et 2025 ?
Plusieurs facteurs expliquent cette évolution de la posture française et européenne :
Une légitimité fragilisée : Avec 53,66% des voix, Paul Biya enregistre son plus faible score depuis plus de deux décennies. Loin des 71,28% de 2018, ce résultat témoigne d'une contestation inédite de son pouvoir.
Une répression sanglante : Les violences post-électorales ont fait plusieurs morts (au moins quatre à Douala, deux à Garoua selon l'opposition), des centaines d'arrestations et des destructions dans plusieurs villes. Une répression qui a suscité l'indignation de Human Rights Watch et du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme.
Des accusations de fraudes massives : Issa Tchiroma Bakary dénonce une "mascarade" électorale et revendique sa victoire. Sa contestation, contrairement aux oppositions symboliques du passé, mobilise une partie significative de la jeunesse camerounaise.
Une situation sécuritaire dégradée : Depuis 2018, le Cameroun est confronté à une crise anglophone toujours non résolue, à l'insécurité dans l'Extrême-Nord face à Boko Haram, et maintenant à des tensions post-électorales qui menacent la stabilité du pays.
En diplomatie, le silence est souvent plus éloquent qu'un discours. Ne pas féliciter un dirigeant réélu, c'est refuser de légitimer son élection. C'est suggérer que les conditions d'un scrutin démocratique n'ont pas été réunies.
Lorsqu'en revanche l'Union européenne appelle à "identifier les responsabilités" et à "faire preuve de transparence", elle remet directement en cause la régularité du processus électoral et suggère que les violences ne sont pas le fait de simples "vandales" et "drogués" comme l'affirme le gouverneur de Douala, mais bien d'une répression d'État.
Appeler au "respect de la démocratie" après une élection, c'est précisément suggérer que la démocratie n'a pas été respectée. Et si le respect de la démocratie implique le respect des résultats des urnes, encore faut-il que ces urnes aient parlé librement.
La France se trouve face à un dilemme classique de sa politique africaine : d'un côté, le Cameroun reste un partenaire économique et stratégique important, notamment dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. De l'autre, soutenir ouvertement un régime autoritaire vieillissant qui réprime dans le sang toute contestation devient de plus en plus difficile à assumer publiquement.
Le silence français peut s'interpréter comme une position d'attente : Paris observe la situation, jauge le rapport de force entre le régime et l'opposition, évalue la capacité de Paul Biya à maintenir l'ordre, et se réserve la possibilité d'ajuster sa position en fonction de l'évolution de la crise.
Vers une nouvelle politique africaine de la France ?
Ce silence pourrait aussi s'inscrire dans une évolution plus large de la politique africaine française. Après les échecs au Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger) et les critiques croissantes sur la "Françafrique", Paris tente de redéfinir sa relation avec le continent.
Soutenir systématiquement les présidents sortants, quels que soient les modes de scrutin, n'est plus tenable à l'heure des réseaux sociaux et de l'information en temps réel. La jeunesse africaine, qui représente l'avenir du continent, ne pardonne plus ces compromissions.
La comparaison établie par Issa Tchiroma avec la crise ivoirienne de 2010 n'est pas anodine. À l'époque, la France avait fini par reconnaître Alassane Ouattara comme le véritable vainqueur, contribuant à la chute de Laurent Gbagbo.
Si Paris devait adopter une position similaire sur le Cameroun – reconnaître que les résultats proclamés ne reflètent pas la volonté populaire –, ce serait un séisme politique majeur. Pour l'instant, la France n'en est pas là. Mais son silence actuel lui laisse cette option ouverte.
Pour le régime de Paul Biya, l'absence de félicitations françaises est un signal préoccupant. Elle suggère que la communauté internationale, ou du moins sa partie occidentale, ne considère pas cette élection comme légitime.
Pour l'opposition camerounaise, ce silence est un encouragement. Il signifie que la contestation des résultats n'est pas perçue comme illégitime par les chancelleries occidentales, et que la pression internationale pourrait s'accroître sur le régime.
Pour la stabilité du pays, ce flou diplomatique est inquiétant. Il alimente l'incertitude sur l'issue de cette crise et peut encourager une escalade de la part de chaque camp.
Il est encore trop tôt pour affirmer que la France ne félicitera jamais Paul Biya. Des félicitations tardives, accompagnées d'appels au dialogue et au respect des droits humains, restent possibles. Mais plus le temps passe, plus le silence français prend une signification politique forte.
En 2018, cinq jours avaient suffi pour qu'Emmanuel Macron envoie sa lettre chaleureuse. Nous sommes désormais à quatre jours après la proclamation des résultats, et Paris reste muet. Chaque jour de silence supplémentaire rend une volte-face diplomatique plus difficile.
Le contraste entre 2018 et 2025 symbolise peut-être la fin d'une époque dans les relations franco-africaines. L'époque où Paris soutenait inconditionnellement ses alliés africains, quels que soient leurs modes de gouvernance, semble révolue.
Si cette évolution se confirme, elle marquera un tournant historique. Mais elle soulève aussi une question : la France est-elle prête à assumer les conséquences d'un tel changement de posture ? Et le Cameroun, privé du soutien automatique de son ancien colonisateur, saura-t-il négocier seul le virage démocratique que réclame sa jeunesse ?