Le prédicateur kenyan Paul Nthenge Mackenzie doit comparaître devant un tribunal à la suite de la découverte de dizaines de corps dans une forêt isolée. Il est accusé d'avoir encouragé ses disciples à se laisser mourir de faim. Des centaines de parents se demandent aujourd’hui ce qui est arrivé leurs proches.
Lorsque le pasteur Mackenzie, chef de l'église Good News International Church, a déclaré que la fin du monde aurait lieu en juin 2023, la femme de Stephen Mwiti l'a cru.
Aujourd'hui, il est certain qu'elle est morte de faim avec ses six enfants.
Cet homme de 45 ans, qui gagne sa vie en vendant des mandazi, ou pains frites, brandit une photo froissée de sa femme et de quatre de ses enfants en demandant si quelqu’un les a vu.
Sa femme a disparu en août dernier.
L'église forestière du pasteur Mackenzie
M. Mwiti est également allé les chercher dans la forêt de Shakahola, où les membres de l'église du pasteur Mackenzie s'étaient isolés.
Sa femme, Bahati Joan, était enceinte lorsqu'elle est partie l'année dernière avec leurs enfants : Hellen Karimi, neuf ans, Samuel Kirimil, sept ans, Jacob Kimathi, trois ans, Lillian Gatumbi, 18 mois, et Angelina Gatumbi, sept mois.
M. Mwiti a appris plus tard que sa femme avait donné naissance à un fils, qui est décédé.
Elle était une fervente adepte du pasteur Mackenzie depuis 2015 et s'était rendue pour la première fois à Shakahola en 2021, puis avait continué à y aller.
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Après avoir alerté la police à de nombreuses reprises et tenté en vain de les sauver, il a appris récemment par d'autres enfants qui s'étaient échappés, que ses enfants étaient morts.
"Ils ont pu les identifier grâce aux photos. Ils connaissaient leurs noms et savaient où Jacob et Lillian avaient été enterrés", raconte-t-il avec beaucoup d’émotions.
"On m'a dit de ne plus tenter de chercher mes enfants. Ils étaient tous morts. C’est trop tard.
Il pense qu'ils ont été enterrés dans la forêt, mais leurs corps n'ont pas encore trouvé.
Les inquiétudes sont dissipées
Shakahola est un mot swahili qui se traduit approximativement par "un lieu où les soucis sont dissipés".
Il est niché dans le vaste ranch de Chakama, d'une superficie de 20 000 hectares, dans le comté côtier de Kilifi.
Le pasteur Mackenzie aurait possédé 800 hectares de la zone forestière.
L'entrée de la forêt, par un chemin accidenté à l'écart de la route principale, se trouve à deux heures de route de Malindi, la ville principale la plus proche.
Des buissons d'épines et des fourrés parsèment le paysage et rendent le voyage vers Shakahola difficile. La chaleur y règne presque toute l'année et des éléphants s'y promènent parfois.
Plus on s'enfonce dans le pays, plus on est coupé du monde. Il n'y a ni réseau mobile, ni connexion internet.
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Terre sainte
Mais c'est là qu'une nouvelle terre sainte a été créée.
La région avait été divisée en village, chacun portant un nom de lieu biblique.
Certains des disciples du pasteur Mackenzie ont vécu une vie de privation en Judée. D'autres se sont retranchés à Bethléem. Il y avait aussi Nazareth.
"J'ai appris que ma femme et mes enfants ont vécu et sont morts à Jérusalem", raconte M. Mwiti. Mais il ne s'y est pas rendu depuis que les autorités ont commencé à exhumer les corps des tombes marquées.
Dans la forêt, les enquêteurs avaient initialement répertorié 65 sites où des personnes avaient été enterrées. Chacun d'entre eux comportait plusieurs tombes peu profondes avec des corps serrés les uns contre les autres.
Les enfants sont les premiers à mourir
Ceux qui ont exhumé les corps disent que l’image de personnes enterrées sans dignité les hante. La mort de 110 personnes a été confirmée, mais on craint que le bilan ne s'alourdisse au fur et à mesure que la forêt est fouillée.
Des autopsies doivent encore être effectuées, mais la police et les procureurs de l'État affirment que si certains sont morts de faim, d’autres membres sont morts étranglés, étouffés ou battus à mort à l'aide d'objets contondants.
D'anciens membres de l'église Good News International Church ont déclaré qu'ils avaient été contraints à ne pas manger pour pouvoir adhérer à ses enseignements.
Titus Katana, qui a réussi à s'échapper, affirme que ceux qui ont tenté de quitter la secte ont été traités de traîtres et ont fait l'objet de violentes attaques.
Il a également laissé entendre qu'il existait un ordre dans lequel les gens étaient censés mourir avant la fin du monde.
"Les enfants étaient les premiers à mourir. Puis, après les enfants, ils se sont attaqués aux célibataires. Ensuite, les mères et les personnes âgées étaient les prochaines sur la liste".
Les chefs d'église étaient censés être les derniers à mourir.
Un pasteur a vendu des terres à des disciples
M. Katana a déclaré qu'il pensait que le pasteur Mackenzie était "charismatique et prêchait bien la parole de Dieu".
Le fait que "Mackenzie vendait également des terres à ses disciples constituait un attrait supplémentaire. Cela m'a plu. J'ai acheté 15 hectares. Mais quand j'ai vu que sa prédication était bizarre, j'ai choisi de partir".
M. Mwiti explique qu'il a entendu dire que son fils n'a été allaité qu'une seule fois. Il est ensuite mort étouffé.
"J'ai entendu dire que lorsque mon fils a été tué, les membres de la secte, au lieu de pleurer, ont applaudi et se sont réjouis de son ascension et de sa rencontre avec Jésus", déclare-t-il.
L'analyse par la BBC des sermons vidéo du pasteur Mackenzie ne le montre pas en train d'ordonner directement aux gens de jeûner, mais il y a des adeptes qui sacrifient ce qui leur est cher, y compris leur vie.
À la fin de la semaine dernière, la Croix-Rouge kényane a signalé la disparition de 410 personnes, dont 227 enfants.
Impossible de persuader la mère de partir
Patrick Ngumbau est l'un d'entre eux.
Sa mère a disparu il y a deux ans et il est parti à sa recherche à Shakahola, mais bien qu'il l'ait trouvée, il n'a pas réussi à la persuader de partir.
"Je lui ai demandé si elle accepterait de rentrer à la maison. Elle m'a dit qu'elle n'avait qu'une seule mission : trouver Jésus", raconte M. Ngumbau, qui fait la queue parmi des centaines de personnes attendant des informations sur leurs proches.
"J'ai quitté Shakahola en 2021 avec beaucoup de tristesse, car j'avais l'impression que nous avions déjà perdu notre mère.
Il était venu du comté de Makueni, à 270 km de là, pour en savoir plus. Les proches des disparus se sont rassemblés à Malindi, venant de la Tanzanie et de l'Ouganda voisins, ainsi que du Nigeria, de l'autre côté de la frontière.
A la recherche de sa sœur
Christine Nyanchama est venue à Malindi depuis Nyamira, à près de 800 km de là, pour rechercher sa sœur, son beau-frère et six autres membres de sa famille. Les enfants de sa sœur - un neveu et une nièce - ont déjà été retrouvés morts, mais Mme Nyanchama pense que les autres sont peut-être encore en vie.
"Où que soit ma sœur, il faut l'aider le plus rapidement possible, avant qu'elle ne meure. Je crois savoir qu'elle a déjà jeûné pendant 22 jours", dit-elle en se référant au dernier message qu'elle a reçu.
Enseignements à la télévision
Les enseignements du pasteur Mackenzie en ligne et à la télévision ont semblé toucher certaines cordes sensibles. Il prêchait notamment contre l'éducation formelle et la médecine moderne.
Il avait déclaré avoir fermé l'église Good News International Church il y a quatre ans, après près de vingt ans d'activité, mais ses sermons, dont certains sont encore disponibles en ligne, semblent avoir été enregistrés après cette date.
Certains de ses fervents adeptes ont déchiré leurs diplômes, quitté leur emploi et refusé de vacciner leurs enfants.
Le Dr Susan Gitau, psychologue conseillère, estime que la plupart des personnes qui ont suivi le pasteur Mackenzie - y compris des universitaires et un officier de police d'élite - étaient à la recherche de réconfort, d'espoir, de force et de soutien.
Un pasteur arrêté puis libéré
Le pasteur Mackenzie a été arrêté en mars lorsque deux enfants ont été retrouvés morts à Shakahola. Lui et leurs parents ont été accusés de les avoir affamés et étouffés avant de les enterrer dans la forêt.
Il a toutefois été relâché par manque de preuves.
Il est de nouveau en détention, mais n'a pas commenté les accusations de meurtre, de radicalisation et de menace à la sécurité publique dont il fait actuellement l'objet.
Le président William Ruto a promis de mettre en place une commission d'enquête sur ce qui s'est passé, mais les autorités elles-mêmes doivent répondre à des questions délicates, notamment celle de savoir pourquoi elles ont mis tant de temps à se rendre compte que quelque chose se passait.
Aucune excuse pour les autorités
"Il n'y a aucune excuse valable pour les autorités", déclare Hussein Khalid, directeur exécutif de Haki Africa, le groupe qui a tiré la sonnette d'alarme.
"Nous sommes déterminés et nous voulons nous assurer que chaque victime obtienne justice.
M. Mwiti accuse le gouvernement, la police et les autorités locales de Malindi de ne pas avoir agi.
Il a maintenant donné aux autorités un échantillon de son ADN dans l'espoir que ses enfants puissent être identifiés. Dans ce cas, il pourra faire son deuil.