Les débuts de règne du président camerounais ont été ébranlés par un putsch râté, le 6 avril 1984. Mais, c'est aussi ce qui a permis à Paul Biya de consolider son pouvoir depuis 35 ans.
Depuis la fin des luttes pour l’indépendance, le Cameroun est perçu à l’extérieur comme un pays relativement stable. Mais on oublie trop souvent qu’il a connu d’autres heures troubles, notamment dans la première moitié des années 80. Deux ans après l’arrivée de Paul Biya au pouvoir, un coup d’Etat militaire fait vaciller le nouveau régime. Le pays plonge dans une dérive sécuritaire et les rivalités ethniques s’exacerbent entre le Nord, musulman pour une très grande partie, et le Sud, majoritairement chrétien. On n’est pas au bord de la sécession, mais les deux parties se regardent en chiens de faïence pendant les dix années qui suivent la tentative de coup d’Etat du 6 avril 1984.
Mais que s’est-il réellement passé?
On sait tout et presque rien de cette sombre histoire. On sait tout, parce qu’une importante production a été livrée sur le sujet, dont le livre La flamme et la fumée (éd. Sopécam) du regretté Henri Bandolo, journaliste à l’époque des faits et qui devint, plus tard, un thuriféraire du régime. On n’en sait presque rien, parce que, finalement, tout ce qui a été dit sur ce désormais fameux «6-Avril» au Cameroun, ne s’est appuyé que sur des rumeurs et sur les notes des procès expéditifs qui ont été menés contre les instigateurs de l’opération.
Le mouvement «J’ose!»
Toujours est-il que dans la nuit du 5 au 6 avril 1984, Yaoundé, la capitale du Cameroun, est brusquement réveillée par des coups de feu, avec des balles qui viennent se perdre jusque dans les domiciles de certains habitants. Les télécommunications sont coupées, et, la radio nationale diffuse en continu de la musique militaire, jusqu’à ce qu’un message, lu de façon saccadée, annonce la prise de pouvoir par le mouvement «J’ose!», en raison du «délabrement du pays et la situation pathétique de la gestion de l’Etat du Cameroun». La voix qui s’exprime ainsi au petit matin du 6 avril 1984, sur les ondes de Radio-Cameroun à l’époque, porte en réalité la parole d’un groupe d’officiers factieux de la Garde républicaine qui ont décidé de renverser le régime. Le couvre-feu est instauré et les frontières fermées.
Seulement, comme l’a décrit Henri Bandolo dans La flamme et la fumée, des soldats loyalistes, conduits par le général Pierre Semengué, organisent la résistance. En une journée, ils retournent la situation et Paul Biya peut s’exprimer à la nation, le 7 avril au soir, en tant que président de la République du Cameroun. Le putsch fait pschitt et les mutins prennent la poudre d’escampette. Mais, la journée est sanglante. Une centaine de morts sur le carreau. Et personne ne se doute encore que ce n’est qu’un début.
Immédiatement après la tentative de coup d’Etat, les soupçons se portent sur Ahmadou Ahidjo, le premier président du Cameroun, qui a démissionné deux ans plus tôt et que certains, accusent à ce moment-là, de vouloir revenir aux affaires. On soupçonne les militaires originaires du nord du pays, dont est issu Ahmadou Ahidjo. Dans son discours à la nation, lendemain de la tentative de putsch, Paul Biya, en fin stratège, relativise:
«La responsabilité du coup d’Etat manqué est celle d’une minorité d’ambitieux assoiffés de pouvoir et non celle de telle ou telle province, encore moins celle des Camerounais de telle ou telle religion.»
L’on peut penser que c’était une façon d'embrasser l’ennemi pour mieux l’étouffer. De fait, une véritable chasse aux sorcières commence alors dans le pays. De nombreux officiers de l’armée et des hauts fonctionnaires originaires du Nord sont interpellés, des procès s’enchaînent et des condamnations à mort pleuvent, des biens sont confisqués. Entre mai et août 1984, une quarantaine d’officiers sont exécutés sur la place publique. L’ancien président Ahmadou Ahidjo est condamné à mort par contumace, ce qui le contraint à partir de Mougins, en France où il est en vacances, pour s’exiler à Dakar, au Sénégal, où il meurt, quelques années plus tard.
A part leur message à la radio le 6 avril, on n’a donc vraiment jamais su ce qui a motivé les mutins ni qui était réellement derrière cette tentative de putsch contre Paul Biya. Si le plus célèbre des putschistes, le capitaine Guérandi Mbara, originaire du Nord, continue de vilipender le régime de Biya et d’appeler au soulèvement depuis son exil au Burkina Faso, il n’a jamais dit un mot sur ses éventuels soutiens. Lorsqu’il prend la tête de la mutinerie en 1984, il a 30 ans. C’est un spécialiste de l’artillerie sol-sol, formé à l’école militaire de Yaoundé, avec des célébrités comme… Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Il y a deux ans, le journal camerounais Le Messager dresse un portrait de cet ancien officier en exil, et essaie de lui faire dire un mot sur les «vrais» instigateurs de l’opération. En vain!
Devoir de mémoire
En tous les cas, pendant, une petite dizaine d’années, tout au moins, jusqu’à la loi d’amnistie des putschistes, promulguée en janvier 1991, les ressortissants du nord du Cameroun vont être vus d’un mauvais œil. Le pouvoir utilisera toutes sortes de méthodes pour les réprimer et les marginaliser, comme l’explique l’historien et environnementaliste camerounais Eugène Fonssi, par ailleurs directeur de la rédaction du magazine Ecovoxx:
«Le régime de Biya a vu en cette tentative de coup d’Etat, la main de l’aristocratie peule, et il en a tiré toutes les conséquences. L’un des effets les plus notables est la montée du tribalisme au Cameroun.»
Eugène Fonssi explique son propos par la difficulté qu’ont certains d’oublier ou de pardonner. C’est le cas de Dakolé Daissala, un autre «nordiste», comme on appelle les ressortissants de la région septentrionale du Cameroun, qui fut fait prisonnier après le 6-Avril:
«Le devoir de mémoire m’oblige à me souvenir de tout pour mieux pardonner à la faiblesse humaine, au nom des considérations supérieures qui devraient interpeller toute conscience éclairée.»
Sont-ce ces «considérations supérieures» qui ont conduit Dakolé Daissala, comme beaucoup d’autres, à finalement s’acoquiner avec le pouvoir en place? Il est devenu, un temps, après cette loi d’amnistie de 1991, un ministre de Biya.
Et c’est bien là, l’une des grandes forces du chef de l’Etat camerounais. La tentative de putsch qu’il a essuyée apparaît aussi comme ce qui lui a permis de consolider son pouvoir. Paul Biya, comme successeur constitutionnel, prend la tête du Cameroun, le 6 novembre 1982, après la démission d’Ahmadou Ahidjo. Les rivalités entre les différentes ethnies et la dispersion du paysage politique semblent avoir fait son jeu. En même temps que les «nordistes» haut placés sont pourchassés, les populations de cette région bénéficient de nombreuses faveurs. Bien souvent, au nom de la fameuse politique de «l’équilibre régional» mise en place dès le début des années 60.
Je te tiens, tu me tiens
Depuis ce coup d’Etat manqué, l’armée s’est vue plus que jamais être choyée. Avec la crise économique, et alors que les fonctionnaires camerounais subissaient des baisses de salaires, le solde des militaires n’a cessé d’augmenter, faisant des salaires des militaires les plus élevés de la Fonction publique camerounaise.
A titre d’exemple, en 2010, le budget de la Défense, constituait la deuxième plus grosse enveloppe de la loi des Finances. Une conséquence de la promesse que Paul Biya fait aux hommes en tenue en 2009, lors de la sortie des 31e et 32e promotions de l’Ecole militaire inter-armées (Emia), d’améliorer encore davantage les conditions de vie et de travail de l’armée. Une manière, visible mais efficace, de museler la grande muette.
A cela, le général Pierre Semengue qui sauva le régime de Biya en 1984 des mains des mutins, répond dans un livre-entretien, Toute une vie dans les armées, qu’il réalise avec Charles Atéba Eyene, un jeune zélateur du régime en place:
«L’armée est faite pour défendre le pays et non pour prendre le pouvoir, sauf cas exceptionnel, quand rien ne va plus.»
Pour continuer à bénéficier du soutien de cette même armée, quoi de mieux que lui accorder des faveurs. Avec des promotions à tout-va. Le pays compte aujourd’hui pas moins de 25 généraux. Un record depuis 1973. Et Michel-Roger Emvana, biographe de Paul Biya, et qui a bien connu les événements de 1984, de conclure:
«Le fait de ménager les hommes en tenue lui permet de maintenir une certaine stabilité pour son régime et dans le pays.»