Dans une correspondance publiée hier mardi 12 avril 2016, la leader politique revient sur ses mésaventures ainsi que celles de nombreux activistes politiques privés de liberté le 8 avril 2016 à Yaoundé.
Elle revient par le menu détail sur ce qu’elle et ses compagnons d’infortune ont vécu, enduré dans les locaux de la police camerounaise. Voici le récit-témoignage d’Edith Kah Walla.
Le 8 Avril, la distribution de flyers s’est bien déroulée à Douala comme prévu. Mais à Yaoundé, voilà ce qui nous est arrivé:
• Dix membres du CPP et du MRC prenaient le petit déjeuner en attendant les leaders de partis pour la distribution de tracts. Ils étaient bien sûr, tous vêtus de noir.
• Vers 09h00, ils ont été arrêtés là, pendant qu’ils prenaient le petit déjeuner. Personne n’avait encore distribué le moindre tract!
• C’est là que Bergeline Domou, secrétaire général adjointe du CPP et moi-même avons reçu un appel qui nous informait de cela.
• Nous les avons alors suivis jusqu’à la station de police de GMI Tsinga afin de savoir pourquoi ils avaient été arrêtés.
• Vers 10h00, lorsque nous sommes arrivés à GMI Tsinga, Bergeline et moi-même avons été immédiatement arrêté. Naturellement, nous avons résisté en essayant d'expliquer que nous étions venues pour nous renseigner sur le cas de nos collègues. Nous avons été bousculées et arrêtées aussi.
• A 11:20 Le Directeur Régional du Commissariat Central M. Fossoua est arrivé en personne et a ordonné que nous soyons transférés à la Direction Régionale de la Police Judiciaire.
• Une fois arrivés à la DRPJ, nous avons été reçus par le Commissaire Evina. Il nous a informé que nous étions accusés de «rébellion, d’incitation à l'insurrection et à la révolte" et que ces crimes étaient passibles de peines allant de 10 à 20 ans. Il nous a également informés que nous allions tous être détenus pendant au moins 48 heures.
• Nous avons poussé un soupir collectif. A nos questions de savoir pourquoi ? Qui avait ordonné notre arrestation et pourquoi Bergeline et moi qui n'avions pas été sur le terrain avaient été arrêtées, il a juste répondu: «Nous sommes ici pour faire l'enquête". Gardez vos déclarations pour l'enquête.
• Nous les avons informé que nous attendrons tous notre assistance juridique avant de faire des déclarations.
• Vers 13h00, le commissaire Evina est venu me dire qu'il avait un espace plus confortable pour moi où je pouvais attendre. Il m'a demandé de passer de la chaise branlante où j'étais assise dans un bureau dans lequel il y avait un canapé. C’était le bureau du commissaire principal adjoint Messina.
• Quelques minutes plus tard, un jeune homme a été amené par un agent de police et on lui a demandé de s’asseoir sur une chaise en face de moi. Il avait une caméra autour de son cou. Je me demandais ce que ce pauvre photographe avait fait pour être arrêté aussi. Commissaire Messina lui était assis à son bureau, mais il ne disait rien.
• Quelques minutes plus tard, le jeune homme leva sa caméra pour tenter de me prendre en photo. J’ai sauté du canapé et attrapé sa caméra, criant et demandant ce qu'ils pensaient être en train de faire. Le Commissaire regarda le sol. Le jeune homme sortit en tremblant.
• Ce fut le premier indicateur que la pression extérieure montait. Il était clair que quelqu'un de puissant avait demandé si tout allait bien. D'où mon passage à un bureau plus spacieux et un siège plus "confortable". (En passant, le canapé avait des puces et j’ai eu des piqûres horribles).
• Vers 15h00, mon avocat, Maître Meli est arrivé. Je lui ai demandé de faire le tour et s’assurer que tout le monde était OK. Il l'a fait, est revenu et nous avons pu commencer à prendre ma déclaration.
• La première interruption est venue lorsqu’il a demandé trois choses: les raisons de l'arrestation, le demandeur et le mandat d'arrêt. La premiere information avait été donnée, les deux dernières n’existaient pas.
• Le commissaire Evina vint lui-même pour m’interviewer. Il a dit que le demandeur était l'État, mais qu'il n'y avait pas de mandat d'arrêt et que l'avocat devait l’obtenir du GMI Tsinga. En dépit de cette illégalité, nous avons décidé de le laisser procéder à l'entretien.
• Je vais vous épargner le ridicule des questions, de dire que demander aux Camerounais de porter du noir le vendredi équivalait à "faciliter le rassemblement des insurgés"! Ou encore la question «pourquoi portez-vous ces vêtements sombres?"
• Vers 17h00 ma déclaration avait été prise et Maitre Meli et moi l’avons relus. Tout à coup, le directeur régional Fossoua était à nouveau sur les lieux. Avec la même énergie et grossièreté avec laquelle il avait demandé qu’on nous arrête dans la matinée, il était maintenant là pour ordonner au commissaire Evina de nous libérer immédiatement.
• Avant la libération cependant, nous avons été emmenés au sous-sol et un fichier de police a été ouvert sur nous. Chacun de nous a été photographié, les empreintes digitales recueillies et la police a deviné le poids de chaque personne, puisqu’ils n’ont pas de balance !
• Nous avons ensuite été précipités dans des voitures de police distinctes dont les conducteurs ont été dirigés pour nous emmener à nos maisons respectives ou quelle que soit la destination que nous souhaitions.
• Tout d'un coup, nous étions des VIP.
C’est seulement une fois libérés que nous avons réalisé le niveau de mobilisation qui avait lieu à l'extérieur.
· Les médias nationaux avaient commencé à diffuser la nouvelle depuis midi.
· Les médias internationaux avaient repris dès l’après-midi.
· Des journalistes étaient descendus au bureau de police
· Plus de 50 personnes avaient commencé à se rassembler autour du poste de police dès qu’ils avaient entendu la nouvelle à la radio et beaucoup d’autres étaient sur le chemin
· Sur Internet, des milliers de messages étaient publiés pour demander notre libération
· Des pétitions en ligne avaient été lancées.
· Au moins 3 gouvernements ont été mis en mouvement et entamé des pressions diplomatiques.
· A travers leurs différents réseaux, des milliers de Camerounais et amis du Cameroun ont travaillé à informer le monde de la situation
· Les FEMMES de chacun des réseaux auxquels nous appartenons, appelaient leurs gouvernements, appelaient les médias, dynamitaient Internet!
Un grand merci à nos familles biologiques, nos familles politiques, les médias nationaux et internationaux, les amis étonnants et puissants, tous les réseaux puissants qui sont entrés en mouvement. C’est vous qui avez assuré notre sécurité et permis notre libération.
Nous avons gagné cette bataille, mais la victoire finale pour la justice, la démocratie et la liberté au Cameroun est encore devant. Donc, plus que jamais:
1. Portez le Noir tous les vendredis. Vous n’avez pas encore besoin de participer à des réunions ou encore à des marches. Portez juste le noir et vaquez à vos occupations.
2. Informez et éduquez les Camerounais où que vous soyez.
a. La liberté d'exprimer votre opinion politique est un droit humain fondamental. Personne ne peut nous le retirer.
b. Il est inconcevable que, pendant que le RDPC bloque les routes en créant des embouteillages pour tenir ses rassemblements, d'autres partis politiques ne soient pas libres de tenir une conférence de presse ou distribuer des dépliants. Nous ne pouvons et ne saurons l'accepter.
3. Aucun peuple sur cette terre n’a obtenu la liberté, la démocratie, la justice sans agir. Nous devons agir pour construire le Cameroun que nous voulons.
Il est l’heure !