Le déraillement du train 152 à proximité de la gare d’Eseka en octobre 2016 avait fait officiellement 79 victimes et plus de 600 blessés.
Plus de six mois après l’accident de train d’Eseka qui avait fait, officiellement, 79 morts et plus de 600 blessés, le premier procès contre la Cameroon Railways (Camrail) s’est ouvert, mercredi 17 mai, au tribunal de première instance (TPI) de Douala, capitale économique du Cameroun. Initialement prévu pour débuter lundi, le procès avait été immédiatement renvoyé à mercredi pour « indisponibilité » de la juge désignée.
Ce premier volet judiciaire, important pour les victimes, n’est pourtant pas destiné à faire la lumière sur les raisons de ce drame. « Ce n’est pas un procès comme les autres, explique d’emblée Michel Voukeng, avocat du collectif des parties civiles.
Le juge des référés, c’est le juge de l’urgence. Vu l’état de détresse psychologique des familles, il est urgent qu’on leur apporte des réponses. Cela n’interfère pas sur le fond du dossier mais nous ne sommes pas sur les causes du sinistre. Des personnes demandent à ce qu’on leur rende les corps ou les restes de leurs proches disparus pour pouvoir faire leur deuil. »
Le directeur général de Camrail, Didier Vandenbon, Cyrille et Vincent Bolloré de la société Bolloré Transport Logistics, actionnaire majoritaire de la société ferroviaire, assignés devant le juge des référés par des proches de passagers portés disparus lors de l’accident du train 152 du 21 octobre 2016, n’étaient pas présents lundi.
« La douleur ne disparaîtra pas »
Vêtu d’un complet veston gris et assis au premier rang du tribunal, Me Thomas Dissake, a suivi, le regard triste, les échanges du collectif d’avocats qui le défend et ceux de Camrail. Depuis le soir du 21 octobre, cet avocat recherche « désespérément » le corps de son épouse Dorette Enangue Njoh, notaire et occupante du siège n° 54C du train 152.
« C’est un drame que je vis à ma façon. Les premiers jours, c’était très dur. J’ai eu des insomnies. Aujourd’hui, je me suis rabattu sur la recherche de mon épouse. Elle n’est pas là, lance-t-il. La douleur ne disparaîtra pas tant que je ne l’aurais pas vue. »
Comme Me Thomas Dissake, David Mekem a cherché en vain son fils, Romial Tedonzong commerçant, qui sortait de Kye-Ossi à la frontière entre la Guinée équatoriale et le Cameroun, et se rendait à Douala pour approvisionner son commerce en biens de consommation. Tous deux ont décidé de saisir la justice.
Me Thomas Dissake, avocat, don tla femme a disparu dans l’accident du train 152 de la Camrail à Eseka, le 21 octobre 2016. CRÉDITS : JOSIANE KOUAGHEU
Ce 21 octobre, au lendemain de l’effondrement d’un pont reliant Douala à Yaoundé, les deux principales villes du Cameroun, réduisant de fait les possibilités de transport, plus de 1 300 personnes se ruent pour prendre le train à la gare de Yaoundé. Huit wagons sont ajoutés aux neuf habituellement prévus pour le voyage jusqu’à Douala.
Le train quitte la gare autour de 11 heures. Deux heures plus tard, et 120 km parcourus, le train 152 déraille à l’approche de la gare d’Eseka. Depuis, de nombreuses familles sont sans nouvelles de leurs proches. D’une part, les restes de victimes non identifiées sont conservés à la morgue. D’autre part, l’affluence de ce jour-là ayant débordé les services en gare, des passagers seraient montés dans le train sans billet.
« Un transporteur doit déposer ses passagers sains et saufs à la ligne de destination, explique Me Michel Voukeng, après le renvoi du procès. C’est l’une des conditions du contrat de transport lorsqu’on achète un billet. Les familles de ceux qui ont acheté ce billet et devaient être déposés à Douala recherchent ces personnes, physiquement saines et sauves. Si ces passagers, par extraordinaire, sont morts, qu’on nous remette les corps ! Nous demandons l’identification et la remise des corps. » Dans le cas contraire, le collectif d’avocats exige que Camrail fournissent aux familles les actes de décès.
« Tableau de bord financier »
Pour Me Michel Voukeng, le procès actuel en cache deux autres : celui de la justice par rapport à elle-même et celui de la finance contre les droits humains.
« Aujourd’hui, la justice recherche une veuve et un orphelin. Mais ce procès est aussi celui du capitalisme d’une certaine France contre les pays africains (…) Quand un conducteur dit qu’il ne peut démarrer parce qu’il n’y a pas de freins. Qu’est-ce qui oblige des gens à mettre les trains en route malgré cette défaillance ? Tout simplement parce qu’il y a le tableau de bord financier », tranche-t-il.
« Les journalistes qui sont dans cette salle doivent comprendre qu’on utilise la justice à d’autres fins », a rétorqué Me Serges Zangue, l’avocat de Camrail et de ses assureurs.
Au lendemain du drame, trois enquêtes avaient été ouvertes pour déterminer les causes exactes de cet accident. Paul Biya, président du Cameroun, avait créé une commission d’enquête avec à sa tête Philémon Yang, le premier ministre, afin de déterminer les causes de l’accident et de proposer des « mesures visant à limiter les risques de survenance d’une telle catastrophe à l’avenir ».
De son côté, le groupe Bolloré avait ouvert une enquête interne alors que la gendarmerie et la police judiciaire du Cameroun menaient la leur. Aucun de ces résultats n’a été rendu public. Un rapport d’experts avait cependant mis en exergue la « défaillance du système de freinage ».
« Le problème, pour moi, c’est que Camrail ne semble pas être consciente. C’est elle la principale responsable. J’ai vu son directeur général qui est plus soucieux des expertises techniques que de la recherche de mon épouse, s’offusque Me Thomas Dissake qui a saisi à trois reprises, par courrier, Vincent Bolloré en personne, sans jamais avoir obtenu de réponse. « Le temps n’a pas de sens pour moi. J’ai de l’énergie pour poursuivre. »