Depuis plus d'une décennie, la Syrie est en proie à une guerre civile violente. Le dictateur Bachar al-Assad a appliqué une politique de la "terre brulée", d'abord pour écraser la société civile, puis les diverses forces rebelles, y compris les islamistes. Une grande partie de l'opposition a été soutenue secrètement par d'autres nations arabes, et le président Assad est devenu un paria régional. Aujourd'hui, ses voisins arabes accueillent le président Assad à bras ouverts, la Syrie réintégre la Ligue arabe. Qu'est-ce qui a mené à ce remarquable retournement de situation et que signifie ce retournement pour la Syrie, son peuple et la région ? Feras Kilani, de la BBC Arabic, suit le conflit depuis 2011 et répond à quelques questions clés.
La guerre civile syrienne touche-t-elle à sa fin ?
Je pense que nous assistons au début de la fin de guerre. Ce qui a commencé comme un soulèvement contre la dictature d'Assad s'est transformé en une guerre civile impitoyable, avec une grande partie de la Syrie sous le contrôle des rebelles.
Aujourd'hui, les groupes d'opposition ne gèrent plus qu'une minuscule zone à la frontière avec la Turquie.
Depuis la défaite du groupe État islamique (EI) en 2017, le reste du pays, à l'exception des régions kurdes autonomes, est sous le contrôle d'Assad.
L'invitation d'Assad à réintégrer la Ligue arabe est simplement la prise en compte de la réalité sur le terrain. Cela ne signifie pas que la situation va changer du jour au lendemain, car il y a d'autres acteurs - les États-Unis, la Russie et l'Iran -, mais nous assistons au début de la fin de cette guerre.
Pourquoi faire venir Assad maintenant ?
Cela s'est produit après de longues discussions entre les nations arabes, sous l'impulsion du prince héritier Mohammed ben Salmane d'Arabie saoudite.
Il y a eu un processus progressif de réintégration, et bien qu'il y ait encore une certaine résistance, la majorité des pays arabes ont compris que comme ils ne pouvaient pas renverser le régime syrien, ils devaient vivre avec celui-ci.
Plusieurs facteurs sont à considérer de manière particulièrement urgente. Le premier est la question d'une drogue appelée Captagon, une forme d'amphétamine.
On pense que le président Assad a permis qu'une énorme quantité soit produite en Syrie (le gouvernement britannique affirme que le pays produit environ 80 % de l'offre mondiale), avant d'être exportée vers le Liban et la région.
Plus de 400 millions de comprimés ont été saisis au Moyen-Orient et au-delà au cours de la seule année 2021, ce qui représenterait une fraction de la production totale.
Il s'agit d'une véritable source d'inquiétude, en particulier en Arabie saoudite, qui espère que la réintégration de la Syrie dans la Ligue arabe contribuera à réduire l'approvisionnement en drogue.
Les inquiétudes concernant l'Iran sont tout aussi importantes. En tant que puissance chiite prédominante dans la région, Téhéran exerce une influence considérable sur quatre capitales arabes : Bagdad, Beyrouth, Sanaa et Damas. La Ligue arabe pourrait estimer que ce processus pourrait affaiblir l'emprise de l'Iran sur la Syrie et perturber ce que l'on appelle le " croissant chiite " au Moyen-Orient.
Les États-Unis et l'Union européenne peuvent s'opposer à la réintégration d'Assad, mais ils ne peuvent pas faire grand-chose. Assad ne sera pas démis de ses fonctions et je pense que le monde arabe a décidé que la situation actuelle ne pouvait plus durer.
Qu'est-ce que cela signifie pour les Syriens déplacés ?
Des millions de Syriens ont dû se déplacer à cause de cette guerre et beaucoup d'entre eux vivent dans d'autres pays - la Turquie, le Liban et la Jordanie - et en Europe.
De très nombreux Syriens ont également dû se déplacer à l'intérieur de leur propre pays : trois millions dans les provinces d'Idlib et d'Alep, qui vivent pour la plupart dans des camps. Se sentiront-ils un jour en sécurité en retournant dans les zones contrôlées par un gouvernement qu'ils estiment responsable de tant de tueries et de dégâts ?
Nous croyons comprendre que lors d'un sommet en Jordanie, le régime a promis de leur permettre de rentrer chez eux sans risque de persécution, mais croiront-ils à ces assurances ? Je n'en suis pas certain. Nous avons vu des centaines de personnes qui sont retournées dans les zones contrôlées par le régime se faire arrêter.
Il se peut que les raisons du retour soient dictées par la situation dans laquelle les gens se retrouvent. Je ne m'attendrais pas à ce que ceux qui ont fui vers l'UE ou le Royaume-Uni retournent en Syrie.
Qu'en est-il des régions contrôlées par les Kurdes ?
Les régions kurdes n'ont jamais vraiment été en guerre contre le régime d'Assad et ont contribué à la lutte contre l'EI, mais la Turquie voisine considère l'idée d'un État kurde à sa frontière comme inacceptable.
Il y a quelques années, nous avons vu les forces turques attaquer les Forces démocratiques syriennes (FDS) dirigées par les Kurdes et occuper une "zone tampon" de 30 km à l'intérieur de la Syrie, s'étendant sur 150 km de la frontière.
Assad pourrait s'en servir comme levier pour reprendre le contrôle du territoire kurde et forcer les FDS à se désarmer.
Il pourrait en découler une zone semi-autonome administrée par les Kurdes, qui perdraient l'indépendance qu'ils ont durement gagnée.
Par ailleurs, Assad pourrait conclure des accords avec la Turquie qui lui permettraient de traiter les Kurdes comme il l'entend.
La situation est compliquée par la présence, dans les zones kurdes, d'immenses camps de prisonniers où sont détenus d'anciens membres de l'EI et leurs familles, ainsi que d'un millier de soldats américains.
Mais s'agira-t-il d'une priorité stratégique pour les États-Unis ou, une fois de plus, le peuple kurde aura-t-il le sentiment d'avoir été trahi ?
Qu'en est-il des djihadistes qui résistent encore à Assad ?
Tout d'abord, il convient de souligner que nous ne connaissons pas vraiment le nombre de personnes concernées.
Un grand nombre d'entre eux ont été tués en combattant à la la fois le régime et l'EI, il ne reste donc peut-être que quelques centaines de personnes affiliées à Al-Qaïda ou à d'autres groupes.
Il faudra que la Turquie et la Syrie discutent pour permettre à ceux qui ne sont pas considérés comme des terroristes de retourner dans leur pays d'origine ou d'être arrêtés.
Pour le reste, ils pourraient convenir d'une solution militaire, comme ils l'ont fait avec l'EI. En réalité, c'est en s'occupant des derniers combattants de l'opposition que l'on parviendra à mettre un terme à la guerre civile.
Quel sera l'impact sur l'ensemble de la région ?
L'impact direct le plus important concernera le Liban - la situation économique est catastrophique et la situation politique est totalement paralysée - et l'entrée en scène de la Syrie pourrait avoir un impact positif.
S'il s'agit d'une mesure visant à contrer l'influence iranienne, elle pourrait également contribuer au récent rapprochement entre l'Arabie saoudite et l'Iran.
Assad est un proche allié de Téhéran, et sa réintégration pourrait généralement faire baisser la tension dans la région.
Cela pourrait contribuer au processus en cours visant à mettre fin à la guerre civile au Yémen, un autre conflit par procuration qui a déstabilisé le Moyen-Orient ces dernières années.
Cela signifie-t-il qu'Assad a gagné la guerre civile syrienne ?
Oui, il l'a fait, mais à quel prix ?
En réalité, il y est parvenu il y a quelques années, quand la Russie est intervenue entièrement et que le groupe EI a été vaincu.
C'est la définition même d'une victoire à la Pyrrhus : La Syrie a été complètement détruite, son économie ruinée et sa population déplacée et traumatisée.
Il a gagné le pouvoir, mais sur une nation qui mettra des décennies à s'en remettre. Aux yeux de beaucoup, sa réputation est détruite à jamais.