Les fantômes de 1983 et 1984 - Pourquoi Paul Biya n'a jamais fait confiance à Bello Bouba

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Wed, 1 Oct 2025 Source: www.camerounweb.com

Jeune Afrique lève le voile sur les événements qui ont façonné la relation entre Paul Biya et Bello Bouba Maïgari. Deux dates clés expliquent pourquoi, malgré des décennies d'alliance, la méfiance présidentielle n'a jamais faibli.

Derrière l'alliance apparemment solide entre Paul Biya et Bello Bouba Maïgari se cache une histoire de méfiance profonde et d'une mémoire qui n'oublie rien. Dans une enquête exclusive, Jeune Afrique révèle comment deux événements des années 1980 ont définitivement scellé la relation entre le chef de l'État camerounais et son allié du septentrion.

La première date clé remonte au 18 juin 1983. Paul Biya est au pouvoir depuis moins d'un an, et Bello Bouba Maïgari occupe le poste de Premier ministre. Ce jour-là, selon les révélations de Jeune Afrique, les deux hommes se rencontrent pour un entretien qui se déroule sans animosité apparente.

Mais deux heures plus tard, la radio annonce un remaniement gouvernemental. Bello Bouba Maïgari apprend qu'il conserve son poste de Premier ministre, mais que plusieurs proches de l'ancien président Ahmadou Ahidjo sont écartés du gouvernement : Sadou Daoudou, Samuel Eboua, Ayissi Mvodo. Le Premier ministre est ulcéré par cette manœuvre qu'il juge déloyale.

Jeune Afrique dévoile ce qui se passe ensuite dans les coulisses du pouvoir. Quelques heures après l'annonce du remaniement, Ahmadou Ahidjo, l'ancien président qui a quitté le pouvoir un an plus tôt, convoque les ministres issus du septentrion dans sa résidence du lac de Yaoundé.

Selon les sources du magazine panafricain, Ahidjo présente alors un projet audacieux : une démission collective destinée à faire vaciller le jeune président Paul Biya. Bello Bouba Maïgari est présent à cette réunion historique. Mais, prudent, il ne soutient pas l'initiative, qui échoue finalement.

Cette prudence ne lui sera d'aucun secours. Un mois plus tard, Paul Biya le limoge de son poste de Premier ministre. « Biya n'a jamais oublié », confie à Jeune Afrique un proche de la présidence. La simple présence de Bello Bouba à cette réunion, même sans soutien actif au projet, suffit à éveiller la méfiance présidentielle.

La deuxième date gravée dans la mémoire de Paul Biya est celle du putsch manqué de 1984. Cette année-là, des officiers issus du septentrion et fidèles à Ahmadou Ahidjo tentent de renverser le président. Le coup d'État échoue de peu, mais la répression qui suit est féroce.

Jeune Afrique révèle que, pour Paul Biya, Bello Bouba Maïgari reste associé à cette période trouble. « Biya n'a jamais oublié, pas plus qu'il n'a oublié le putsch de 1984, lors duquel Bouba Maïgari était au Nigeria », explique la source proche de la présidence citée par le magazine. La présence de l'ancien Premier ministre à l'étranger au moment de la tentative de coup d'État alimente les soupçons, même sans preuve tangible de sa participation.

Ces événements s'inscrivent dans un contexte plus large. L'épisode de 1984 marque durablement Paul Biya, qui développe depuis une méfiance sans bornes envers les notables nordistes. « Or, Bello Bouba Maïgari est l'un des acteurs de la rébellion de 1984 pour Paul Biya », explique à Jeune Afrique un proche de la présidence.

Cette méfiance structurelle explique paradoxalement l'alliance qui suivra. En maintenant Bello Bouba Maïgari à proximité, en lui offrant des responsabilités contrôlées, Paul Biya applique la vieille maxime : mieux vaut avoir ses ennemis près de soi. L'ancien Premier ministre devient ainsi un allié sous surveillance, utile pour contrôler le septentrion, mais jamais vraiment digne de confiance.

Jeune Afrique met en lumière le paradoxe tragique de cette relation politique. « C'est le paradoxe de Bouba Maïgari, résume un opposant au magazine. Les Camerounais doutent de lui aujourd'hui parce qu'il a choisi pendant des décennies d'être l'allié d'un président qui n'a pourtant jamais eu confiance en lui. »

Pendant plus de trente ans, Bello Bouba Maïgari a ainsi navigué dans une alliance où la confiance mutuelle n'a jamais existé. D'un côté, un président qui n'oublie rien et maintient son allié sous surveillance constante. De l'autre, un dirigeant politique qui accepte cette situation ambiguë en échange de quelques strapontins et d'une survie politique garantie.

Aujourd'hui, en se portant candidat à la présidentielle, Bello Bouba Maïgari tente de transformer ce passif en atout, de se présenter comme celui qui a finalement rompu avec un système qu'il connaît de l'intérieur. Mais les révélations de Jeune Afrique montrent l'ampleur du défi : comment convaincre les électeurs quand le poids des années 1980 continue de peser sur chaque décision, sur chaque alliance, sur chaque promesse ?

« Même s'il a engrangé quelques soutiens récemment, il ne parvient globalement pas à faire oublier le passé », conclut l'opposant interrogé par Jeune Afrique. Un passé qui, quarante ans plus tard, détermine encore le présent politique du Cameroun.

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