A la question d’un journaliste français de savoir si le président camerounais, Paul Biya, envisageait sa retraite prochaine ou s’il allait se représenter pour la prochaine présidentielle, l’intéressé a répondu par une boutade: « ne dure pas au pouvoir qui veut, mais qui peut ». Comprenne qui pourra.
En juillet dernier, lors de la visite d'Emmanuel Macron, la même question est revenue et cette fois-ci, il a dit que si son mandat finit et que les camerounais ne veulent plus de lui, il ira rester au village.
Depuis le 6 novembre 1982, l’homme qui préside aux destinées du Cameroun est devenu l’un des plus anciens chefs d’Etat encore en exercice en Afrique, sinon le plus ancien. Dans un artice d'il y a quelques années, lepotentielonline.com avait dressé une liste des 10 secrets de la longévité de Paul Biya au pouvoir. Au fil des années, ces explications sur la longévité de l’un des chefs d’Etat les plus taciturnes d’Afrique semblent être avérées.
1 – L’expérience
Paul Biya, ou Paul Barthélemy Biya’a Bi Mvondo à l’état civil, a fait son apprentissage à l’ombre de son mentor, feu l’ancien président Ahmadou Ahidjo dont il devient le Chargé de mission à partir de 1962.
Il gravit tour à tour les escaliers de Secrétaire général à la Présidence pour finalement devenir Premier ministre en 1975. Hormis Paul Biya, nul ne sait vraiment ce qui s’est passé entre l’ancien président Ahmadou Ahidjo et lui. Toujours est-il que c’est Paul Biya qui lui succède après l’annonce de sa démission le le 4 novembre 1982.
2 – L’armée
Deux ans après son accession à la magistrature suprême, une tentative de coup d’Etat va ébranler le Cameroun le 6 avril 1984. Des mutins au sein de la garde présidentielle s’opposent à l’armée loyaliste et cela se termine par la victoire des loyalistes.
Là aussi, entre Paul Biya et Ahmadou Ahidjo bien des questionnements resteront en suspens quant aux mobiles de ce coup d’Etat avorté et à ses commanditaires. Les deux camps se sont, semblent-ils, accusés. Au point que le doute continue toujours de planer sur le contenu de ce qu’il serait convenu d’appeler « la passation de service entre l’ancien président Ahmadou Ahidjo et le nouveau président Paul Biya » en son temps.
Une chose est sûre, Paul Biya comprend vite qu’il lui faut s’arc-bouter sur des hommes de confiance au sein de l’armée camerounaise. Il opère donc un bon ménage, en dégageant nombre de ceux qui étaient du Nord comme l’ancien président Ahmadou Ahidjo de son entourage immédiat et des vrais leviers de commande.
Depuis, l’armée constitue l’un des piliers du système Biya. Et les chefs de la grande muette comptent parmi les privilégiés du système.
3 – La chefferie traditionnelle
Le Cameroun est l’un de ces rares pays africains où les chefferies traditionnelles, et ce dans tout le pays, occupent et jouent un rôle prépondérant dans la vie des communautés locales.
Aussi, le président Paul Biya a-t-il très tôt compris l’intérêt politique qu’il pouvait en tirer en les associant soit directement à la gestion du pouvoir politique, soit en leur offrant avantages, libéralités et autres prestiges. Faut-il le rappeler, des salaires ont été octroyés à ces derniers.
4 –Le parti RDPC
L’ancien parti unique, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) qui a fait sa mue avec l’adoption du multipartisme dans le pays a toujours comme chef de file le président de la République, Paul Biya. Il s’agit d’un parti qui a plus de trente ans d’expérience de mobilisation.
Né le 24 mars 1985 à Bamenda, il s’agit d’une véritable machine qui est rôdée dans différentes campagnes. Sans compter qu’il bénéficie d’importantes ressources financières dont ne dispose aucun autre parti camerounais. Et qu’il est toujours au pouvoir.
5 – Le népotisme
Ils sont légion les compatriotes du président Paul Biya à l’accuser de gouverner en ne s’arc-boutant que principalement sur une oligarchie Beti-Bulu, peuples du Sud du pays dont lui-même est originaire. Le dernier rapport du Département d’Etat américain fait ainsi allusion par exemple à l’attribution des postes à responsabilité sur des critères régionalistes et ethniques en parlant du Cameroun.
Et ledit rapport note : « les 286 groupes ethniques du Cameroun ne sont pas proportionnellement représentés dans l’administration et d’autres instances du pays. Les membres du groupe Beti/Bulu du Sud -région d’origine de Paul Biya- occupent les postes clés et sont disproportionnellement représentés dans le gouvernement, les entreprises publiques, le RDPC ».
6 – Le réseau des femmes
Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) est peut-être l’un des rares partis politiques africains à avoir compris depuis toujours qu’il faut compter avec les femmes. Organisées à travers le territoire national, les femmes du RDPC constituent un atout supplémentaire au système Biya.
7 – L’Opposition francophone-anglophone
L’opposition entre francophones et anglophones est une donnée politique avec laquelle Paul Biya a toujours su jouer. En nommant le plus souvent, à des périodes difficiles, des Premiers ministres émanant de la partie anglophone du pays.
Tout comme il a su jouer avec lors de la très disputée présidentielle de 1992, à l’occasion des premières élections multipartites, et dont on ne sait vraiment pas entre son opposant John Fru Ndi du Social Democratic Front (SDF) et Paul Biya qui fut le vrai gagnant du scrutin. La France ayant manifestement penché du côté de Paul Biya à l’occasion.
8 – La corruption
Le Cameroun a déjà été en tête de peloton des pays les plus corrompus, avant de se voir détrôner. La corruption est même reconnue par certains organismes et institutions comme une particularité du pays. Le dernier rapport du Département d’Etat inique qu’elle est institutionnalisée. Et d’écrire : « la corruption est présente à tous les niveaux du gouvernement camerounais ».
9 – Les divisions de l’opposition
Si les Camerounais ont manifesté à certains moments de la vie sociopolitique de leur pays une volonté de changement et le départ de Paul Biya du pouvoir, ils n’ont en revanche jamais pu former une union sacrée de l’opposition. Les coalitions ont souvent volé en éclats par le fait des leaders politiques et au grand dam des militants.
10 – Les réseaux internationaux
Dans l’un de ses articles intitulé « Francs-maçons: l’Afrique aux premières loges », le journal français L’Express classait le président camerounais, Paul Biya, parmi ceux qu’il a appelé « les frères de l’ombre ». A savoir ceux qui auraient été initiés, mais qui n’ont jamais confirmé leur appartenance à l’Ordre des Francs-maçons.
Il reste que l’ancien séminariste qui a manqué de peu de devenir prête, a tout aussi gardé d’excellentes relations avec la Curie romaine. A cela, il faut ajouter les réseaux que les années passées au pouvoir dotent naturellement de tout chef d’Etat. Notamment, auprès d’hommes d’affaires, de partis politiques de pays étrangers, d’amis et d’obligés.