Le Rdpc, parti au pouvoir depuis une quarantaine d’années, est un ogre qui broie tout sur son passage. Même son propre géniteur semble s'en méfier. Dépassé et excédé, il n'a pas hésité à le qualifier de parti proche du pouvoir. Ce que beaucoup ont interprété comme une marque de distanciation vis-à-vis de sa propre formation politique.
Le parti du flambeau, que certains désignent par le doux nom de «parti des flammes », apparaît comme une hydre qui attrape, aspire et avale tout. Tel le monstre de Frankestein, le Rdpc semble échapper au contrôle de son créateur. Au Cameroun, le parti-Etat s'est substitué à l'Administration centrale.
Il fait et défait les carrières des fonctionnaires ; désigne les admis aux différents concours d’intégration à la fonction publique ; distribue les passe-droits aux hommes d’affaires véreux ; octroie des sauf-conduits aux délinquants fiscaux ; coopte les candidats aux postes électifs en son sein et attribue des titres de noblesse : délégués régionaux et départementaux permanents et autres chargés de mission.
Tous des militants sans mandat électif, mais parachutés au sommet du parti grâce à leur prodigalité envers «le parti ». Les présidents de section se contentent des délégations communales. Cette stratification crée des situations de rentes pour mieux extorquer des fonds aux ministres, directeurs généraux, députés, sénateurs, maires et conseillers régionaux issus de ses rangs.
Grandeurs et misère
En-dehors du Rdpc, point de salut. C’est le passage obligé pour l’insertion et l’ascension sociales. Conséquence, tout le monde se bouscule au portillon. Les universitaires troquent leurs toges académiques contre les oripeaux du parti ; les militaires et policiers leurs treillis et épaulettes contre les armoiries du parti du flambeau ; les prêtres et les pasteurs leurs soutanes et clergymen contre les effigies de Paul Biya ; et les capitaines d’industrie assujettissent les présidents de section.
Ainsi désacralisés, démystifiés, défroqués, ces imminents membres de l’intelligentsia peuvent accéder à la mangeoire : grades académiques et militaires ; promotion aux hautes fonctions civiles et militaires ; cooptation pour faire partie des célébrants des messes et cultes œcuméniques lors des grands rassemblements du Rdpc. Appels à candidature, motions de soutien et autres actes d’allégeance au Président national sont signés par ces sommités censées appartenir à des milieux apolitiques.
Ainsi dévoyés, ils se livrent à la surenchère, accèdent à des postes de gestion sans aucune connaissance en management. D’où de nombreuses erreurs de gestion vite transformées en détournements de fonds publics en cas de poursuites judiciaires, lesquelles sont par ailleurs seulement réservées à tous ceux qui seraient soupçonnés de manque de loyalisme, de non-retour d’ascenseur ou de militantisme ombrageux. Malheur donc à ceux-là qui ne savent pas arroser en permanence cette fleur du mal à sa tige. Gare surtout à ceux qui ne veulent pas renvoyer l’ascenseur une fois promus grâce à l’entregent de cette formation politique. Au mieux c’est la déchéance assurée.
Au pire, la descente aux enfers dans les geôles de Kondengui et de New Bell. Il y a permanemment des appels de fonds pour les différentes échéances politiques. Les enchères sont telles que certains se croient obligés, par ambition, par enthousiasme militant ou par excès de zèle de puiser dans les caisses de l’État ou d’utiliser l’argent des marchés publics fictifs ou non livrés pour approvisionner celles du parti. Du moins le pensent-ils, puisque les trésoriers généraux successifs se sont toujours plaints du fait que les caisses du parti sont désespérément vides .
En son temps, Emah Basile, alors Trésorier général du Comité central, avait dénoncé la création d’une trésorerie parallèle au sein du Secrétariat général. La dénonciation est restée sans suite. Le guichet informel continue de tourner à plein régime. Le Secrétariat général aurait ainsi réussi à caporaliser les cadres du parti pour mieux les rançonner grâce à l’ingénieuse idée de création d’états-majors. Plus que la dîme, les cotisations informelles, puisqu’elles ne sont conformes à aucun taux exigible et ne sont pas versées au guichet échu mais à celui indu, constituent une sorte d’ «impôt libératoire», de blanc-seing pour accéder au saint Graal : le Comité central du Rdpc. Il en est de l’accès à cette haute instance comme des autres démembrements de cette formation politique très proche du pouvoir.
L’admission ou la promotion ici est censitaire. C’est-à-dire, seuls les militants dont les cotisations dépassent un seuil très élevé sont éligibles aux différents postes : coordonnateurs des opérations électorales, délégués permanents du Comité Central, chargés de mission … Plus que la signature du décret portant remaniement du gouvernement, celle portant désignation des membres des différentes délégations du Comité central par le Secrétaire général dudit Comité est plus attendue, plus courue, plus appréciée et plus valorisante.
L'Action, le journal du parti, réalise à l’occasion ses meilleurs tirages et bat tous les records de ventes. Les exemplaires de ces éditions spéciales sont brandis comme des trophées de guerre par les heureux élus, nommés. Il faut donc mettre la main à la poche. Pendant ce temps, le Commissaire-priseur du Secrétariat général du Comité central ne fait que monter les enchères. D’aucuns ont tôt fait de confondre leur poche à la caisse de l’Etat. La bataille de positionnement fait donc ainsi rage au sein du saint.
Des camarades sans esprit de camaraderie se jettent des peaux de banane quand ils ne se crêpent pas le chignon comme des chiffonniers sur la place publique. Le Secrétaire général a beau multiplié des appels à l’esprit d’équipe la veille des campagnes électorales, rien n’y fait. Délation ; invectives publiques, comme celles de Ndavo par Nyakokombo dans le Nyong-et Mfoumou qui firent sensation ; colportage ; commérages ; cancans et autres Kongossa, comme celui de la Mefou-et-Akono où dans un « voice », un message vocal sur le réseau WhatsApp, un capitaine d’industrie traitait deux ministres de mendiants, composent l’ambiance délétère lors des campagnes électorales. Pourtant, la veille de celles-ci, les consignes sont claires : «Travailler en rangs serrés, la main dans la main, avec des attitudes et comportements débarrassés de haine, de rancœurs ou des rancunes…».
La discipline du parti est mise à rude épreuve. Chacun a des relations particulières et interpersonnelles avec le SG du Comité central. Des relations d’argent qui entraînent à coup sûr une certaine arrogance. C’est chacun qui veut montrer qu’il est la fabrication de Paul Biya. Quand il ne demande pas à se faire appeler Paul Biya comme ce personnage de l’humoriste Kouokam Narcisse, qui demandait, hautain et persifleur, «Appelez-moi que Honorable ».
Un narcissisme qui pousse certains à s’autoproclamer Elite majeure. Un superlatif absolu et malsain dans la mesure où le terme Elite désigne déjà une classe d’individus supérieurs, de référence et modèles de la société et non un seul individu qui a la prétention d’être supérieur aux autres par la seule force du décret présidentiel.
Présidents donneurs
Dans cet activisme militant, d’aucuns n’hésitent pas à faire embastiller les autres, quand ils ne se réjouissent pas de leurs malheurs. Cela devient un cycle infernal lorsque ceux qui ont été calomniés et se sont faits embastiller du fait des autres font tout et pour tout pour diffamer et faire embastiller leurs bourreaux. De calomnies en calomnies, tous finissent par se retrouver derrière les barreaux. Cela ne relève donc pas du hasard que dans cette course effrénée à la mangeoire, toutes les proies de l’Epervier se recrutent dans les rangs du Rdpc. Quelqu’un aurait même dit que « L’Epervier survole le Rdpc ».
Un parti qui prône pourtant la rigueur et la moralisation. Et qui en plus dispose d’une école des cadres du parti.A croire que ses militants sont plutôt à l’école de la rapine.A moins que ce ne soit ce parti qui pousse lui-même ses militants à la faute. Car non seulement ses instances dirigeantes assistent passivement aux querelles intestines entre camarades, elles se contentent aussi d’installer un poste de péage à leur église de Messa. Et la dîme ici est payée non pas auprès duTrésorier général, mais au Secrétariat général du Comité central.
A chaque échéance électorale ou événement commémoratif du parti, les appels de fonds se multiplient, appelant l’élite à cotiser pour financer les opérations. Investisseurs privés, ministres, directeurs généraux de sociétés publiques, sont appelés à mettre la main à la poche. Au Secrétariat général du Comité central du Rdpc on se contente d’encaisser de l’argent sans être regardant sur sa provenance.
Feymen et autres délinquants en col blanc y déversent de grosses sommes d’argent, en contrepartie de leur immunité. Ainsi cooptés pour devenir parlementaires, maires, conseillers régionaux et autres, ces feymen prennent la République en otage. Usant du chantage, ils obtiennent des marchés publics juteux le plus souvent non exécutés mais payés rubis sur l’ongle. Des royalties qu’ils vont redistribuer au Secrétariat général du Comité central du Rdpc.
Malheur aux gestionnaires publics qui oseraient s’abstenir de leur octroyer des marchés publics. Ils seront au mieux démis de leurs fonctions et au pire, accusés de détournements de fonds publics et jetés en prison. Caricatural diront certains, mais pourtant photographie en Technicolor du drame que vivent les gestionnaires de la fortune publique au Cameroun.
Et le plus dramatique est que le Rdpc par qui tout cela arrive ne fait aucun effort pour défendre ses militants en cas de procès, à défaut d’assumer toute cette gabegie. Dans la section « Fleurs du Mal » de son célèbre recueil de poèmes, Les Fleurs du Mal Charles Beaudelaire décrit le vice et la débauche qui mènent au dégoût de soi.Au fait est-on obligé d’aller chercher les honneurs au Rdpc ? De quels honneurs s’agit-il ? Sont-ce les honneurs du mal ?