RFI consacre un dossier au sort des réfugiés nigérians au Cameroun. Contraints de fuir les violences de Boko Haram, et parfois les exactions de l'armée nigériane, ils sont 91 000 aujourd'hui à vivre dans l'extrême-nord du Cameroun. Un peu plus de 30 000 se trouvent dans les villages, les autres sont accueillis au camp de Minawao, sous l’égide du Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR). C'est le seul camp de réfugiés de la région, et pourtant ces dernières semaines, des milliers de personnes l'ont quitté pour retourner au Nigeria, à Banki, une localité toute proche de la frontière décrite par un journaliste local comme «—une prison—» sous la menace permanente de Boko Haram.
Au milieu d'une zone sèche et aride, les bidons d'eau restent trop souvent vides dans le camp de Minawao. Les réfugiés mangent moins qu'avant, des familles de cinq ou six se retrouvent parfois avec des rations pour deux personnes seulement. Les abris sont mal entretenus, les toilettes encore pire.
« Je ne vais pas pousser le cynisme jusqu'à dire qu'on veut pousser les gens à partir, explique un consultant camerounais en sécurité, mais les conditions se sont vraiment considérablement dégradées à Minawao ». Il n'est pas le seul au Cameroun à penser que le gouvernement cherche à rendre la vie difficile aux réfugiés, pour ne pas qu'ils restent trop longtemps.
Lorsque le camp a ouvert en 2013, il était conçu pour héberger 30 000 personnes, aujourd’hui Minawao est saturé. Dans ces conditions, les rumeurs selon lesquelles la situation s'améliore au Nigeria rencontrent un écho particulier. Entre ceux qui y croient et ceux, résignés, qui pensent qu'il « vaut mieux mourir chez soi », comme le raconte plusieurs témoins, les départs se multiplient.
Le HCR ainsi que les autorités camerounaises et nigérianes sont pourtant censées garantir une bonne information aux candidats au retour. S’assurer que les Nigérians connaissent la situation qui prévaut dans leur région d’origine.
Dans de nombreux cas, les réfugiés ont organisé leur voyage eux-mêmes. Ils ont vendu ce qu'ils pouvaient, une partie de leur ration alimentaire ou les derniers biens qu’ils possédaient, pour s'offrir les services de transporteurs camerounais. Le trajet coûte environ 2 500 francs CFA, soit un peu moins de 4€ pour rejoindre la frontière nigériane en camion.
« Le Cameroun n'a pas vocation à devenir un camp de réfugiés à ciel ouvert »
Les mots du porte-parole du gouvernement qui a affirmé que « le Cameroun n’avait pas vocation à devenir un camp de réfugiés à ciel ouvert » témoignent de la tension qui règne dans l'extrême-nord du pays. Malgré les arrivées permanentes de nouveaux réfugiés, les autorités camerounaises refusent catégoriquement d'ouvrir un deuxième camp. « A juste titre, explique le porte-parole du gouvernement, est-ce que vous réalisez ce que ça coûte ? Il est financé pour partie par la communauté internationale, mais ce n’est qu’une portion congrue par rapport à ce que fait le gouvernement. Par rapport aux désagréments que ça nous cause. »
Le Cameroun, qui est régulièrement visé par Boko Haram, redoute l'infiltration de terroristes. Et trop souvent, les réfugiés nigérians sont perçus comme des membres du groupe. On se méfie d'eux.
Un tiers des 91 000 réfugiés qui vivent aujourd'hui dans l'extrême-nord du Cameroun vivent dans les villages proches de la frontière et font régulièrement l'objet de retours forcés. Même si les autorités camerounaises démentent tout rapatriement forcé, plusieurs témoins parlent de villages complètement bouclés par les militaires. On arrête les gens, certains sont tués sur place, les autres, refoulés vers le Nigeria raconte une source. Selon un travailleur humanitaire, au moins deux personnes sont mortes de faim et de soif pendant l'un des trajets jusqu'à la frontière il y a quelques semaines.
Ce type d’opération s’est accentué après la dernière vague d’attentats dans l’extrême-nord du Cameroun. Comme le résume un journaliste local, les réfugiés sont vus d'abord et avant tout comme des suspects au Cameroun, et les amalgames continuent de l'autre côté de la frontière nigériane.
Au Nigéria, la difficile gestion de ces afflux de réfugiés
Comment distinguer un Boko Haram d’un villageois ordinaire ? Difficile pour les autorités, d’y voir très clair. « Les Boko Haram ne sont pas des unités armées, relève un militaire. Ils se fondent parmi les villageois ». La crainte d’éventuelles infiltrations est palpable.
A leur arrivée au Nigeria, les réfugiés sont soumis à une série de vérifications, menées par les militaires. « Ils forment plusieurs files, il y a d’un côté les femmes, les enfants tous assis à même le sol. Chaque réfugié est interrogé sur son appartenance ou non à Boko Haram », explique un autre responsable sécuritaire sous couvert d’anonymat. « On les traite comme des prisonniers », dénonce pour sa part un humanitaire, qui décrit un « climat de suspicion ».
Selon Ahmed Satomi, qui dirige l’Agence de gestion des urgences pour l’Etat du Borno (Borno State Emergency Management Agency), ces interrogatoires sont « indispensables », en raison du « climat d’insécurité » et du « nombre importants d’attentats suicides dans cette zone ». D’ailleurs, souligne Ahmed Satomi, récemment, « neuf présumés combattants de Boko Haram et cent complices, infiltrés au sein de ces réfugiés ont interpellés ».
A Pulka et Banki, le chaos humanitaire
Enfin, ces vagues de réfugiés venant du Cameroun déstabilisent les villes nigérianes proches de la frontière. A l’image de Pulka, qui compte 47 000 déplacés internes.
La situation est tout aussi dramatique à Banki, autrefois considérée comme un carrefour commercial. Entre mars et avril dernier, près de 12 000 réfugiés nigérians ont été forcés de rejoindre cette ville bordant la frontière. Puis 2 000 réfugiés en juin. Banki est devenue emblématique de ce chaos. En l’espace de quelques mois, on est passé de 28 000 à 319 personnes ayant besoin d’une assistance (réfugiés et déplacés) dans cette ville totalement détruite par Boko Haram.
« Il y a deux ans, Banki était encore contrôlée par des combattants de Boko Haram », se souvient un humanitaire. « Banki était un couloir logistique de Boko Haram de 2014-2015 », précise une source sécuritaire sous couvert d’anonymat. « Cette ville a connu de nombreux conflits : Banki était au cœur de combats de mortier et à l’arme lourde », poursuit cette source. En septembre 2015, l’armée parvient à reprendre la ville des mains des jihadistes.
Aujourd’hui, il ne reste plus que des ruines. Il n’y a plus de mairie, plus d’administration, plus d’école, plus de poste de santé… Les militaires ont aménagé un vaste camp dans une partie seulement de ville. Les réfugiés et déplacés internes y vivent reclus. C’est l’unique espace sécurisé par les militaires. « Le camp est plein : il n’y a pas d’eau, pas d’électricité, et pas assez de nourriture », décrit un humanitaire désœuvré face aux arrivées de réfugiés. Ces arrivées qui viennent bouleverser les plans d’aide déjà bien calibrés, mis en place par plusieurs ONG. Pendant plusieurs jours, « les réfugiés ont dormi à la belle étoile et surtout sous la pluie, car il n’y a pas suffisamment d’abris », se désole ce travailleur humanitaire.
Pour les réfugiés, l’accès à l’eau potable est un problème majeur. Il a fallu nettoyer plusieurs puits. Malgré ces efforts, « les habitants de Banki ne reçoivent pas les 15 litres d’eau recommandés par jour pour satisfaire leurs besoins », s’inquiète Samantha Newport, chef de la communication du bureau de coordination des Affaires humanitaires des Nations unies au Nigeria.
A cause de la promiscuité, les risques sanitaires sont nombreux : Banki est située sur la zone endémique du choléra. A cela s’ajoutent les risques de voir apparaître des maladies comme la rougeole ou le paludisme, souligne Alexis Bahati, l’adjoint au chef de mission de l’ONG Médecin sans frontière au Cameroun.
Le gouvernement réfléchit à une manière de désengorger les villes de Pulka et de Banki, où des milliers de déplacés sont cantonnés. De nouveaux sites d’hébergements devraient voir le jour à Gwoza, où OCHA espère construire entre 200 et 300 nouveaux abris. Cela pourrait monter à 2 000 abris. Seulement, « cela ne peut pas se faire du jour au lendemain », explique Samantha Newport, directrice de la communication d’Ocha au Nigeria. Car, rappelle cette responsable, « il faut encore obtenir des autorisations du gouvernement et de l’armée nigériane ».