Dans sa publication d’avril 2017, le Groupe d’Action contre le Blanchiment d’argent en Afrique Centrale (GABAC) s’est mis sur la piste des sociétés de transferts de fonds, des trafics illicites, des collectes de fonds, des embuscades, pillages, etc., organisés par les filières terroristes dans la sous-région Afrique centrale.« Le Quotidien de l’économie » a recensé quelques sources de financement du terrorisme répertoriées par le GABAC dans le cas du Cameroun.
Utilisation abusive d’une ONG étrangère
L’attention de l’Agence Nationale d’Investigation Financière (ANIF) est attirée par une déclaration de soupçon sur des flux financiers importants entre 2012 et 2014, constitués de dépôts d’espèces. Au total, plus de 10,5 milliards FCFA sont versés par un ressortissant d’un pays voisin du Cameroun, membre de la Commission du Bassin du Lac Tchad, dans le compte bancaire de l’ONG « ABC ». L’origine des fonds reste inconnue. Ces fonds sont retirés en espèces au niveau de l’agence d’une banque à Kousséri dans l’Extrême-Nord du Cameroun. Les investigations de l’Anif sur cette affaire ont permis d’aboutir aux conclusions suivantes : l’ONG « ABC » est internationalement classée comme organe de propagande djihadiste. Elle a des relations avérées avec des groupes terroristes (elle est créée par un membre des Frères Musulmans, elle a des liens avérés avec Al Qaeda, Ansar Al Islam, branche armée du Hamas, Rebelles du Cachemire, etc.). Le frère d’Oussama Ben Laden a été le trésorier de l’ONG « ABC » jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001 aux USA. Les services américains ont mis en évidence le rôle de l’ONG dans le soutien logistique des attentats du World Trade Center.
Au niveau international, les activités de l’ONG « ABC » ont été interdites aux USA (2002), au Canada (2004), en Grande Bretagne (2004), au Pakistan (2004), en Inde pour soupçons de soutiens financiers aux organisations terroristes. L’ANIF a abouti à la conclusion de l’utilisation de l’ONG « ABC » comme instrument de mise à disposition des fonds au profit des combattants de Boko Haram sous le couvert des activités caritatives.
Financement du terrorisme par des acteurs économiques levant des fonds
L’attention de l’ANIF est attirée par plusieurs transferts effectués par un opérateur économique national vers une ONG ABC basée en République Démocratique du Congo. Le secteur d’activités de cet opérateur, dont la GABAC tait le nom, et les motifs des transactions ne semblent pas compatibles. En fait, l’opérateur économique est bien connu dans le secteur de l’import-export. Il effectue généralement des transactions commerciales de grande envergure. Il est par ailleurs une grande figure politique. Seulement, les transferts de fonds de montants très importants effectués vers la RDC ne semblaient pas conformes à ses activités commerciales régulièrement connues. Les investigations de l’ANIF démontrent qu’en l’espace de deux ans (2011 et 2012), près de 2,5 milliards FCFA ont été transférés par cet opérateur économique au profit de l’ONG ABC. L’ONG ABC appartient à deux frères Libanais, Moussa et Nabil, listés par le Comité des Sanctions des Nations unies comme collecteurs de fonds pour le compte du Hezbollah. Récemment, d’après les informations reçues de certains partenaires étrangers, les frères Moussa et Nabil se sont alliés avec le groupe Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI). Les renseignements ont été transmis au procureur de la République. Les services opérationnels de sécurité en ont été informés.
Collecte de fonds à travers une société de messagerie financière
Le nommé Peter, de nationalité camerounaise, réside à Bamenda, dans la Région du Nord-Ouest du Cameroun. Peter est sans emploi fixe, vivant d’un petit commerce des cigarettes. L’attention de l’ANIF est attirée par la réception répétitive de transferts de fonds Western Union par Peter en 2014. Les investigations de l’ANIF concluent ce qui suit : aucun lien de parenté n’existe entre le sieur Peter et les expéditeurs de fonds. Près de 112 millions FCFA sont collectés par Peter via Western Union entre janvier et mars 2014; Les expéditions sont fractionnées en opérations inférieures à 1 million FCFA. Le motif de tous les envois est « Aide familiale aux immigrés clandestins de la ville ‘’Gamma’’ ». Il n’y a aucun immigré clandestin répertorié par les autorités administratives dans cette ville ‘’Gamma’’, située au Nord-Ouest du Cameroun. Le sieur Peter, qui est inconnu de toutes les autorités, n’a mené aucune action sociale dans cette région du Cameroun. Les fonds sont expédiés à partir de l’Arabie Saoudite, du Soudan du Sud, du Kenya et du Mali. Les fonds sont tous retirés dans les agences Western Union situées dans les zones de combat à l’Extrême-Nord, alors qu’ils sont destinés aux « Immigrés de la ville ‘’Gamma’’ » dans le Nord-Ouest. Les services de sécurité ont relevé des déplacements réguliers du sieur Peter vers Maiduguri au Nigeria.
Utilisation abusive d’un bureau de change manuel
Le bureau de change B. Exchange est basé à Camville, ville frontalière avec le Nigeria. Camville (Cameroun) et Nigerville (Nigeria) sont une même et unique cité géographique, la frontière étant constituée par une simple ruelle. Jusqu’en 2012, B. Exchange réalise un chiffre d’affaires annuel moyen de 100 millions FCFA, constitué essentiellement de la vente de devises aux commerçants tchadiens, camerounais et nigérians. L’attention de l’ANIF a été attirée par une explosion des opérations d’achat de devises par B. Exchange entre 2012 et 2014. Résultat des investigations de l’ANIF : entre 2012 et 2014, B. Exchange a effectué des achats de devises auprès des banques locales pour un montant cumulé de 226 milliards FCFA. Les devises sont acquises auprès des banques locales sur la base de fausses autorisations d’achat de devises prétendument délivrées par les services du ministère des Finances. Les fonds utilisés pour acquérir, au comptant, autant de devises auprès des banques sont d’origine inconnue. B. Exchange utilise de faux titres de voyage et passeports pour produire les comptes d’emploi des devises acquises. Des contacts réguliers entre le promoteur de B. Exchange et certains commandants de Boko Haram ont été mis en évidence par les services de sécurité (l’un de ces combattants a été abattu au cours d’un accrochage avec l’armée camerounaise, avec plus de 50 000 euros dans son paquetage). L’ANIF a transmis des renseignements au procureur de la République en décembre 2014. Les services opérationnels de sécurité ont été informés (partage des informations avec les services de renseignement opérationnels). Les mis en cause ont été interpellés. Le bureau de change a été fermé.
Réseau de collecte et de transfert des fonds à travers une entreprise de microfinance
Le sieur « Kala », de nationalité nigérienne, réside entre Maroua et N’Djamena est connu dans ces deux cités comme cultivateur de légumes divers. Sur la base de certaines informations dont disposaient les services opérationnels de renseignement et après une période d’observation par ces derniers (filature, écoutes téléphoniques, etc.), il a été établi que depuis 2012, le sieur « Kala » a des contacts réguliers (une fois par semaine) avec des adeptes de Boko Haram qui faisaient aussi l’objet de filature. L’ANIF est alors saisie par les services opérationnels de sécurité pour mener des investigations sur les activités économiques du sieur « Kala ». Il ressort des recherches de l’ANIF que : le sieur « Kala » est titulaire de deux comptes bancaires dans un établissement de microfinance (Beta Finance) disposant des agences dans les chefs-lieux des dix Régions du Cameroun. Ses deux comptes sont domiciliés à l’agence de Kousseri de « Beta Finance ». A l’ouverture de ses comptes à « Beta Finance », le sieur « Kala » se déclare « vendeur » sans aucune autre précision. Il est inconnu des services de l’administration fiscale. Les comptes bancaires du sieur « Kala » fonctionnent exactement comme des comptes de passage, utilisés pour lever des fonds par des réseaux terroristes ou acheminer des fonds par des trafiquants de stupéfiants. En effet, il a été constaté que des sommes importantes sont versées en espèces dans les deux comptes concernés à partir des agences de « Beta Finance » dans différentes villes du pays par plusieurs dizaines de personnes. Les fonds ainsi déposés sont retirés immédiatement en espèces par le sieur « Kala » à Kousséri. Au total, 38,789 milliards FCFA (€59.500.000 environ) ont été ainsi levés par ce réseau entre 2012 et 2015. 83 personnes de nationalités camerounaise, tchadienne, malienne et nigérienne ont été identifiées comme déposants de fonds en espèces dans les deux comptes de « Kala » à partir des villes de plusieurs régions du Cameroun. Ces déposants n’exercent aucune activité économique susceptible de justifier une telle mobilisation de capitaux ; les dépôts cumulés de certains d’entre eux au cours de cette période ont dépassé le milliard FCFA. Au retrait des fonds à l’agence « Beta Finance » à Kousséri, le sieur « Kala » était toujours accompagné de deux individus (soupçonnés par les services de sécurité d’être des logisticiens de Boko Haram). Actuellement, l’exploitation de ce dossier est encore en cours au niveau des services de sécurité. La localisation et les interpellations des déposants se poursuivent.
Enrichissement illicite et facilitation de la commission d’actes terroristes par un opérateur économique
Au premier semestre 2015, le nommé Ida invite sieur Karkabi résidant à Kousseri (Cameroun) à venir à Ndjamena prendre certains membres de sa famille pour les conduire à Kousseri, où quelqu’un d’autre les attend pour les amener au Nigeria. Dès leur arrivée à Kousseri, les services de sécurité les interpellent compte tenu des renseignements en leur possession. Les investigations révèlent que Karkabi est un transporteur informel tchadien bien connu dans la ville de Kousseri. Depuis au moins six ans, il se livre au trafic d’armes entre le Tchad et le Cameroun au moyen d’une motocyclette. A ses débuts, il travaillait avec le nommé Kasko domicilié à Blangoua, à qui il livrait des sacs de mil à l’intérieur desquels étaient enfouis des fusils d’assaut de type AK 47. Ces armes étaient réceptionnées à la gare routière d’Abéché à Ndjamena auprès d’un certain Abouky, qui lui-même se ravitaillait à la frontière tchado-soudanaise. Les armes que Karkabi transportaient étaient vendues par la suite par Kasko aux bandits de grand chemin connus sous le nom de « coupeurs de route ». Percevant la somme de 30 000 F CFA par arme livrée, il a pu se bâtir une petite fortune et a décidé d’acheter un véhicule automobile à l’aide duquel il devait maximiser ses gains. Le phénomène Boko Haram aidant, il s’est lié d’amitié avec le nommé Ida, un nigérian acquis à la solde du groupe terroriste pour lequel il effectue des livraisons d’armes et d’explosifs. A l’aide du véhicule de Karkabi, ils continueront à alimenter les bases des terroristes situées au Nigeria via le Tchad et le Cameroun. Ida ayant été identifié comme le cerveau des attentats de Ndjamena, des recherches avaient été entreprises par les services de sécurité camerounais et tchadiens en vue d’identifier les autres membres du réseau.
Appui logistique à un groupe terroriste
Le 10 janvier 2015 à Mora, les nommés Ripo et Isaka sont interpellés par les forces de l’ordre pour violation des directives sécuritaires en vigueur dans cette localité cible des attaques terroristes. Des investigations subséquentes ont permis d’établir que le nommé Isaka est le chef coutumier de la localité de Oru qu’il a fui en 2013 à cause des attaques de Boko Haram, pour se réfugier à Ibashi où il se lie d’amitié avec les nommés Kasko et Ripo. Ensemble, ils décident d’expédier du carburant à Oru où le besoin est manifeste. Dans un premier temps, il s’agit de faire fonctionner les moulins à écraser les céréales appartenant à Kasko, afin de soulager les populations qui ne se sont pas déplacées. Pour ce faire, le nommé Ripo, coordonnateur du comité de vigilance de la localité de Mviam, est sollicité pour effectuer les commissions. Celui-ci devait chaque fois récupérer les bidons de gasoil préalablement déposés par Kasko dans le magasin de Moukissa. Ce dernier effectuait également des déplacements en direction d’Oru en emportant avec lui des vivres de toutes sortes. Cependant, Ripo qui recevait les cargaisons de gasoil les remettait à tout individu qui se présentait comme un employé de Kasko. Il profitait de cette situation pour remettre une très grande quantité de gasoil à son ami d’enfance, le nommé Ibasso, connu par les forces de sécurité comme un agent très actif du groupe terroriste Boko Haram. De la même manière, Kasko qui prétextait de faire fonctionner ses moulins à écraser, n’en percevait pourtant aucun bénéfice. Les enquêtes ont permis d’établir que Kasko expédiait du carburant aux membres de Boko Haram qui sillonnent les zones de Limani et Omaka.
Fourniture de produits servant à la commission d’actes terroristes
Le 24 mars 2014 dans la ville de Kousseri, le nommé Akoutou est interpellé par une patrouille des forces de sécurité. Il est soupçonné d’être un membre de la secte Boko Haram. En 2002 à la mort de son père et à cause des difficultés familiales grandissantes, Akoutou part de son village pour aller rejoindre son frère aîné Kemta à Kousseri. Ce dernier étant propriétaire d’un dépôt de gaz domestique dans ladite ville. A son arrivée, il s’inscrit dans une école coranique dont le maître le met en contact avec le nommé Akim, membre de Boko Haram résidant à Banki. Concomitamment avec ses études religieuses, il s’associe à l’activité de son grand frère qui consiste pour l’essentiel à trafiquer les bouteilles de gaz domestique. Désormais, pour satisfaire à la demande sans cesse croissante d’Akim, il se rend fréquemment au Tchad où il achète plusieurs bouteilles de 12 kg à 12 000 FCFA, l’unité. Il les siphonne et les transvase dans celles de 6 kg, puis les livres en grande quantité à Akim qui s’en sert pour fabriquer des engins explosifs improvisés. Il revend les autres à 8 000 FCFA la bouteille dans les circuits habituels. Le 24 mars 2014, Akoutou est interpellé en compagnie de plusieurs personnes, notamment Bika dont le téléphone portable contenait des vidéos de Boko Haram. Un autre de ses compagnons, Dodoum, sera interpellé par les forces de sécurité à Maroua, et formellement identifié comme prédicateur à la solde de Boko Haram par de nombreux témoins.
Financement par les rançons des otages
En 2013 et en 2014, Boko Haram a mené plusieurs opérations qui se sont soldées par l’enlèvement de personnes dans l’Extrême-Nord du Cameroun. Quatre visaient particulièrement à kidnapper des cibles désignées. Les sources sécuritaires indiquent les faits suivants : le 16 mai 2014, des éléments de Boko Haram attaquent la base d’une entreprise chinoise de construction routière à Waza dans le département du Logone et Chari. Ils s’emparent de dix personnels chinois, de dix véhicules et des explosifs. Le 19 février 2013, sept touristes français sont enlevés à proximité du Parc National de Waza dans l’Extrême-Nord du Cameroun. Boko Haram revendique les enlèvements. En novembre 2013, un prêtre français est enlevé à Nguetchewe dans l’Extrême-Nord du Cameroun lors d’une opération apparemment coordonnée entre Boko Haram et sa dissidence Ansaru. En avril 2014, deux prêtres italiens et une religieuse canadienne sont enlevés dans la paroisse de Tchéré près de Maroua, par des hommes armés appartenant à Boko Haram. Le 22 juillet 2014, des centaines d’individus lourdement armés appartenant à Boko Haram assiègent la localité de Kolofata dans le département du Mayo Sava, après une infiltration dans la nuit depuis la frontière du Nigeria. C’était la veille d’une fête religieuse drainant des centaines de personnes venant rendre hommage à une grande figure politique originaire de la place. L’attaque particulièrement violente s’est soldée par l’enlèvement de 17 personnes, dont l’épouse de l’homme politique. Tous les otages ont été libérés après des négociations.
Aucune source officielle ne confirme le paiement d’une rançon. Cependant, quelques indices tendent à le suggérer que des billets de banque faisant vraisemblablement partie de la rançon ont été saisis. Un des négociateurs a été interpellé par les services de sécurité et reste détenu. Une personne a été interpellée et reste détenue en rapport avec lesdits enlèvements. Certains intermédiaires dans les négociations sont traduits devant les juridictions. Risque de pêche et trafic illégal des produits de la pêche L’interdiction faite par le Niger de commercialiser le poisson venant du lac Tchad a amené les autorités camerounaises à s’intéresser aux risques d’exploitation illégale de cette ressource par Boko Haram dans ses portions du lac. Il ressort de l’observation du marché de poisson que les captures se sont réduites, impactant sur les quantités commercialisées de moitié sur trois ans, les pêcheurs n’ayant plus accès aux zones de pêches ou tout simplement ayant abandonné l’activité. L’effet cumulé de la réduction a abouti à une perte d’activité évaluée sur le plan financier à 8 554 296 000 francs FCFA. L’insécurité ayant entrainé le départ des pêcheurs de la zone du lac Tchad a eu un effet d’improvisation d’un repos biologique circonstanciel. De ceci a résulté une multiplication et un fort développement des ressources halieutiques avec pour résultante, l’augmentation de la taille des captures et l’augmentation de la taille de poissons. Ce qui constitue aujourd’hui un appât pour les terroristes qui s’en prennent aux pêcheurs attirés par cette aubaine et qui n’hésitent donc pas à aller pratiquer l’activité de pêche malgré les dangers auxquels ils sont exposés.