Le recrutement du technicien belge Marc Brys, comme nouveau sélectionneur des Lions indomptables, rappelle un autre recrutement du coach des Lions indomptables qui a fait autant les choux gras de la presse.
Il s'agit du recrutement de Paul Le Guen. Pour accueillir le nouveau coach, Yaoundé décide d'organiser une petite fête.
Le journaliste Jean Bruno Tagne, dans son livre "Programmés pour échouer"; parle de cette folle dépense qui a coûté 150 millions au contribuable camerounais.
"25 juillet 2009. L’aéroport de Yaoundé Nsimalen grouille de monde. De nombreux groupes de danses traditionnelles s’échinent depuis plusieurs heures. Les déhanchements des danseurs et les roulements des tam-tams et des tambours ont quelque peu baissé d’intensité sous l’effet de la fatigue. L’attente est longue. La majorité des hôtesses réquisitionnées pour l’accueil du nouvel entraîneur des Lions sont fatiguées. Elles déambulent dans l’aérogare, la mine défaite.
À 16h30, l’ambiance se réchauffe de plus belle. Les animations reprennent du service. L’avion ayant à son bord Paul Le Guen est annoncé. Le bruit des instruments est assourdissant. Quelques instants plus tard, Paul Le Guen est là, il descend de l’avion d’Air France.
Le soleil est clément. Il fait beau. La police et la gendarmerie se déploient pour créer une haie d’honneur au sélectionneur et son adjoint. La foule découvre celui qui va présider aux destinées de son équipe nationale. C’est un homme grand. Il est vêtu d’un costume sombre. Le Guen et son adjoint Yves Colleu sont accueillis par le secrétaire général du ministère des Sports et par des administrateurs de la Fédération camerounaise de football. Sur le chemin qui mène au salon d’honneur de l’aéroport, le Français est assailli par les groupes de danse et une marée humaine. Quelque 2000 personnes ont été convoyées en ces lieux par les bons soins du ministère des Sports. Le Breton s’offre un extraordinaire bain de foule.
On le sent impressionné. Le petit sourire qu’il affiche en dit long. « Merci, merci », ne cesse-t-il de dire en serrant les nombreuses mains qui se tendent vers lui. Des chansons ont spécialement été composées en l’honneur de l’ancien entraîneur du PSG. Les paroles sont tantôt en langues locales, tantôt en français. Elles traduisent les espoirs qui sont placés en cet homme. « Paul, tu es l’homme de la situation... Celui que nous attendions tous est là... », chantent à tue-tête, de jeunes gens, motivés par la rémunération reçue du ministère des Sports.
LA CRTV ASSURE LA PROPAGANDE
Après le folklore de l’accueil à l’aéroport, Paul Le Guen prend place à bord d’un 4X4. Dans un cortège impressionnant et bruyant, toutes sirènes hurlantes, le nouvel entraîneur des Lions est convoyé vers le centre-ville de la capitale. Il est ensuite installé dans une suite de l’hôtel Hilton. Ce même soir, Paul Le Guen est l’invité du journal télévisé de 20h 30 sur la Crtv, la chaîne de télévision publique. Il y apparaît encore tout ému par l’impressionnant accueil qui lui a été réservé. « C’est un accueil très chaleureux et à travers cet accueil, on sent une attente. Il est visible que le peuple camerounais est un peuple plein d’espoir », dit-il. Il promet aux Camerounais « le travail, le sérieux et un engagement total ».
Deux jours plus tard, le 27 juillet 2009, nouveau théâtre, même euphorie, même hystérie. Nous sommes au Palais des Sports de Yaoundé. La signature du contrat de Paul Le Guen donne lieu à une nouvelle démonstration de délire. Des milliers de personnes sont invitées à la signature du contrat du sélectionneur. Parmi lesquelles d’anciens Lions Indomptables (Joseph Antoine Bell, Omam Biyick, Jacques Songo’o, Théophile Abega, etc.) et d’anciens ministres des Sports. Le folklore n’est pas en reste. Le gaspillage non plus.
FOLKLORE POUR PAUL LE SORCIER BLANC
À y regarder de plus près, cette grosse mobilisation a quelque chose d’indécent. Autant de célébration pour la seule signature du contrat d’un entraîneur de football ? C’est une solennité que rien ne justifie. Et pourtant, les clauses du contrat ne sont pas révélées au public. Tout au moins est-on au courant de la durée du bail de Paul Le Guen avec le Cameroun : six mois. Il sera renouvelé s’il réussit à qualifier le Cameroun pour la Coupe du Monde. Sur son salaire, rien d’officiel. Certaines sources évoquent la somme de 40 millions de FCFA par mois.
Après la signature de son contrat, le nouvel entraîneur des Lions Indomptables rentre en Europe pour se consacrer à son baptême du feu, un match amical, qui aura lieu quelques semaines plus tard, le 12 août, à Klagenfurt en Autriche contre la sélection nationale locale.
Paul Le Guen s’en va, laissant derrière lui une vive polémique sur la facture de son accueil, que d’aucuns jugent trop salée ! Les trois jours de fête organisés à la gloire de l’entraîneur des Lions ont entraîné une belle hémorragie des deniers publics : « 150 millions de FCFA », croit savoir Le Messager. Le reste de la presse s’en émeut particulièrement et en fait ses choux gras.
À l’origine de cette gabegie que dénoncent les médias et l’opinion camerounaise, il y a un obscur « Comité de stratégie pour la qualification des Lions Indomptables à la Coupe du Monde ».
Une nébuleuse sortie tout droit du chapeau du ministre des Sports, en poste depuis quelques jours seulement. Il met dans le même lit fonctionnaires du ministère et responsables de la Fécafoot. À leur tête, le secrétaire général du ministère des Sports, David N’Hanack Tonyè, appelé à collaborer avec le volubile quatrième vice-président de la Fécafoot, Francis Mveng. C’est lui qui explique le rôle du comité : « Le Comité de stratégie (Cds) a été créé par le ministre des Sports et de l’Éducation physique en accord avec le président de la Fédération camerounaise de Football. Ce Cds est un instrument mis en place pour chercher, réfléchir et proposer des solutions pour que l’environnement des Lions indomptables soit propice à une qualification pour le Mondial 2010. Au-delà de ça, le rôle du Cds c’est aussi de fédérer toutes les énergies des 18 millions de Camerounais, de chercher à mutualiser toutes les pensées positives au service de la qualification des Lions. »
La fiesta organisée à Paul Le Guen et l’accueil pharaonique qui lui ont été réservés sont donc une invention du Comité.
Les explications de Francis Mveng ne convainquent pas sur le bien-fondé de cette structure. « Un comité de stratégie pour quelle fin? », s‘interroge Mutations. Et le journal de clouer littéralement ce « machin » au pilori en donnant la parole à un certain François Dikoumé, expert en Droit du sport : « On aurait pu faire quelque chose de plus discret en termes d’accueil de Paul Le Guen ... Je suis au regret de con stater que ce genre de pratiques existe encore. C’est la plus grosse bêtise qu’on ait jamais organisée au Cameroun. Le nouveau ministre est pris en otage par les gens qui ne pensent qu’à une chose : amasser de l’argent. »
Acculés de toutes parts par les médias et l’opinion camerounaise, la Fécafoot et le ministère des Sports jurent que la somme de 150 millions est un pur fantasme d’une presse malveillante. Mais quel est donc le montant de la fête organisée en l’honneur de Paul Le Guen? Silence radio. Provocation suprême, le porte-parole du Comité de stratégie, Francis Mveng, affirme que cette somme n’est pas excessive et qu’il ne s’agit que d’un début! « Les Camerounais ne voient que les petits passages de cuisine pour dire que c’est excessif. Ce n’est pas excessif. Quand on invite un ancien capitaine des Lions Indomptable à venir partager, à venir mettre son énergie positive au service des Lions Indomptables, je ne pense pas que c’est excessif. C’est même le début, c’est par là que ça devrait commencer. »
150 millions de FCFA pour faire la fête à Paul Le Guen. La somme détonne. Elle détonne d’autant plus que le Cameroun, l’un des plus beaux palmarès du football africain, est un pays sinistré en matière d’infrastructures sportives. Malgré ses six participations à la Coupe du Monde dont un quart de finale en 1990, ses quatre trophées de Coupe d’Afrique des Nations et son titre de champion olympique en 2000, le pays n’a pas pu construire un seul stade de football digne de ce nom. Le vieux stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé date de 1972, l’année où le Cameroun a organisé son unique Coupe d’Afrique des Nations. Trente-huit ans après, le stade de Mfandena est dans un état de ruine considérable : pas de sièges numérotés pour les spectateurs, pas de toilettes, ses vestiaires puent la moisissure. Les nombreux rafistolages n’ont pas réussi à donner à cette arène sportive son lustre d’antan. Seule la tribune présidentielle connaît une réfection épisodique.
L’ARGENT DE TAXI DES MINISTRES
L’affaire de l’arrivée de Paul Le Guen au Cameroun ne se tasse donc pas. Elle est même loin d’être terminée. Chaque jour apporte son lot de révélations toutes aussi surprenantes que surréalistes. Au centre des débats, le gaspillage qui a caractérisé cette cérémonie et ses trois jours de fête populaire à Yaoundé. L’on apprend par exemple que le 27 juillet 2009 au Palais des Sports de Yaoundé, le ministre des Sports a proposé à chacun de ses prédécesseurs invités à la cérémonie de signature du contrat de Paul Le Guen, la somme d’un million de FCFA, représentant « les frais de taxi ou du carburant »! L’incongruité de cette générosité ministérielle sur le dos des fonds publics est choquante.
L’un de ces anciens ministres s’en ouvre au quotidien Le Jour. « Je suis un résident de Yaoundé et je pense que ma présence à un événement comme la signature du contrat d’un entraîneur pour les Lions Indomptables ne mérite pas qu’on me remette autant d’argent. Je n’ai pas pris cet argent parce que je ne sais pas comment un million de FCFA peuvent être justifiés pour des frais de taxi. »
Ce jour-là, les sept anciens ministres des Sports sont l’objet de l’attention particulière d’une dame du ministère, qui les prie de la suivre. Majestueusement assis sur son siège, le sultan des Bamoun, Ibrahim Mbombo Njoya, ne bouge pas. Il demande à ses anciens collègues de lui rendre compte de ce qui sera dit.
Une fois dans la salle Vip du palais des sports, les convives reçoivent une fiche d’émargement d’un million de FCFA.
- C’est pourquoi ? demande l’un d’eux surpris.
- C’est pour votre carburant, Monsieur le ministre, répond naturellement la dame souriante.
- Nooooonnnn, fait Siegfried David Etame Massoma, l’actuel ministre du Contrôle supérieur de l’État. Il tombe dans une colère homérique.
Lui, le gendarme des finances publiques dans le gouvernement, qui se fait proposer un tel « cadeau », sans motif valable! Cela ne peut être que de la provocation. Il tourne ses talons et rentre dans la grande salle du Palais des Sports où va être signé le contrat de Paul Le Guen. Il fulmine. Il en est de même pour ses homologues.
Assis au premier rang, ces anciens ministres des Sports se parlent entre eux, estomaqués par la scène qu’ils ont vécue. Simple maladresse d’un ministre débutant ou un acte délibéré ayant pour but de légitimer des gaspillages ? Toujours est-il que cet épisode est symptomatique de la légèreté qui alimente la gestion quotidienne de l’équipe nationale de football du Cameroun. Sous Paul Le Guen, sélectionneur privilégié puisque choisi par le prince lui-même, on va atteindre des pics de dépenses somptuaires : hôtels luxueux pour les joueurs, avion spécial à chaque déplacement, etc. Rien n’est décidément trop beau ou trop cher pour Samuel Eto’o Fils et ses coéquipiers. (…)".