Lycée de Nkol-Eton : 'il y’a les Talibans partout !'

Un enseignant a encore été poignardé

Thu, 7 Apr 2022 Source: Le Temoin N°0081

C'est un fait divers. Je n'en parle ici que pour attirer votre attention : non sur le fait lui-même (dont je ne connais pas les détails), mais sur ses contours. La scène est rapportée par une vidéo virale de Facebook : une situation incertaine opposant une élève à une chargée de discipline. Elles se trouvent trop loin pour qu'on entende ce qui les oppose.Mais manifestement, forte de sa position hiérarchique, la responsable entend sanctionner l'apprentie de manière violente. Elle l'agrippe par l'habit et lui assène des baffes.

La jeune fille semble d'abord coopérer. Puis, devant l'attaque, se rebiffe et inflige à sa supérieure une raclée. Tout autour, ses camarades s'activent, crient, commentent. Fin de la vidéo. La suite intervient sous forme de communiqué. L'affaire a été portée à l'attention de Madame le Ministre des Enseignements Secondaires qui s'est transportée sur les lieux. On peut deviner

ce qui s'y est passé : deux séances de travail, l'une avec les autorités de l'établissement et l'autre avec le corps enseignant et surveillant. Elle écoute ; puis, donne des instructions. Madame partie, le Proviseur convoque très vite un Conseil de discipline. C'est la résolution- phare adoptée suite à la visite de Madame où l'Académie a résolu la tolérance-zéro. Ce sera la procédure habituelle : les parents de la petite sont convoqués. Elle aussi. Leur a-t-elle remis la notification ? S'est-elle elle-même présentée ? Je n'ai pu le savoir...

Voyons ça de la perspective de l'élève à ce stade. (Nous l'avons tous été). Pour elle, il y a eu un après la bagarre. Elle a retrouvé le cercle de ses camarades. Ils en ont parlé. Il n'y a eu, de la part des apprenants, aucun mot pour elle. Aucune solidarité. Elle est seule face à son sort. Elle a violé un tabou. Quoi qu'il advienne, on ne bat pas l'enseignant ou le surveillant. C'est

le code.

Elle a dû se savoir condamnée avant même la sanction. C'est pourquoi je me demande si elle n'a pas pris les devants et refusé d'appeler ses parents. Quoiqu'il en soit, le Conseil a siégé et décrété son exclusion définitive. Le caractère définitif est attesté par le fait que c'est acté à la plus haute autorité. Quel établissement sco- laire lui donnera-t-il encore sa chance à ce stade ? J'ai lu, par la suite, quelques contributions pour défendre cette infortunée enfant. Celle d'un prêtre catholique, diplômé de l'ENS, est la plus significative. Il interpelle le Ministre ; non pas pour absoudre la petite, mais pour requérir des sanctions contre la surveillante qui, pour lui, à son évaluation de l'altercation, aura poussé la jeune fille à bout. Madame le Ministre n'a pas répondu. Je gage qu'elle ne donnera aucune suite à sa lettre. Déjà parce qu'elle est maladroitement diffusée sur les réseaux sociaux. (Le Révérend Père ne sait pas un axiome administratif : le pouvoir n'est pas dans la rue). Ensuite, il a oublié un aspect fondamental de la prêtrise : le prêtre est un avocat ; pas un procureur. Il écrit pour défendre ; pas pour accuser.

La petite est donc renvoyée au quartier. Elle est en terminale, dit-on. Donc, entre dix-sept et vingt ans : un âge où ça brûle dans la tête, aux bras, au cœur et entre les jambes. Elle n'a pas su avoir de la retenue en un instant critique. En aura-t-elle sur le long cours où les réseaux sociaux l'ont introduite ; héroïne malgré elle d'un vaudeville social ?

Longues seront ses journées à la maison et au quartier où son exploit animera les ragots et luivaudra des regards ou intéressés ou acides. Lui apporteront-elles les connaissances que celles au lycée, toutes chargées d'humiliation qu'elles aient été, lui apportaient ? Ce qui est sûr, les premières lui apporteront la douteuse sympathie des réseaux sociaux ; avant l'oubli et l'abandon à son sort. Nous autres, éducateurs, sommes familiers au mécanisme qui produit des drop-outs : les décrochés du système éducatif. Ce n'est pas – ni n'est jamais - une vidéo qui vous les dévoile, mais tous les éléments du puzzle qui va créer le pauvre bougre et se mettent fatalement en place les uns après les autres. De cet angle, il n'y a rien de fortuit ou d'innocent dans la scène. Les surveillants dans un lycée sont des préposés à la discipline d'un secteur. Ils l'arpentent tous les jours. Ils connaissent donc assez bien leurs clients ; surtout rendus à la fin du second semestre. La connaissance est bien plus forte si

l'apprenant a été scolarisé tout son cycle dans l'établissement. À moins que le surveillant lui- même ne soit nouveau.

La violence, de sa part, ne s'explique de la sorte que par l'habitude qu'octroie la connaissance de l'autre ; le fameux : elle fait souvent ça ! Que l'apprenant, l'air des plus innocents, bras levés (comme le footballeur qui vient de tacler son adversaire), dément formellement. Mais ses intentions sont vites rattrapées sur une autre situation de jeu qui interpelle son sens de la discipline. Battre un enseignant en milieu éducatif où, parfois, on les a tués, appelle une réaction forte. Si cette apprenante n'avait pas été renvoyée, c'est toute la jeunesse de ce lycée qui fût devenue irrécupérable. Spéculer sur la base d'un aperçu vidéo mettant en scène les complexes rapports de formateurs et formés est parfaitement spécieux. Et donner raison à cette jeune fille est un bavardage parfaitement inutile...C'est désormais un drop-out. Ce qui la guette à présent est de finir en fille-mère... Puis le reste... À mon avis, valait mieux prendre

quelques gifles au lycée... Mais vous le savez, il y a des talibans partout !

Source: Le Temoin N°0081