Il y a quelques semaines, Wilfried Ekanga avait interpellé le président français Emmanuel Macron en France. Quelques temps après ce dernier effectue une visite sur le continent noir partir du Cameroun. L’activiste Wilfried Ekanga analyse cette tournée africaine du président français.
Macron... et après ?
QUE DISAIT CE DOCUMENT ?
Comme toujours, je suis très amusé de voir des gens nous traiter de « vendus » et de « complices de de la France », alors que ce sont eux qui ont séché au soleil entre 14 heures et 1 heure du matin et qui ont tourné les reins comme des vers de terre le long des rues de Yaoundé pour accueillir la puissance (néo)coloniale. Quand on compare leurs twerks endiablés avec l'accueil plutôt sobre de Macron au Benin juste après, on se demande où les biyayistes trouvent le courage de traiter autrui de « suppot françafricain. »
Le problème n'a jamais été de rencontrer Emmanuel Macron ou non. Car même si la France avait été gouvernée par Satan en personne, il aurait été indispensable de discuter avec lui pour fixer les termes de la relation bilatérale. Car la relation elle, existera toujours. TOUJOURS ! Ceux qui vous parlent de « rupture totale » ne sont que des sorciers qui ont oublié de se rincer après s'être savonnés. Même le Mali de Goita n'a pas quitté le Franc CFA ; et le Rwanda a vu une de ses enfants. (Louise Mushikiwabo) portée à la tête de la Francophonie depuis le 1er janvier 2019. Ce n'est donc pas en soi le fait de parler avec l'adversaire qui crée le souci, mais plutôt la façon dont on se présente face à lui.
C'est ici qu'il faut choisir entre le rôle du vassal éternellement soumis qui n'a rien appris de l'histoire, et celui de l'African conscient des enjeux et jaloux de ses intérêts. Et la différence entre vous et nous, c'est que quand nous nous retrouvons face à la France, nous ne perdons pas de temps en vaines courbettes sous couvert de « l'hospitalité bantu » (que le tribalisme d'Etat vous empêche d'accorder là-bas à vos propres concitoyens), et nous n'amusons pas la galerie en présentant un clown sénile et sourd à la place d'un président alors que de vrais sujets sont à débattre. Nous allons droit au but et nous confrontons l'autre à ses propres manquements.
Car l'Alzheimer et l'amnésie n'ont jamais été une stratégie. Sauf en sorcellerie évidemment !
Vendredi dernier, lorsque nous avons été reçus au ministère des Affaires Étrangères à Paris (en tant que simples Camerounais de la diaspora), nous ne sommes pas allés prendre des cours chez les prétendus « experts blancs » de la DGSE. Au contraire, nous sommes allés dire aux Français qu'ils ne comprennent en réalité rien du pays, et que s'ils veulent savoir ce qui les attend, il n'y a que nous-mêmes, les Camerounais, qui pouvons le leur dire. Car ce pays est le nôtre ; il coule dans notre sang ; nous y sommes nés et nous y avons grandi. Et nous leur avons précisé que s'ils ne prennent pas au sérieux ce qu'on va leur présenter, Macron va se casser les dents à Yaoundé.
Pour des raisons que vous pouvez comprendre, il ne m'est malheureusement pas possible de dévoiler tout le contenu du document de travail de 03 pages que nous avons remis aux services du président, mais je me permets quand même de vous paraphraser un élément important (parmi mille autres) contenu dans ce papier. J'avais écrit : « La France devrait s'inspirer du revers populaire subi au Mali et de la relative neutralité des Africains sur la question russo-ukrainienne pour réaliser que l'image qu'elle se donne ne convainc plus si elle n'est pas suivie de faits probants ». Autrement dit, l'hypocrisie séculaire de la Métropole d'autrefois agace de plus en plus les colonies, qui ne voient plus en elle qu'un pilleur notoire, menteur et champion du double-jeu pour sa propre gueule.
Je pense que les 24 heures que Macron a passées à Yaoundé lui ont permis de confirmer ces avertissements. Malgré les danses des ayopistes mentalement incurables, il a aussi senti cette odeur de souffre dans l'air venant de la masse camerounaise consciente, et qui regarde la France désormais en chien de faïence en l'attendant au rebond. Nous avions écrit dans le document : « Le sentiment anti politique africaine de la France est largement justifié », et nous avions prévenu le Quai d'Orsay que les danses et les hourras que Macron recevrait à l'aéroport (car nous savions que ça allait être ainsi) ne représentent pas la température réelle actuelle des Camemrunais à l'égard de Paris. Et à Yaoundé, il a senti ce desamour grandissant, ce qui l'a amené à prononcer près de 15 fois le mot « Russie », comme si l'ombre de Moscou le hantait à 1000km (surtout avec un Sergei Lavrov qui séjournait au même moment tout près, à Brazzaville).
C'est ce qui arrive quand on se voit trop beau, trop fort. On se rapproche de la chute.
Le souci, c'est que les biyayistes eux aussi se voient trop beaux, trop forts... et trop vite. Ils n'ont pas compris la seule chose fondamentale en politique qu'enseignait Karl Marx : « L'histoire de toute société n'a été qu'une histoire de lutte des classes ». Or dans leurs têtes, les biyayistes sont plus enfants du Cameroun que nous ; leur esprit limité ne leur permet pas de comprendre que Biya les méprise en fait autant que nous, et que seule la perpétuation de son pouvoir (lui, puis Franck après lui) guide la météo de ses rapports avec la France. Ça n'a jamais été une volonté quelconque d'amorcer le décollage économique du Cameroun. Et si après 40 ans vous y croyez encore, j'espère que vous êtes payés pour autant de naïveté absurde.
Qui plus est, ils sont persuadés que les accords militaires signés en mai avec la Russie sont des traités révolutionnaires, alors qu'il s'agit d'un simple renouvellement d'accords préexistants (ce que leur chef de gang a d'ailleurs admis lui-même quand son tympan a retrouvé trois secondes de vie) ; de plus, ils se sont enfermés dans une logique tordue où, plutôt que de développer la formation et la recherche comme Singapour, Taiwan ou Hongkong pour produire et transformer les ressources sur place, ils pensent que le panafricanisme consiste à abandonner un client (Paris), pour un autre (Moscou). Or ce cas de figure a un nom, et ça s'appelle de la prostitution politique.
Car un pays indépendant n'est pas celui qui vend ses matières-premières au plus beau ; un pays indépendant est celui qui a un plan pour ne plus vendre que le produit fini, et à qui il le désirera. Or quel est le plan de Biya ? Y a-t-il un chantier d'usine de fabrication de chars camerounais ? Un cabinet autonome d'extraction de bauxite ? de cobalt ? de cuivre ?
EN BREF :
Le dernier détail qu'il faut retenir est le suivant : la France est en train de perdre pied en Afrique, mais elle n'a pas encore perdu pied. Il y a là en effet une grosse nuance ! Et le cas du Cameroun est simple : pour que Macron ne le dérange pas dans l'intronisation de Franck après lui, pour qu'il ne lui « mette plus la pression », - et surtout pas publiquement - sur le chapitre des prisonniers politiques et du recul des libertés, Macron va obtenir de Biya la consolidation des acquis français et un retour progressif des entreprises hexagonales sur les créneaux perdus. Les semaines qui viennent, vous reentendrez parler du Coq, de Bolloré et autres.
Car c'est de ça qu'il s'agit. Il n'y a pas un camp de biyayistes face à un camp d'opposants ; il y a plutôt deux dealers en concubinage contre le peuple dans son ensemble. l'un se fout royalement de vous et ne souhaite que fonder la dynastie Biya (à l'instar de Gnassingbé, Bongo, Obiang et Déby), l'autre se fout royalement de vous et n'a besoin que de votre sous-sol, de vos contrats et de votre exécutif de son côté. Le seul espoir pour le peuple, le seul qui met réellement la France en difficulté, sur place comme à l'extérieur, c'est ce peuple lui-même, c'est-à-dire l'ensemble des gens qui ne sont rien et qui n'attendent rien. Ce sont eux qui nourrissent le « sentiment anti-français » (qui ne concerne en principe que l'orientation politique de l'Elysée), dont Paris s'inquiète tant.
Et il a raison de s'inquiéter. Car tôt ou tard, ses concubins locaux subiront leur Goita local.
EKANGA EKANGA CLAUDE WILFRIED
(Quant à toi, cher patriote biyayiste, avant que ne te vienne l'idée stupide de dire à un Camerounais de l'extérieur qu'il va lire l'heure et que Biya est trop fort, souviens-toi qu'entre Biya, Macron, ce Camemrunais et toi, tu es le seul des quatre qui connaîtras le délestage et la coupure d'eau cette semaine)