Mgr Ndongmo: l’évêque qui a voulu ‘détrôner’ Paul Biya

Paul Biya Veut Se «débarrasser» Mgr Albert Ndongmo, fût accusé de tentative de coup d’État, condamné à mort, gracié et exilé.

Tue, 11 Jul 2017 Source: https://thisisafrica.me/fr

Il troublait la tranquilité du régime trentenaire de Paul Biya et pour beaucoup c'était l'« évêque du tonnerre ».

Mort en mai 1992 au bout de 17 ans d’exil, l’ancien évêque de Nkongsamba voulait autonomiser financièrement son diocèse et prêcher un christianisme en prise avec la réalité.

Oubliant que ni le Vatican ni le pouvoir de Yaoundé voyaient cela d’un mauvais œil, il fût accusé de tentative de coup d’État, condamné à mort, gracié et exilé. Sans que sa mémoire ne disparaisse auprès des fidèles catholiques et de ses compatriotes qui continuent de s’en souvenir. Portrait.

Ces dernières semaines au Cameroun, l’ombre d’Albert Ndongmo est venue troubler la quiétude de ses anciens fidèles et admirateurs. Une vidéo de son passage sur une chaîne de télévision canadienne au mitan des années 80 et de son exil en est la cause.

Sur les réseaux sociaux et sous les chaumières, l’on a ainsi papoté, discuté de cette figure qui marqua à la fois le clergé et le monde politique de son pays durant son existence. C’était ainsi la preuve éclatante de ce que sa trajectoire et sa trace intellectuelle et religieuse ont été gravées dans le marbre de l’histoire de son pays.

Un pays qui, à en croire certains observateurs, paie encore à la colonisation un tribut que l’indépendance proclamée en 1960 n’a point endigué.



Mgr Albert Ndongmo ( Ph. Jeune Afrique Economie)

Albert Ndongmo, prélat catholique est un ancien évêque de Nkongsamba à l’ouest du Cameroun. Venu au monde en 1925, il est mort le 29 mai 1992 à Québec au Canada, après une condamnation à mort et un emprisonnement de cinq années en son pays, une grâce présidentielle et un exil forcé de 17 ans. Si son ombre continue ainsi d’irradier les discussions aussi bien politiques que religieuses ou sociales en son pays et ailleurs, c’est que son histoire n’est pas des plus simples. Et ce, même si thuriféraires et adversaires s’accordent sur son épaisseur intellectuelle et sa capacité à fournir, en temps et en heure, des solutions aux problèmes sociaux de son temps.



Et dire que dans son discours de «prise de siège» en août 1964, et qui est resté célèbre dans les milieux catholiques, voire au-delà, il avait pourtant tracé sa ligne de conduite : «La religion, le christianisme ne sont pas là pour professer un angélisme béat et naïf, une sainte oisiveté. Le croyant, le chrétien doit faire quelque chose pour la promotion, pour le développement de l’homme, de son pays, du monde. Le chrétien doit donc inscrire son action au sein de l’action nationale pour le développement de tout le pays; il doit être efficacement présent à tout ce qui se construit, à tout ce qui fait progresser l’homme, le pays et le monde». Une sorte de feuille de route devenue par la force des choses un impératif catégorique d’un prélat qui n’avait pas sa langue dans la soutane.

«Il est absolument humiliant pour les évêques africains d’aller partout en Occident quêter, se mettre à genoux pour avoir de l’argent»

C’est que Ndongmo énonce ce postulat depuis une région en proie aux troubles politiques. Et c’est à cette aune qu’il sera jugé. En ce début des sixties, cette région est celle qui empêche le pouvoir central de Yaoundé, où règne le tout puissant Ahmadou Ahidjo soutenu par l’ancien colon français, de dormir. Le dernier leader nationaliste Ernest Ouandié est rentré de son exil guinéen deux années plus tôt et anime depuis les forêts de la région où il se cache une résistance féroce qui rend cette partie du Cameroun quasi ingouvernable pour Yaoundé. Une résistance qui a pour corollaire le sang qui continue de couler autant dans les rangs des belligérants que chez les populations et les curés. Insécurité donc qui n’est pas pour peu dans la volonté du prélat, qu’on affuble déjà quantité de surnoms, de proposer à Ahidjo un de ces marchés qui fondent la politique et participent de la gouvernance des masses.

Si tôt après sa consécration comme évêque de Nkongsamba, il aura l’accord du président Ahidjo, «devant témoins», pour aller à la rencontre du chef rebelle Ouandié et tenter de la ramener à résipiscence. Ce qu’il entreprendra pendant de longues années, l’hébergeant même au besoin à l’évêché avant l’arrestation de celui-ci à la suite d’un rendez-vous manqué avec le prélat dans la ville de Mbanga, à une cinquantaine de kilomètres de Nkongsamba. De retour de Rome où il a été auditionné sur l’entreprise de production de plastique qu’il avait mise sur pied pour autonomiser financièrement son diocèse, il est arrêté à l’escale de Douala. Celui qui estimait chez nos confrères de Jeune Afrique Économie en 1991 qu’il «est absolument humiliant pour les évêques africains d’aller partout en Occident quêter, se mettre à genoux pour avoir de l’argent» fut ainsi cueilli alors même qu’il pensait avoir convaincu ses supérieurs du Vatican du bienfondé de son action.

L’évêque fut donc victime d’avoir osé emprunter une voie réservée aux colons encore présents en nombre dans le milieu des affaires en cette époque où la sève de l’indépendance était encore humide.

«Evangélisme incarné»

Il semblait oublier qu’à cette époque, l’entreprenariat endogène était suspecté, voire contesté par le pouvoir en place. L’écrivain Mongo Beti le démontre dans son essai à succès Main Basse sur le Cameroun paru et interdit en France en 1972. Il écrivait ainsi que «La colonisation avait cru pouvoir édifier un ordre durable dans lequel, tandis que le Camerounais bornerait son ambition aux satisfactions bureaucratiques, l’Européen aurait l’apanage de bâtir, de créer des entreprises et des richesses, en un mot d’exercer la véritable puissance dont il aurait ainsi reçu délégation à la satisfaction de tous»; avant d’ajouter plus loin qu’«en réalité, l’histoire sociale du Cameroun colonial révèle que la colonisation a dû plus d’une fois mobiliser l’arsenal de ses artifices pour maintenir l’inaccessibilité de la grande entreprise et même de la moyenne entreprise aux autochtones» (P91).



Mgr Ndogmo au Vatican, à gauche du pape Paul VI

L’évêque fut donc victime d’avoir osé emprunter une voie réservée aux colons encore présents en nombre dans le milieu des affaires en cette époque où la sève de l’indépendance était encore humide. Mais étant donné qu’il ne pouvait être accusé de cela, on lui présenta comme motif d’inculpation un coup d’État avec pour objectif l’élimination du président, et en intelligence avec les rebelles. Cela d’autant plus que Yaoundé le soupçonnait de lorgner le siège présidentiel. Valentin Emog dans une biographie de Ndongmo relève d’ailleurs que ce dernier en avait connaissance, reprenant au passage ses dires à ce sujet : «si le président de la République M. Ahidjo peut venir être évêque à Nkongsamba, eh bien, moi j’irai le remplacer à Yaoundé».

«Homme d’Église doublé d’un intellectuel soucieux de ne pas vivre en rupture avec entourage socio-politique, Mgr Ndongmo a toujours prêché un évangile incarné dans les réalités camerounaises de l’heure.»

Cela dit, Ndongmo était avant tout un prélat, un prédicateur de la bonne parole de Dieu. Et en cela, il avait décidé d’emprunter le chemin de la théologie de la libération; qui faisait fureur en ces années-là en Amérique latine, portée par une figure comme Gustavo Gutierrez. Son contemporain, et non moins prêtre et sociologue, Jean-Marc Ela en est convaincu. Dans un témoignage publié par nos confrères de Jeune Afrique Économie en juillet 1992, ce dernier dit : «Homme d’Église doublé d’un intellectuel soucieux de ne pas vivre en rupture avec entourage socio-politique, Mgr Ndongmo a toujours prêché un évangile incarné dans les réalités camerounaises de l’heure. C’est ainsi que, sacré évêque dans un diocèse profondément troublé et où le pouvoir réprimait avec la dernière énergie toute personne d’être de mèche avec les nationalistes d’Ernest Ouandié, il choisit de ne pas se taire, portant sur la place publique le scandale de la torture infligée aux détenus dont les hurlements lui parvenaient de [la prison] voisine de son évêché.»

Un «évangélisme incarné» que ne voyait pas d’un bon œil ses collègues et ses patrons de Rome. Qui le trahirent en le livrant sur un plateau à un Ahidjo dont l’ambition était de régner en maître absolu sur le Cameroun. Une parodie de procès aura lieu et débouchera sur sa condamnation à mort dans un premier temps. Cinq ans de bagne suivront et s’achèveront par un exil forcé d’abord à Rome, puis à Québec au Canada. Où il décèdera des suites d’un cancer du côlon et malgré une opération réussie. C’était un vendredi 29 mai 1992. A 15h30. Ce qui ne manqua pas de faire jaser dans la communauté catholique des fidèles qui y virent un signe avec une autre mort célèbre : celle de Jésus himself ! La passion en moins. Le retour de sa dépouille fera l’objet de turpitudes tant beaucoup se réclamaient de lui. Certains admiraient le prêtre, d’autres le dissident, d’autres encore le frère. Tout cela faillit faire des obsèques une tragédie.

La mémoire de ce prélat hors norme, que l’on surnomma «porteur de cornes» ou «évêque du tonnerre» continue de hanter bien des esprits en son pays

Dans le journal camerounais Les Cahiers de Mutations, le journaliste Valentin-Siméon en rappelle quelques épisodes dans une édition datée de février 2011. Épisodes qui ont surement fait un mal fou à ses admirateurs dont un certain Ambroise Kom, chercheur en littérature et critique littéraire qui dans un hommage d’époque dans son ouvrage Éducation et démocratie en Afrique, le temps des illusions, signala que Ndongmo «était largement en avance sur son temps et ne laissait personne indifférent»; avant de rappeler plus loin que «N’eût été son extraordinaire transcendance, la vie de Ndongmo aurait été un véritable cauchemar» dans un pays où «l’intellectuel n’est reconnu véritablement que lorsqu’il est inféodé au pouvoir en place» (pp240 et 241) .

En définitive, et même si des œuvres visibles et gravés dans le marbre de la réalité sociale au Cameroun tardent à voir le jour à son sujet, il reste que la mémoire de ce prélat hors norme, que l’on surnomma «porteur de cornes» ou «évêque du tonnerre» continue de hanter bien des esprits en son pays. Où repose sa dépouille, où se réclament encore des admirateurs. Et où le sort des prélats continue de secouer l’opinion comme on l’a vu récemment avec la disparition de Mgr Jean-Marie Bala.

Repères

29 septembre 1925 : naissance à Bafou

21 décembre 1955 : ordination sacerdotale à Nkongsamba

1958 : fondateur de l’université populaire de Nkongsamba

1959 : directeur diocésain de l’enseignement

1962-1964 : aumônier national de l’action catholique

3 juillet 1964 : nomination comme évêque du diocèse de Nkongsamba

24 août 1970 : arrestation à Douala de retour de Rome

Janvier 1971 : condamnation à mort

1975 : libération à la suite d’une grâce présidentielle et départ pour l’exil

29 mai 1992 : décès à Québec

13 juin 1992 : inhumation à la cathédrale de Nkongsamba

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