Moi, prisonnier du président - Olanguena

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Tue, 8 Mar 2016 Source: Le Jour

« Mensonges d’Etat », le livre de l’ancien ministre de la Santé publique, dénonce l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques et revient sur son procès kafkaïen.

Simple coïncidence ou timing parfait ? Alors que des diverses régions du Cameroun jaillissent des appels à une autre candidature de Paul Biya à la présidence de la République, Urbain Olanguena Awono, ancien ministre de la Santé publique, publie un témoignage édifiant de ce qu’est devenu le Cameroun sous son « vieux président ». Un univers où le mensonge s’est quasiment installé en règle et où il semble criminel d’envisager autre chose que Paul Biya.

« L’alpha et l’oméga de la stratégie politique sont centrés sur le Président National, Chef suprême, le monarque éternel qui incarne toutes les vertus, et dont il faut désormais implorer la candidature à l’élection présidentielle par les appels dits du peuple. Cette faillite à la fois intellectuelle, politique et morale est effarante, car poussant un peuple, malgré lui, à s’abrutir et à tuer son avenir », écrit Urbain Olanguena Awono.

L’auteur a voulu faire entendre un autre son de cloche, donner, avec « Mensonges d’Etat », un peu de place à la vérité : « Dans notre statut de victime de l’opération Epervier, notre devoir est de contribuer à cette oeuvre de vérité, de résister au mensonge et de dire la vérité au peuple camerounais qui a le droit de la connaître ».

Parmi les mensonges dont parle l’ancien ministre il y a donc cette fameuse opération Epervier. D’après lui, il s’agit simplement d’une campagne d’épuration politique savamment orchestrée par quelques barons du régime et dont le but est de mettre à l’écart certaines personnes à qui l’on avait prêté des ambitions présidentielles. Urbain Olanguena la présente comme « une terrifiante machine de guerre destinée à broyer les élites politiques craintes pour leur envergure et leur potentiel à succéder au vieux Président ».

Ainsi, lui qui se présente comme « prisonnier du président », a-t-il intitulé l’un des chapitres de son livre « L’enjeu et l’interdit de la succession ». Au coeur du dispositif, divers types d’acteurs. D’abord des membres du gouvernement. L’ex-Minsanté évoque d’abord les responsables en charge des questions de sécurité. Au moment où il est interpellé, il s’agit d’Edgar Alain Mebe Ngo’o (délégué général à la sûreté nationale et Remy Ze Meka (ministre délégué à la présidence chargé de la défense). Il y a également certains médias. « Les médias manipulés ou de connivence avec le jeu politicien ont joué un rôle-clé dans l’amplification de la bien-pensance de l’opération Epervier et la diabolisation des victimes », écrit Urbain Olanguena.

Il fait par exemple allusion à ces journées qui n’ont eu de cesse d’annoncer leur interpellation bien avant qu’elle ne survienne. Mais également de la Crtv, la chaîne d’Etat, qui est allée jusqu’à les filmer dans la cellule où ils ont été jetés à la Police judiciaire. Un comble d’humiliation.

Une justice aux ordres

Et pour couronner le dispositif, il y a la justice, dont l’auteur indique qu’elle est aux ordres : « Aux ordres et sous pression, la justice se transforme alors en instrument de répression politique. Il est ainsi apparu au Cameroun une nouvelle classe de prisonniers politiques avec un habillage judiciaire ». Il est particulièrement dur envers les ministres de la Justice qui ont « géré » son affaire, notamment Amadou Ali et Laurent Esso. Il qualifie le premier d’affabulateur et de calomniateur. « Par-delà sa forfaiture, il faut convenir qu’il est bien dangereux de faire porter la charge de garde de sceaux à un homme qui ne connait aucun mot du droit, et qu’à l’expérience Monsieur Amadou Ali aura été historiquement un acteur de déstabilisation notoire de l’une des garanties les plus précieuses de la République : la justice », écrit-il notamment.

S’agissant du second, il dira  plus loin : « Son successeur, Laurent Esso, mon prédécesseur au ministère de la Santé, dans le même rôle, mais en plus discret, est un ‘tueur silencieux’ ». A côté de la justice on peut également évoquer le Contrôle supérieur de l’Etat, dont l’auteur pense que les agents sont passés d’inspecteurs d’Etat à menteurs d’Etat. Il n’a eu de cesse de démontrer tout au long de son procès comment le travail de ceux-ci avait été mal fait. Par incompétence ou à dessein ?

A l’origine donc des problèmes d’Urbain Olanguena Awono et d’autres ministres comme Polycarpe Abah Abah ou encore Jean-Marie Atangana Mebara, il y a un soupçon d’intérêt pour le pouvoir. Ces trois personnalités qui seront interpellées dans les premiers mois de l’année 2008 sont présentées comme faisant partie d’un groupe visant à prendre le pouvoir à l’horizon 2011. Le fameux G11 «Pour essayer de « légitimer » ce processus dans l’opinion, l’idée d’un groupe politique, soi-disant menaçant pour le régime, a créé ce qu’on a appelé le G11 et dont les membres supposés devaient être éliminés. Dans la réalité, ce « machin » n’a jamais existé», précise Olanguena.

Le G11 et les émeutes de 2008

En février 2008, des émeutes embrasent certaines villes du Cameroun. Pour l’ex-Minsanté, elles seront présentées comme le début du passage à l’action du G11. Au lendemain de celles-ci, les passeports de Mebara, Abah Abah et Olanguena sont saisis. Ils seront arrêtés et jetés en prison quelque temps plus tard. Et puis, il y aura ce procès, aux allures kafkaïennes, que l’auteur décrit dans la troisième partie du livre, intitulée « Un procès absurde ».

Il y revient sur les différents chefs d’accusations portés à son encontre en montrant, chaque fois, comment ils étaient injustifiés. « Il revendique son innocence et en fait la démonstration. Question d’honneur assurément ! », lit-on en quatrième de couverture du livre. La défense d’Urbain Olanguena Awono n’est pas nouvelle, car il l’avait déjà répétée tout au long du procès qui est parti du Tribunal de Grande instance du Mfoundi au Tribunal criminel spécial (Tcs), en passant par la Cour d’Appel du Centre.

Dans ce livre où il dénonce l’instrumentalisation de la justice, il regrette également l’attitude de certains acteurs importants de la société. On a déjà évoqué les médias, qu’il ne critique pas tous, reconnaissant par exemple « le courage de cette presse qui résiste à la corruption et refuse de plier devant les menaces de tout genre qui ne manquent pas ». Urbain Olanguena se plaint par exemple de l’attitude de certains intellectuels, et pense que «de façon générale, l’élite qui dans chaque société doit tenir le rôle de boussole n’a pas eu de réaction massive suffisante pour éclairer vraiment et mobiliser l’opinion sur les enjeux ».

Ici aussi, certes, il fait la distinction entre ceux qui, courageux, ont tout de même résisté, et les autres. Cette même distinction, il la fera quand il parle de l’Eglise catholique. Il reconnaît le combat des Tumi, Lado, Kleda, mais affirme cependant : « Avec des communiqués émollients et équivoques sur les questions graves de violation des droits et de situations d’injustice posées par les procédures de l’opération Epervier, la voix de l’Eglise catholique paraît, à tout le moins, trouble et n’est pas entendue parce qu’elle manque à la fois de force et de clarté ». Et il ajoute : « Il est bien loin le temps où tonnait la voix de feu l’Archevêque Monseigneur Jean Zoa qui ne lâchait rien de l’autorité de son Eglise, et la mettait en rapport de force pour dénoncer les injustices et les crimes du pouvoir contre les faibles et les pauvres ».

Ses récriminations concernent également le parlement, qui à ses yeux a démissionné : « La démission du parlement, dominé par le Rdpc, dont les représentants rejettent systématiquement les propositions les plus raisonnables de l’opposition parlementaire, traduit, s’il en était encore besoin l’abaissement de cette grande institution républicaine, qui participe notoirement à l’affaissement de la République »

Avec cet ouvrage fort documenté, un autre cri est donc parti de Kondengui, la célèbre prison de Yaoundé. Un cri poussé par un autre « prisonnier du président ». Après Titus Edzoa, Jean Marie Atangana Mebara, Marafa Hamidou Yaya, un autre détenu de l’opération Epervier, ancien proche collaborateur de Paul Biya, rompt le silence. Comme Marafa Hamidou Yaya et Jean Marie Atangana Mebara, il rappelle son action pour le Cameroun. Notamment à la tête du Comité technique de suivi des programmes économiques et financiers (Cts) et plus tard du ministère de la Santé publique.

Société de justice

Autre point de similitude avec Marafa Hamidou Yaya dont Urbain Olanguena cite quelquefois les écrits, il y a ce regard tourné vers l’avenir et dans lequel on décèle un certain espoir. Il fait des propositions pour un meilleur Cameroun. Il évoque les difficiles conditions carcérales au Cameroun, la lutte contre la corruption, en rappelant notamment l’article 66 de la Constitution relatif à la déclaration des biens et qui n’a jamais été appliqué. «Ceux qui retardent, voire bloquent l’application de l’article 66 ou contestent même le principe de la déclaration des biens, sont assurément ceux qui ont bien de choses à cacher, et que conforte l’hypocrisie actuelle ».

Source: Le Jour