Lorsque ce 1er décembre 2025, la nouvelle de sa mort affole la toile, on est partagé entre scepticisme et prémonition. Quelques jours plus tôt, une fausse alerte le donnait déjà pour mort, compte tenu de ses soucis de santé connus de ses proches et même en haut lieu. 24 octobre 2025. Anicet Ekane qui venait de reconnaître la victoire de Issa Tchiroma Bakary à la présidentielle du 12 octobre, et se disait prêt à en apporter la preuve, est arrêté à Douala avec Djeukam Tchameni.
Tous les deux sont déportés au Secrétariat d’État à la défense (SED) où ils sont placés en garde à vue. Les chefs d’accusation au tribunal militaire, sont pour le moins accablants : insurrection, rébellion, révolution, hostilité contre la patrie, propagation de fausses nouvelles, fraudes électorales… Dans la foulée, ils sont rejoints au Sed par le Pr Aba’a Oyono sur lequel pèse les mêmes charges. Sa ligne de défense, reste constante. Il rejette tous ces chefs d’accusation, et se dit victime de ses combats politiques et ne reconnait que le ministre de l’Administration territoriale (Minat), le président du Conseil constitutionnel et le chef de l’État comme seuls interlocuteurs.
Une ligne de défense qu’il tiendra jusqu’au bout en dépit de la violence psychologique de son arrestation et de l’épée de Damoclès de la loi anti-terroriste du 23 décembre 2014. Une reculade par rapport au régime des libertés politique et civique obtenu de haute lutte à la faveur de la promulgation des lois de 1990. Malgré ses allures de jeune premier, Anicet Ekane était âgé de 74 ans. Miraculé d’un Covid sévère, dont il traînait de lourdes séquelles, il était condamné à l’usage d’un extracteur d’oxygène pour faire face à ses problèmes respiratoires. Lors de sa déportation à Yaoundé, ce kit a été confisqué à la légion de Gendarmerie du Littoral.
Les requêtes de son conseil pour obtenir sa restitution n’y ont rien fait. Lorsque ce kit lui est finalement remis, Anicet Ekane hésite à l’utiliser sans un minimum d’expertise à la fois juridique et médicale. Une réticence compréhensible qui lui sera hélas fatale. Sa santé se détériore brutalement ce vendredi 28 octobre où il est attendu pour une audition avec ses compères d’infortune devant le Commissaire du gouvernement. Il aurait dû être transféré vers une structure médicale plus indiquée pour une prise en charge efficiente.
Dernier soupir
Le pire se produit ce dimanche 1er décembre, où l’intrépide combattant rend son dernier soupir avec le même visage impassible. Il faut un minimum d’éthique en politique. Ceux qui n’ignoraient rien des pathologies lourdes qu’il traînait, se sont empressés à divulguer les informations sur son dossier médical. Une attitude de lâcheté et de violence post mortem qui en dit long sur des pratiques blâmables sous d’autres cieux et qui tendent à se banaliser chez nous. Tout aussi inutile est la polémique actuelle entre la famille du défunt, ses conseils, et le Commissaire du gouvernement autour d’une autopsie frappée au coin de la suspicion.
Le communiqué du ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement est plus que clair : « Le gouvernement en appelle par conséquent, au calme, à la retenue et au sens de responsabilité de toutes et de tous, afin d’éviter toute instrumentalisation inopportune d’un événement triste, qui soit de nature à porter atteinte à l’ordre public et à la paix sociale ». Dans un contexte post électoral volcanique, les circonstances troubles de cette disparition dans les geôles du Sed, interrogent notre processus démocratique et battent en brèche l’idéal d’humanisme et d’ouverture du chef de l’État.
Selon un communiqué du chef de Division de la communication du Mindef, « conformément à la procédure en vigueur, une enquête a été ouverte afin d’établir avec précision les circonstances du décès. Elle fera l’objet d’un traitement légal rigoureux et d’une communication appropriée ». Toute chose que confirme le porte-parole du gouvernement à l’effet d’élucider les circonstances et les causes de cette disparition à la suite de l’enquête prescrite par le chef de l’État. Seul bémol, lorsqu’on veut enterrer une affaire, on crée une commission d’enquête.
Les affaires Martinez Zogo, Mgr Bala et tant d’autres crimes non élucidés, suscitent un sentiment de défiance par rapport à ces commissions d’enquête annoncées tambour battant et qui finissent par s’évanouir dans la lourdeur des procédures. Lorsqu’il vient au monde ce 17 avril 1951, son destin de grande figure de la contestation politique sous les deux régimes semble déjà gravé dans le marbre. Jeune élève de Terminal, il assiste à Bafoussam à l’exécution d’Ernest Ouandié en 1971. Un événement qui va forger ses convictions de nationaliste et affirmer la fibre anti colonialiste, patriotique de l’étudiant qu’il deviendra par la suite et du militant de l’UPC puis du Manidem qu’il crée au détour du fractionnement du parti de Um Nyobe.
Il aurait pu rester dans le confort douillet d’un exil hexagonal. Il a accepté de venir au charbon et de mourir sur la brèche. C’est Ernest Hemingway qui a écrit cette phrase lourde de sens : « Vous pouvez tuer un homme, mais vous ne pouvez pas le vaincre ». Activiste politique, grande gueule à la fois manœuvrier et stratège, sa lutte était trans ethnique et trans partisane. Il soutiendra tour à tour John Fru en 1992, Maurice Kamto en 2025 avant le plan B, Issa Tchiroma. On peut donc comprendre au-delà de l’électrochoc provoqué par sa disparition brutale, l’ampleur de l’hommage rendu à cet incompris, cet écorché vif. Xénon, le philosophe stoïcien grec est formel : « On ne peut juger du bonheur d’un homme qu’après sa mort ».
La mort d’Anicet Ekane est un pied de nez aux partisans du verrouillage systématique de la vie démocratique et de l’étouffement des libertés publiques par l’illusion du pouvoir perpétuel et totalitaire. À son endroit, Maurice Kamto tient ce propos en guise d’hommage : « Ils l’ont tué, ils ont tué le président du Manidem, Georges Anicet Ekane (…). Sa mort en détention heurte violemment les consciences. Je porte en mon âme son deuil, que ravive le souvenir de chacune de nos rencontres portant pas si nombreuses. Le président Georges Anicet Ekane a été assassiné par la haine de Maurice Kamto, l’exécration du MRC, la détestation d’Issa Tchiroma Bakary, le mépris de la démocratie et l’angoisse du changement. Au regard des circonstances qui entourent sa mort, celle-ci ne peut être regardée autrement que comme un authentique crime d’État ».
Issa Tchiroma de renchérir : « Anicet Ekane est mort dans les geôles d’un régime qui n’a plus d’autre langage que l’humiliation, plus d’autre force que la brutalité, plus d’autre légitimité que la peur ». Adieu combattant.