Mort de Zouhaïra à Maroua : le pouvoir embarrassé par les "drames regrettables"

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Mon, 27 Oct 2025 Source: www.camerounweb.com

Dans un entretien accordé à Jeune Afrique le 22 octobre, cinq jours avant la proclamation officielle des résultats, Grégoire Owona a réagi à la mort d'une jeune institutrice tuée lors des manifestations post-électorales. Des révélations qui éclairent l'embarras du régime face à la violence.

Zouhaïra, 34 ans, institutrice. Un nom, un âge, une profession. Derrière ces quelques mots se cache l'un des drames humains de cette crise post-électorale camerounaise. Selon les révélations exclusives de Jeune Afrique, c'est en pleine interview avec le secrétaire général du RDPC, Grégoire Owona, qu'est tombée la nouvelle de son décès à Maroua.

La scène, rapportée par le magazine panafricain, est aussi révélatrice que troublante : "Au milieu de la discussion, un message lui avait annoncé le décès d'une institutrice à Maroua", écrit Jeune Afrique. La jeune femme aurait été "atteinte d'une balle tirée à bout portant, selon des témoins, par des individus non identifiés".

"Des drames regrettables" : une formule qui passe mal

La réaction de Grégoire Owona, immortalisée par Jeune Afrique, résume à elle seule l'embarras du pouvoir : "Ce sont des drames regrettables", aurait déclaré le ministre du Travail, avant d'adresser ses "sincères condoléances à sa famille".

Des "drames regrettables". L'expression, neutre et bureaucratique, contraste violemment avec la réalité : une jeune enseignante de 34 ans, tuée par balle dans une ville en ébullition. Pour les partisans de l'opposition, cette formule aseptisée est insupportable. Elle évacue toute responsabilité, comme si Zouhaïra était victime d'un accident de la circulation et non d'une violence politique.

Des "individus non identifiés" : la question de la responsabilité

Jeune Afrique souligne un détail crucial dans le récit des témoins : la jeune femme aurait été touchée par "des individus non identifiés". Cette formulation ouvre un abîme d'interrogations. S'agissait-il de forces de sécurité en civil ? De miliciens pro-gouvernementaux ? Ou de manifestants armés ?

L'absence d'identification des tireurs arrange le pouvoir, qui peut ainsi éviter d'assumer directement la responsabilité de cette mort. Mais elle alimente aussi les théories les plus sombres parmi l'opposition, qui y voit la preuve d'une répression organisée mais déguisée.

Maroua, ville du Nord acquise à Issa Tchiroma Bakary selon les chiffres de l'opposition, a été l'un des épicentres de la contestation. Les manifestations y ont été "réprimées par les forces de l'ordre", note Jeune Afrique. Dans ce contexte, la mort de Zouhaïra prend une dimension symbolique : celle d'une répression qui ne dit pas son nom mais qui frappe néanmoins avec une efficacité mortelle.

Ce qui ressort de l'entretien exclusif accordé à Jeune Afrique, c'est la conscience aiguë qu'a le régime du danger qui le guette. Grégoire Owona ne cache pas son inquiétude. Le magazine rapporte que le secrétaire général du RDPC avait "l'air grave" et s'inquiétait "de la dégradation du climat politique à travers le pays".

Cette préoccupation n'est pas feinte. Le pouvoir sait que chaque victime comme Zouhaïra devient un martyr pour l'opposition, un visage qui incarne l'injustice et galvanise la contestation. Les réseaux sociaux ont déjà fait circuler l'histoire de cette jeune institutrice, transformant sa mort en symbole de la répression.

Jeune Afrique révèle que Maroua n'est que "les prémices d'un mouvement de plus grande ampleur". Cette analyse, confortée par les événements ultérieurs comme l'embrasement de Mandjou, s'avère prophétique.

Le drame de Zouhaïra pose une question terrifiante : combien d'autres victimes le Cameroun comptera-t-il avant la fin de cette crise ? Si une institutrice peut être abattue dans une ville du Nord, que se passera-t-il lorsque les grandes métropoles comme Douala ou Yaoundé descendront massivement dans la rue ?

L'image est saisissante : d'un côté, Grégoire Owona, ministre puissant, secrétaire général du parti au pouvoir, recevant dans son bureau climatisé la prestigieuse rédaction de Jeune Afrique. De l'autre, Zouhaïra, jeune institutrice de 34 ans, gisant dans une rue de Maroua, victime d'une balle tirée à bout portant.

Entre ces deux Camerounais, un fossé infranchissable s'est creusé. Le premier peut se permettre de qualifier de "regrettable" ce que la seconde a payé de sa vie. Cette asymétrie est peut-être la meilleure illustration de la crise que traverse le pays.

Les "sincères condoléances" de Grégoire Owona à la famille de Zouhaïra, rapportées par Jeune Afrique, sonnent creux face à l'ampleur du drame. Que pèsent des condoléances quand aucune enquête sérieuse n'est annoncée pour identifier les "individus non identifiés" ? Que valent-elles quand le système qui a produit cette violence reste intact ?

Pour la famille de Zouhaïra, pour les habitants de Maroua, pour tous ceux qui contestent les résultats officiels, ces condoléances ressemblent davantage à une reconnaissance embarrassée qu'à une véritable compassion. Elles admettent implicitement que quelque chose de grave s'est produit, sans pour autant s'engager sur la voie de la justice ou de la réparation.

L'histoire récente du Cameroun montre que ces "drames regrettables" ont tendance à se multiplier lorsque le pouvoir est contesté. En 2018, lors de la crise post-électorale qui avait suivi la réélection de Paul Biya face à Maurice Kamto, des dizaines de manifestants avaient trouvé la mort dans la répression.

Jeune Afrique, en révélant la mort de Zouhaïra et la réaction minimisante du pouvoir, met en lumière un mécanisme bien rodé : la violence d'État euphémisée, les responsabilités diluées, les victimes transformées en statistiques regrettables.

Source: www.camerounweb.com