Multinationales : 136 pays signent un accord historique sur un impôt minimum mondial

Le fait que 136 pays y aient souscrit est une réussite en soi.

Tue, 12 Oct 2021 Source: www.bbc.com

La plupart des pays du monde ont signé vendredi un accord historique qui obligera les grandes entreprises à payer plus d'impôts.

Au total, 136 pays ont convenu d'un impôt minimum mondial de 15 %, ainsi que d'un système plus équitable d'imposition des bénéfices là où ils sont réalisés.

Cette mesure est motivée par la crainte que les multinationales ne redirigent leurs bénéfices vers des lieux où les impôts sont moins élevés, afin de réduire la charge fiscale à payer.

Certains, toutefois, estiment que l'accord ne va pas assez loin.

L'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) mène depuis dix ans des pourparlers pour parvenir à un tel accord.

On estime qu'elle pourrait générer 150 milliards de dollars de taxes supplémentaires par an, ce qui aiderait les économies à se remettre de la pandémie de coronavirus.

Elle n'éliminera pas la concurrence fiscale entre les pays, mais la limitera seulement.

L'impôt minimum global sur les multinationales commencera en 2023. Certains pays vont réaffecter certains droits fiscaux des grandes multinationales de leur pays d'origine vers les marchés où elles ont des activités et réalisent des bénéfices.

Et ce, indépendamment de la présence physique des entreprises sur place, ce qui devrait avoir un impact sur les grandes entreprises numériques telles qu'Amazon et Facebook.

L'OCDE annonce que cela affectera 125 milliards de dollars de bénéfices pour une centaine de multinationales parmi les plus grandes et les plus rentables du monde.

"C'est un accord de grande envergure qui garantit que notre système fiscal international s'adapte à une économie mondiale numérisée et mondialisée", a déclaré Mathias Cormann, secrétaire général de l'OCDE.

Plus de 100 pays ont soutenu les propositions initiales de l'OCDE lorsqu'elles ont été annoncées en juillet.

L'Irlande, la Hongrie et l'Estonie, pays où l'impôt sur les multinationales est inférieur à 15 %, ont initialement résisté, mais ont finalement adhéré à l'accord.

Toutefois, le Kenya, le Nigeria, le Pakistan et le Sri Lanka n'ont pas encore adhéré à l'accord.

Le pacte résout également le différend entre les États-Unis et des pays comme la France et le Royaume-Uni, qui avaient menacé d'imposer une taxe numérique aux géants américains de la technologie.

"La quasi-totalité de l'économie mondiale a décidé de mettre fin à la course vers le bas en matière d'impôts sur les sociétés", se félicite Janet Yellen, secrétaire au Trésor des États-Unis, l'une des forces motrices de l'impôt minimum.

"Au lieu de rivaliser sur les faibles taxes, les États-Unis rivaliseront sur les compétences de nos travailleurs et notre capacité à innover, une course que nous pouvons gagner", ajoute-t-elle.

Pourquoi changer les règles

Les gouvernements sont depuis longtemps confrontés au défi de l'imposition des sociétés multinationales opérant dans de nombreux pays.

Ce défi a pris de l'ampleur avec la montée en puissance des grandes entreprises technologiques, telles qu'Amazon et Facebook.

Jusqu'à présent, les entreprises pouvaient établir des succursales dans des pays où le taux d'imposition des sociétés était relativement faible et y déclarer leurs bénéfices.

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Cela signifie qu'elles ne paient que le taux d'imposition local, même si les bénéfices proviennent principalement de ventes réalisées ailleurs. Cette pratique est légale et courante.

L'accord de vendredi vise à empêcher que cela ne se produise, principalement de deux manières.

Tout d'abord, le taux d'imposition minimum mondial limite la "course vers le bas", où les pays peuvent se faire concurrence sur les faibles taux d'imposition.

Deuxièmement, les règles viseront à ce que les entreprises paient des impôts dans les pays où elles vendent leurs produits ou services, plutôt que dans ceux où elles déclarent leurs bénéfices.


Gagnants et perdants

Analyse de Theo Leggett, correspondant économique de la BBC

Cet accord constitue un changement important dans la manière dont les grandes entreprises mondiales sont imposées.

Dans le passé, les pays se faisaient concurrence pour proposer un accord attractif aux multinationales. C'était logique lorsque ces entreprises venaient dans le pays, installaient une usine et créaient des emplois. On pourrait dire qu'elles ont donné quelque chose en retour.

Mais les géants de la nouvelle ère numérique ont simplement déplacé leurs bénéfices d'un endroit à l'autre, des régions où ils faisaient des affaires vers celles où ils payaient moins d'impôts. Bonne nouvelle pour les paradis fiscaux, mauvaise nouvelle pour tous les autres.

Le nouveau système minimise les possibilités de tels glissements et garantit que les grandes entreprises paieront au moins une partie de leurs impôts là où elles opèrent plutôt que là où elles choisissent de s'installer.

Le fait que 136 pays y aient souscrit est une réussite en soi. Mais il y aura inévitablement des perdants et des gagnants.

Pourquoi est-ce important ?

Les partisans de l'impôt minimum y voient un moyen d'homogénéiser le système fiscal international, en empêchant les entreprises de déplacer leurs activités d'un pays à l'autre à la recherche de meilleurs avantages.

En cette période de crise économique liée à la pandémie de covid-19, un système fiscal offrant moins d'avantages aux multinationales permettra aux gouvernements d'augmenter leurs recettes fiscales.

De plus en plus, les recettes fiscales proviennent de sources immatérielles telles que les brevets sur les médicaments, les logiciels et autres services numériques qui ont migré vers les paradis fiscaux.

C'est pourquoi de nombreux gouvernements appellent à la création d'un cadre fiscal qui réponde aux nouveaux systèmes de production, de commercialisation et de taxation qui, depuis des décennies, ne sont plus limités par les réglementations nationales.

Doutes

Mais tout le monde n'est pas d'accord avec une réglementation mondiale des impôts payés par les multinationales.

Chris Edwards, directeur des études de politique fiscale à l'Institut Cato aux États-Unis, affirme que, de la même manière que la concurrence entre les entreprises favorise l'efficacité, la concurrence fiscale génère des avantages en termes d'efficacité entre les pays.

"La concurrence fiscale entre les pays est une bonne chose, pas une mauvaise chose", explique M. Edwards à la BBC Mundo il y a quelques mois.

Sans concurrence internationale, ajoute-t-il, les gouvernements deviennent des monopoles.

La question reste également ouverte quant aux stratégies que les paradis fiscaux appliqueront désormais à ce nouveau scénario.

"Il y a toujours des incitations pour les gouvernements à tricher" et à finir par jouer selon leurs propres règles, explique Michael Moore, professeur d'économie et d'affaires internationales à l'université George Washington.

Même si les gouvernements conviennent d'un taux minimum, a-t-il noté, ils peuvent créer d'autres incitations pour attirer les entreprises, telles que des exemptions, des subventions, des crédits ou tout autre mécanisme qui favorise finalement les entreprises.

"Ils peuvent créer des politiques secondaires qui, en fin de compte, modifient le taux effectif que les entreprises paient", affirme M. Moore.

Oxfam, une confédération internationale d'ONG de lutte contre la pauvreté, estime que 15% est un plancher trop bas "qui ne fera rien ou presque pour mettre fin à la concurrence fiscale dommageable".

En juillet, sa directrice exécutive internationale, Gabriela Bucher, indique : "des pays comme l'Australie et le Danemark y voient déjà une excuse pour réduire les impôts locaux sur les sociétés, ce qui pourrait provoquer une nouvelle course vers le bas".


Source: www.bbc.com