Plus de cent enseignants ont été kidnappés par les séparatistes des régions, anglophones depuis 2016. Un métier parmi les plus touchés par ce fléau. À ce jour, les ministères en charge de l’enseignement n’ont toujours pas pris de mesures concrètes pour «sécuriser établissements scolaires et enseignants». Un laxisme qui viole les conventions internationales.
«Les enseignants font partie des corps de métiers les plus kidnappés par les séparatistes dans les régions anglophones. Une centaine de collègues ont été enlevés depuis 2016. Cinq ont été tués. Le campus n’est pas assez sécurisé, vous pouvez être kidnappé quand vous faites cours», déplore le professeur.
Des déclarations qui font froid dans le dos, car depuis septembre, les enseignants ont repris le chemin des classes pour la rentrée scolaire 2021-2022. Officiellement, les ministères de l’enseignement supérieur, de l’éducation de base et des enseignements secondaires n’ont fait aucune annonce officielle pour garantir la sécurité des enseignants dans les régions anglophones.
Si dans les villages reculés les écoles sont fermées, dans les chefs-lieux de régions, de départements et de certains arrondissements, quelques écoles fonctionnent. Et la sécurité des enseignants qui y sont affectés n’est pas garantie. Une situation qui révolte les syndicats d’enseignants.
Des enseignants enlevés et tués
Au début du mois de septembre 2021, en pleine rentrée scolaire, Handerson Quetong Kongeh, le préfet du département de Ngoketunjia dans la région du Nord-Ouest, nous informe que treize enseignants viennent d’être enlevés par des séparatistes armés. «Les enseignants étaient à bord de deux voitures, ils rentraient chez eux après avoir assisté à une réunion pédagogique pour la rentrée scolaire. Lès séparatistes ont intercepté leurs véhicules en cours de route et ils ont tous été enlevés», explique le préfet.
Deux semaines plus tard, ces enseignants ont été contraints de payer 500000 Fcfa chacun pour être libérés. «Les séparatistes ont obligé chaque enseignant à appeler les membres de sa famille pour collecter de l’argent afin qu’il soit libéré. C’était la seule solution pour qu’ils soient relâchés», a précisé le préfet.
Dans l’arrondissement de Wum, chef-lieu du département de la Menchum, toujours dans la région du Nord-Ouest, l’enseignant Fumgnam Richard qui dispensait les cours à l’école primaire de Wum a été tué dans la nuit du 5 Octobre 2021. «Il se trouvait à son domicile lorsqu’il a été tué dans la nuit par des séparatistes. On lui reprochait d’avoir donné des cours aux élèves malgré l’interdiction décrétée par les séparatistes», a expliqué une source locale.
D’autres cas d’enlèvement d’enseignants ont été signalés en ce début d’année scolaire dans la région du Sud-Ouest. Stephen Afuh, le président du syndicat des enseignants presbytériens, affirme que le rythme des enlèvements n’a pas baissé dans les établissements privées. «Onze enseignants ont été enlevés en novembre de l’année dernière par des assaillants. Les attaques d’écoles sont fréquentes. Les professeurs kidnappés sont souvent libérés contre une rançon, mais certains ont aussi été tués, accusés parles ravisseurs de collaborer avec le régime », explique-t-il.
Dans un article publié dans le journal Le Monde, le 4 Novembre 2020, et intitulé «Six enseignants enlevés dans l’attaque d’une école à Kumbo», le révérend Samuel Fonki, chef de l’église presbytérienne du Cameroun, responsable de l’école où se sont effectués les enlèvements, déplore le laxisme des responsables administratifs locaux. «Ils passent leur temps à contester le bilan des incidents. Ils veulent toujours les réduire à la baisse au lieu de chercher à trouver des moyens pour sécuriser les enseignants. Sur le terrain nos enseignants du privé, tout comme ceux du public, n’ont aucune mesure de sécurité garantie», regrette-t-il dans le journal.
Mvondo Olivier, membre du collectif des enseignants du Cameroun, affirme que les préfets suspendent les salaires des enseignants qui osent revendiquer, que les salaires de ceux qui restent sont incomplets, ‘ et enfin que les avancements et les rappels de plusieurs de ses collègues sont bloqués. «Les syndicats politisés ne donnent plus de la voix», regrette-t-il.
Le mardi 19 Octobre, ayant été reçu par quelques responsables des ministères des enseignements secondaires et de l’éducation, de base, à Yaoundé, nous avons constaté que les ministères ne disposent pas des chiffrés exacts sur le nombre d’enseignants tués ou enlevés en zones anglophones. «Il faut vous rapprocher de nos délégations situées dans ces régions-là», nous ont recommandé certains responsables. Officiellement, aucun ministère n’a donné les dispositions prises en régions anglophones pour sécuriser les enseignants.
Ils fuient les zones anglophones
«Six cents enseignants sont absents de leurs postes de travail depuis des mois pour certains, et des années pour d’autres», a signalé un communiqué du ministre des enseignements secondaires, Nalova Lyonga. En plus d’être «déserteurs», la particularité de ces enseignants, si on s’en tient au communiqué, «est qu’ils se trouveraient hors du territoire national». Le ministre a demandé à ces enseignants de se présenter dans son département ministériel direction des ressources humaines porte 507 au bureau des bons de caisses dans un délai de sept jours, faute de quoi des mesures disciplinaires seront prises à leur encontre.
Une rigueur du ministère qui n’arrange pas du tout les inspecteurs pédagogiques rencontrés sur le terrain pendant l’enquête. «Le fait que le ministre recense le nombre d’enseignants absents est une initiative louable. Mais le véritable problème est ailleurs. Pour quels raisons sont-ils partis? Une fois qu’on a répondu à cette question on peut.trouver des solutions», a mentionné un inspecteur pédagogique.Pour lui, l’État a l’obligation d’assurer la sécurité des enseignants.
Violation des conventions internationales
Les forces de sécurité en service dans les régions anglophones expliquent que la meilleure façon d’assurer la sécurité des enseignants serait de leur faire «des gardes rapprochés et des escortes». Or (et non – hors) officiellement des dispositions pareilles n’ont pas été prises par les différents ministères.
Gaby Ambo, président de l’ong Finders Group Initiative basé à Bamenda, ainsi que certains avocats, rappellent que le droit international des droits de l’homme impose aux États des obligations qu’ils sont obligés de respecter. Car en ratifiant les traités internationaux des droits de l’homme, les États assument des obligations et des devoirs en droit international, qu’ils doivent respecter, protéger, et réaliser.
«L’obligation de protection exige que les États prennent toutes les mesures pour écarter tout obstacle empêchant l’exercice du droit à l’éducation», rappellent-ils.
L’article 3 de la déclaration universelle des droits de l’homme précise que « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne». L’État signataire de cette convention a donc le devoir d’assurer la sécurité des enseignants, de prendre des mesures concrètes, pour éviter les kidnappings et les tueries enregistrés sur le terrain en ce moment.