NOSO : négocier avec les groupes radicaux, la dernière carte du gouvernement

Négocier avec les groupes radicaux, la dernière carte du gouvernement

Wed, 20 Oct 2021 Source: Le Jour

L’enseignant-chercheur en Science politique à l’Université de Dschang Pr Joseph Keutcheu revient sur les origines de la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Il fait des propositions pour la sortie de crise. Voici un extrait de l’entretien.

Avez-vous l’impression que le gouvernement gère au mieux cette crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ?

Au mieux, dites-vous ? Il ne me revient pas de faire des jugements de valeur relativement à la gestion de la crise. Je suis par contre fondé à faire des jugements de réalité. Le Grand Dialogue National était envisagé comme un instrument de sortie de cette crise. Je fais le constat, et vous pouvez le faire avec moi, que jusqu’à ce jour, la crise persiste. Elle se durcit même avec son lot de drames : des milliers de familles sont déplacées et leurs conditions de vie durablement voire irrémédiablement compromises, des jeunes y meurent tous les jours, les pronostics relatifs à une fin imminente du conflit sont hyper pessimistes.

Selon vous, l’arrestation des leaders de la contestation a-t-elle plongé le pays dans l’incertitude ?

Dans mon article, j’indique que la dégradation de la négociation entre le gouvernement et les membres du Consortium majoritairement fédéralistes est venue renforcer la posture des leaders sécessionnistes. L’arrestation des leaders activistes et l’interdiction des activités du Consortium le 17 janvier 2017 ont en effet mis en difficulté, dans l’opinion publique anglophone, les tenants du fédéralisme et d’un dialogue apaisé avec Yaoundé alors qu’elles y ont élargi la marge de manœuvre et la cote d’amour des sécessionnistes. Ces faits ont sans aucun doute constitué la rupture d’un dialogue qui avait été́ difficile à obtenir du fait de positions diamétralement opposées. Plusieurs activistes anglophones qui participaient à la négociation ont été obligés de fuir le pays. Certains n’ont pas hésité pas à rejoindre les rangs des sécessionnistes.

Plus de quatre ans après, le parlement camerounais n’a toujours pas inscrit cette question au centre des débats. Peut-on justifier ce choix ?

Le parlement, majoritairement peuplé de députés de la formation dirigeante, est à l’image de ladite formation. On n’y goûte que très peu au débat que les députés de l’opposition ont l’intention d’ouvrir relativement à une éventuelle forme fédérale de l’État et à bien d’autres questions embarrassantes pour le Gouvernement.

Plusieurs acteurs rencontrés vous ont fait savoir que la répression de l’État a servi de moteur pour un activisme régulier. Les armes et les bombes artisanales sont entrées désormais dans ce conflit mettant aux prises les séparatistes à l’armée. Y a-t-il selon vous, une solution pour une sortie définitive de cette crise ?

Je peux comprendre le discours ambiant, à perspective stratégique, dans la formation dirigeante. C’est un discours qui privilégie l’option militaire qui a vocation à fonctionner sur la rupture, le retournement, l'effondrement de l’adversaire, et dont l'objectif, défini par des auteurs comme Clausewitz, est l'anéantissement de la volonté de l'ennemi. Mais ce type de guerre d’usure n’est viable que si l’intendance de l’État est bien dotée financièrement. Le contexte économique national actuel me fait douter de la portée d’une telle option. Dans le contexte actuel, seule l’audace de l’initiative peut ouvrir les perspectives du retour au calme. Je pense qu’il va falloir que nos pouvoirs publics sortent des sentiers battus de l’État unitaire et du Cameroun un et indivisible. Il faut qu’ils abrègent cette guerre qui est hyper coûteuse humainement et financièrement.

Il va falloir négocier avec ceux qu’on considère aujourd’hui comme les Anglophones radicaux, ceux qui revendiquent un droit à l'autodétermination pour leur peuple. Il va falloir discuter avec eux pour d’abord obtenir un cessez-le-feu permanent de stopper la spirale sanglante actuelle. Il faudra ensuite engager avec eux le volet proprement politique de la négociation. Il s’agira alors pour les négociateurs gouvernementaux d’offrir des trophées de guerre servant de contrepartie à la sécession et permettant aux combattants sécessionnistes de sortir la tête haute du conflit. À ce niveau que la mise en œuvre véritable et intégrale du statut spécial pour le Nord-Ouest et le Sud-Ouest pourrait aider. Elle aiderait aussi à un retournement dans l’opinion publique anglophone. Dans tous les cas, rien ne sera plus comme avant, l’aptitude et la volonté des pouvoirs publics de faire des concessions seront l’une des clés de la sortie de crise.

Source: Le Jour