Notre démocratie mérite d’être travaillée - Dr. Christopher Fomunyoh

2891 Dr Christopher Fomunyoh 122015 C2 001 Ns 700 Le directeur régional pour l'Afrique au NDI, Dr. Christopher Fomunyoh

Fri, 1 Apr 2016 Source: 237online.com

Lauréat des « Guardian Post Achievement Awards », « Monsieur NDI Afrique » qui invite le corps médical camerounais à plus d’humanisme dans une interview exclusive accordée au journal La Voix Des Décideurs.

Il a donné sa position sur la modification constitutionnelle et l’anticipation de la présidentielle au Cameroun et avance ses raisons.

Lire ses confidences.

Comment avez-vous accueilli votre désignation comme Homme de l’Année 2015 par le jury de Guardian Post Awards ?

J’ai été agréablement surpris par cette désignation parce que je ne m’y attendais pas. Je me suis aussi senti très honoré en recevant la lettre de notification. Je me fais une idée de ceux qui ont reçu le prix dans le passé.

Les Guardian Post Awards sont réputés et crédibles. Ma distinction m’a laissé une vive émotion. Je mesure à quel point mes compatriotes suivent les actes que je pose. Je peux dire que mes citoyens à leur manière, ont contribué à ma désignation puisque le jury a abouti à la décision finale de façon unanime.

Pour vous que représente cette distinction ?

Elle a une place particulière dans mon cœur. Vous savez on a beau avoir tous les diplômes du monde, mener des activités dans divers pays africains, être apprécié comme un grand panafricaniste, être reconnu et accepté pour son travail, mais lorsque les vôtres vous décerne un prix de reconnaissance, ça vous touche particulièrement.

C’est le sentiment que le peuple me soutient. Ce qui pour moi renforce mon intérêt pour ce prix venant de mes propres compatriotes. Ce prix dépasse de loin toutes les reconnaissances que j’ai pu recevoir jusqu’à présent et je suis très fier.

Aujourd’hui la fondation est honorée et c’est le fruit d’un travail de longue haleine. D’où vous êtes venue l’idée de la création de cette fondation ?

La fondation a été créée en 1999. En ce temps-là, l’Afrique était traversée par un vaste mouvement socio-économique politique. C’était l’époque de l’écroulement des régimes à parti unique et des régimes militaires. Il y avait des débats sur la meilleure approche susceptible de garantir la gestion des économies africaines. On parlait de la privatisation des sociétés d’Etats. Il y avait une effervescence d’idées sur l’Afrique et son avenir.

Etant affilié à une structure sur le plan professionnel qui était très engagée dans ce domaine, il fallait que je trouve une opportunité pour donner quelque chose aux miens. Je suis allé dans les coins reculés du pays pour rassurer mes concitoyens. Je me souciais beaucoup du déracinement engendré par tous ces débats. J’ai estimé qu’à travers une fondation à but non lucratif, l’humanitaire et l’éducation devaient être garantis.

Il était question d’assurant une contribution très importante au développement de la nation. Voilà comment le projet a germé dans mon esprit. J’ai commencé avec des moyens modestes. Petit à petit la fondation s’impose. Je suis satisfait pour l’intérêt que mes concitoyens manifestent dans toutes les régions du Cameroun.

Depuis 1999 quel bilan aujourd’hui ?

Je peux dire que le bilan est positif. J’aurais bien voulu avoir un tableau plus beau. En toute chose, le début n’est jamais facile. La fondation ne bénéficie pas des financements publics. Elle compte uniquement sur nos maigres ressources. Ce sont les âmes de bonne volonté qui soutiennent certaines de nos actions.

La fondation a organisé des séminaires de sensibilisation sur le HIV/SIDA sur une période de 12 mois. Je vous assure que ces activités ont été financées partiellement par un Camerounais. Ce philanthrope a mis ses ressources à la disposition de la fondation. Ce n’est pas facile de mener des activités. La demande est forte mais les moyens limités.

En regardant dans le rétroviseur, je vois des domaines dans lesquelles la fondation a eu un impact significatif. 05 ans durant, nous avons régulièrement organisé des séminaires de mise à niveau et de renforcement des capacités.

Nos cibles étaient les leaders de la société civile et les journalistes. L’usage des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) a payé. Certains participants à nos activités ont par la suite créé des Organisations Non Gouvernementales (ONG). Ces ONG sont très actives.

A titre d’exemple, on peut citer l’ONG BOSKOUDA qui défend les intérêts des minorités bororos. Au départ, cette organisation a fait appel à la fondation pour renforcer les capacités de ses membres. C’est l’occasion pour moi de faire allusion aux journalistes qui ayant suivi des formations organisées par la fondation. Plus tard, ces derniers ont été recrutés par d’autres organes de presse. Beaucoup de choses se sont passées pendant leur séjour à la radio de la fondation. Quelque part, j’ai la conviction que nous apportons franchement notre contribution au bien-être de nos concitoyens.

Comme vous le dites si bien, c’est un sentiment de satisfaction qui vous anime actuellement. Pensez-vous vous poursuivre votre œuvre humanitaire et philanthropique qui est d’ailleurs si immense ?

Oui justement parce que notre champ d’action est très vaste et passionnant. Le nombre de domaines d’intervention de la fondation va augmenter. Nous allons nous déployer dans les régions, les départements et les arrondissements. Je vais renforcer mes activités dans l’humanitaire.

Quand on parle de Bill Gate Foundation, Rock Feller Foundation et Ford Foundation, on oublie que ces organisations ont commencé avec les moyens du bord. Au fil des années, elles ont pu mobiliser des ressources importantes pour atteindre leurs objectifs. Le volontariat est un esprit que nous pouvons promouvoir dans notre pays. Je suis prêt à soutenir toutes les initiatives allant dans ce sens.

La fondation ne peut-elle pas se déployer dans d’autres pays africains tel que le Gabon et la Guinée Equatoriale?

Notre approche vise le succès des actions que nous menons. Si localement, on s’illustre par des réalisations grandioses, rien ne peut nous empêcher de tourner vers l’extérieur. Notre vision panafricaniste nous oblige à satisfaire tous les fils du continent. Je suis très fier des encouragements venant des Africains des autres pays.

Pour la cérémonie de Buea, beaucoup d’Africains ont souhaité faire le déplacement. Mais les moyens ne les ont pas permis d’être parmi nous. Si d’aventure, la Fondation Fomunyoh devient une actrice nationale de premier plan, nous ouvrir notre champ d’action à d’autres pays.

Dans vos activités, il s’avère que l’éducation occupe une place de choix. Pourquoi cette option ?

Je suis conscient du fait que l’éducation soit la clé du succès. Une bonne éducation de base garantit un avenir radieux. L’Afrique est confrontée à beaucoup de crises. Notamment la mal gouvernance et les guerres. Les populations qui n’ont pas accès à l’éducation vivent dans l’ignorance. Dans certains pays on a des enfants soldats. Ceux-ci commettent des actes abominables. C’est la résultante du manque d’éducation. Les mouvements extrémistes recrutent la majorité de leurs combattants parmi les jeunes.

La notion de village planétaire met le jeune Camerounais en compétition avec le jeune Chinois, Français, Britannique, Américain ou Canadien. Il faut que la jeunesse camerounaise se positionne sur le plan global. Si on investi suffisamment dans l’éducation, notre jeunesse peut avoir son mot à dire dans l’émergence du pays. Chacun doit apporter sa contribution là où il se sent capable. De façon holistique, une jeunesse bien éduquée est gage de succès.

Que pensez-vous du système éducatif camerounais ?

Je pense que notre système éducatif mérite d’être repensé. Nous avons hérité des systèmes éducatifs datant de l’époque coloniale. Ces systèmes éducatifs sont calqués sur vision de Paris ou de Londres. Notre système éducatif doit s’adapter aux réalités locales. N’oublions pas que le monde du XXIe siècle qui est compétitif. La situation actuelle suscite un tas d’interrogations.

Doit-on continuer à former les gens de la même manière ? Faut-il mettre l’accent sur l’enseignement technique ? Les gens formés sont-ils utiles pour la société ? Le Cameroun étant un pays d’agriculture, pouvons-nous orienter l’éducation vers ce secteur ? Comment pouvons-nous former notre main d’œuvre pour saisir les opportunités qui se présentent ?

Comment pouvons-nous transformer notre système éducatif en outil de compétition économique ? Comment pouvons-nous transformer le bilinguisme qui au départ était vu un besoin intellectuel? La transformation de nos matières premières doit être une priorité. La croissance économique est soutenue par les industries. La Chine, le Brésil et l’Inde sont devenus des pays émergents grâce au développement de leur tissu industriel. A mon avis, voilà un nombre d’éléments qui devraient enrichir de façon permanente la réflexion sur notre système éducatif.

Docteur au vu de tout ceci-vous nous parler de l’implication de la fondation dans la promotion de l’éducation, je dirais même de la contribution de la fondation dans le cadre de la lutte contre le terrorisme de la part la même éducation, je voudrais savoir quelle est la finalité de toutes ces actions ?

La finalité pour moi est basée sur cette philosophie qui consiste a partagé le même espace humanitaire. Nous gagnons tous si chacun de nous améliore sa contribution à cet espace humanitaire. Chaque geste qui va dans le sens de favoriser l’amélioration de cette contribution individuelle aura toujours une conséquence positive sur le bien-être collectif.

Allez à Mayo Olo par exemple dans le Nord. Demandez aux jeunes enfants d’étudier leur assure un avenir à travers l’école. Je suis sûr que dans 5 ans ou 10 ans, ces enfants-là seront les décideurs de demain. Ils prendront des décisions qui vont influencer notre bien-être collectif. C’est pour cela que la finalité doit se poser dans la durée, sur les idéaux que nous partageons pour l’amélioration constante du bien-être des humains.

Aujourd’hui que répondez-vous à ceux qui vous prêtent des intentions politiques ?

Je leur dirais qu’en 1999 lorsque je lançais la fondation, les gens ne me connaissaient même pas. En 2000 j’ai émis l’idée de lancer une bibliothèque communautaire de plus de 25 000 livres, c’était parce que j’avais pensé qu’il n’aurait pas des espaces de lecture publique pour les jeunes sans ressources. Des jeunes qui n’ont pas parfois des opportunités pour aller dans les grandes écoles. Sans oublier les chercheurs et enseignants qui veulent étudier davantage.

J’avais regretté le fait que les espaces de lectures soient les Centres Culturels Français, le British Council, le Centre Culturel Américain qui était en voie de disparition. Ces maisons n’avaient même pas des objectifs politiques quand en 1999, en 2000 nous avons lancé le renforcement des capacités des journalistes. Je suis posé la question de savoir pourquoi la fondation qui avait créé sa radio pouvait se mettre à former des journalistes qui pouvant faire concurrence à la radio ? J’ai dis non, pour moi il est plus important de s’entraider et de donner l’opportunité aux concitoyens de renforcer leurs capacités.

Je vois à travers le journalisme, une contribution à l’amélioration de notre façon de vivre. Tous les objectifs que poursuit la fondation viennent du fond du cœur, reviennent presque naturellement parce que c’est comme ça que j’ai toujours grandi. Quand j’étais au secondaire ou l’Université de Ngoa Ekellé, je voyais toujours les choses sous cet angle et à l’époque la politique ne se discutait même pas. Je crois que si la politique est arrivée dans ma façon d’agir, c’est vraiment bien tardivement.

Si jamais je me lance en plein dans la politique je resterai celui que j’ai toujours été, cette personne qui est vraiment très focalisée sur le bien-être social. C’est dans ce sens que la fondation me donne une ouverture et la possibilité de vivre mon rêve beaucoup plus que toutes autres considérations.

On vous connait comme Monsieur Afrique du NDI que pensez-vous de l’avancée de la démocratie en Afrique?

Effectivement je suis honoré par le titre qui avec le temps s’est imposé. Je dirais que pour nous autres qui avons connu une Afrique de coup d’Etat, de régime autoritaire, de parti unique, des espaces de liberté très limités, une Afrique où le multipartisme était même interdit de façon catégorique, une Afrique des présidents à vie, pour nous autres qui avons connu cette période-là, nous ne pouvons que nous féliciter des avancées qui ont été faites.

Aujourd’hui tout le monde reconnait que les espaces de liberté se sont élargis sur le continent même si il reste encore du travail à faire. On peut dire que durant les deux dernières décennies il y a eu qu’à même beaucoup d’avancée. Il reste certes du travail à faire, des domaines dans lesquels le continent peine à décoller mais au moins un travail fondamental a été fait. Je crois que la jeunesse africaine est entrain de vouloir consolider ces acquis, faire davantage pour que la démocratie ait droit de cité dans notre société.

Ces avancées sont-elles perceptibles au niveau du Cameroun?

Je crois que dans notre pays il y a eu des avancées dans la mise en place des institutions. Sur le papier, des choses sont prévues. Certaines institutions peuvent émerger mais dans le fonctionnement, la pratique au quotidien de la gouvernance démocratique, il y a des efforts. Il y a un écart entre le discours officiel, les desiderata des Camerounais et ce que nous vivons au quotidien. Notre démocratie mérite d’être travaillée et renforcée.

On ne saurait se séparer sans évoquer les questions d’actualité au Cameroun. Normalement sur le plan constitutionnel, les élections sont prévues en 2018. Il y a tout un débat autour d’un projet de modification constitutionnelle qu’en pensez-vous ?

Je pense que ce débat va dans le sens de fragiliser notre démocratie parce que l’un des atouts des vieilles démocraties c’est la stabilité des règles de participation démocratique. On sait que dans un pays ou dans tel autre, les élections se déroulent tous les quatre, cinq ou sept ans selon les dispositions constitutionnelles. Les règles de participations sont connues, acceptées, connues à l’avance, respectées par tout le monde et là chacun joue sa partition.

Malheureusement nous sommes une jeune démocratie, si nous sommes appelés tout le temps à modifier les règles de jeux même pendant que le jeu se déroule, cela ne peut que nous fragiliser. On a l’impression que la modification est faite pour convenir à un individu, un système ou une partie de la population.

Je ne vois pas d’un bon œil une démarche qui va dans le sens de modifier les règles du jeu. Nous avons encore du travail à faire. Il faut appliquer des dispositions de cette constitution qui existe. On l’a déjà modifiée et on va encore la modifier pourtant il y a des dispositions qui attendent encore leur mise en application. Pour ce qui est de l’élection anticipée, il est de notoriété publique que le consensus n’existe pas encore sur notre cadre électoral. Il y a des gens qui contestent la constitution actuelle. ELECAM au cours des dernières élections a montré ses limites.

Il faut améliorer les performances et le cadre électoral qui n’est pas favorable à une participation massive de la jeunesse au processus électoral. Pourquoi agir dans la précipitation alors qu’il faut mettre ce temps à profit pour que les élections de 2018 soient les plus transparentes, les plus crédibles et les plus acceptées par tous. Ceux qui réclament à cors et à cris une élection anticipée n’ont vraiment pas le sens de l’intérêt national dans leur cœur. Ils auront tôt ou tard à demander pardon à la nation toute entière.

Pensez-vous que la modification de la constitution et l’anticipation des élections ne sont pas opportunes en cette période de lutte contre Boko Haram?

Chaque modification constitutionnelle qui est faite dans un contexte favorisant des interprétations diverses, risque de perdre dès le départ toute légitimité aux yeux des populations. Les gens vont l’interpréter non pas comme une modification allant dans le sens de renforcer les institutions de bonne gouvernance, mais une modification faite pour la convenance d’un individu. Ce débat arrive à un très mauvais moment parce que ces derniers temps, il s’est développé un consensus national à travers la lutte contre Boko Haram.

J’ai souligné dans mon discours de tout à l’heure que les populations sans tenir compte de toute coloration politique, soutiennent nos frères et sœurs qui se battent contre Boko Haram. Les partenaires sont entrain de vouloir nous appuyer dans cette lutte. Notre objectif premier, c’est gagner la guerre contre le terrorisme. Je trouve inopportun que certains barons du RDPC que j’appellerais barons de la déstabilisation puissent ouvrir ce débat. C’est un débat qui divise et qui finira par nous détourner de l’essentiel. C’est un débat qui va même diluer les ressources que nous devons consacrer à la lutte contre Boko Haram.

Comment avez-vous supervisé les élections au Nigéria, un pays qui connaît un climat d’insécurité?

Absolument c’est une très bonne question. Les élections au Nigéria étaient prévues pour 2015. Le Nigeria est allé dans le sens opposé et c’est pour cela qu’il a été applaudi. Le Nigéria a tenu tête à Boko Haram en organisant ces élections selon le calendrier électoral prévu. Si par malheur en 2018 on était toujours confronté à cette crise de Boko Haram, je serais le premier Camerounais à dire que nous devons organiser nos élections. Pourquoi précipiter ce qui est prévu dans 2 ans et demi ou dans 3 ans alors que le calendrier actuel ne le permet pas. Donc c’est ça la différence entre le cas que nous vivons aujourd’hui au Cameroun et le cas du Nigéria à connu en 2015.

Avez-vous un message Docteur ?

Oui, j’ai un message d’espoir que j’aimerai partager avec mes concitoyens surtout avec la jeunesse camerounaise. Nous comptons beaucoup sur cette jeunesse. Je vois une jeunesse qui se cherche. Une jeunesse qui veut vraiment, qui déborde de dynamisme et qui a un esprit patriotique.

Une jeunesse qui ne demande que des opportunités pour s’engager et apporter sa contribution au développement Je demande aux jeunes de garder espoir, d’être rassurés qu’il y a des ainés qui pensent travailler avec eux. Il y a des ainés qui réfléchissent aux problématiques touchant la jeunesse. Des ainés qui lorsque l’opportunité se présentera, accorderont plus d’attention à la jeunesse. Même si les conditions actuelles sont difficiles, il ne faut pas que les jeunes perdent espoir parce que le Cameroun de demain est entre leurs mains.

Nous comptons beaucoup sur eux. Et en plus puisque nous sommes au mois de Mars, j’ai un message de remerciement, de reconnaissance à l’endroit de nos mamans, nos enfants, nos filles, bref à la femme camerounaise. Comme nous sommes dans la semaine de la célébration de la fête internationale de la femme je dis bonne fête, bonne continuation et qu’elles sachent que la Fondation Fomunyoh sera toujours à leur côté pour les encourager et pour soutenir.

Source: 237online.com