Nutrition : le pain composé, si riche mais si négligé…

Nutrition : le pain composé, si riche mais si négligé…

Fri, 1 Jul 2022 Source: www.bbc.com

Au Burkina, un artisan chocolatier a lancé à la mi-juin la production et la vente d'une série de pain à bases de céréales locales "pour apporter une solution à la crise du blé, mettre en valeur les farines locales, et faire connaitre le savoir-faire des artisans boulangers".

André Bayala, bien connu en Afrique de l'Ouest pour avoir créé dans son pays le premier centre de formation aux métiers de bouche propose aux Ouagalais du pain à base de maïs, millet, sorgho blanc et rouge, riz, moringa et patate douce.

"Le seul problème c'est que le processus de ce pain est assez long car la farine locale n'a pas de gluten donc nous sommes obligés d'utiliser différents types de levains et ce qui nous prend facilement du temps", nous confie chef André.

Son initiative montre à quel point la crise en Ukraine et ses impacts sur les importations de blé ont remis au gout du jour la valorisation des produits locaux dans la fabrication de pain. Mais les expériences passées montrent qu'il reste du chemin pour que le consommer local ne soit pas juste un slogan.

La Russie et l'Ukraine produisent 30 % de l'approvisionnement mondial en blé et - avant la guerre - l'Ukraine était considérée comme le grenier du monde, exportant 4,5 millions de tonnes de produits agricoles par mois via ses ports. Mais depuis que la Russie a lancé son invasion en février, cela a réduit l'offre mondiale et provoqué une flambée des prix des produits de substitution.

S'exprimant à New York au mois de mai, M. Guterres a souligné que le conflit, combiné aux effets du changement climatique et de la pandémie, "menace de faire basculer des dizaines de millions de personnes dans l'insécurité alimentaire, suivie de la malnutrition, de la faim de masse et de la famine".

Selon les Nations unies, les prix mondiaux des denrées alimentaires ont augmenté de près de 30 % par rapport à la même période l'année dernière.

Le pain blanc (essentiellement fait avec de la farine de blé et la forme la plus répandue) constitue un aliment de base dans la plupart des pays africains et les données de la FAO montrent que le continent a importé en 2020 près de 48 millions de tonnes de blé au moment meme ou il produit plus de 13 millions de tonnes de mil et 27 millions de tonnes de sorgho.

Alors que le prix du blé qui connaît une flambée sans précédent devient de plus en plus cher dans plusieurs pays, il existe de nombreuses possibilités d'incorporation de céréales cultivées localement pour faire du pain en Afrique.

Et le principal avantage pour le consommateur reste l'aspect nutritionnel.

"Les céréales locales comme le mil, le sorgho et le fonio confondus présentent un profil nutritif beaucoup plus complet que celui du blé qui est le composant principal du pain blanc", selon Dr Djibril Traore, nutritionniste, interviewé par la BBC sur les leçons des initiatives lancées au Sénégal.

Elles renferment des quantités élevées de fibres brutes, de minéraux essentiels et une quantité non négligeable de vitamines.

Le fonio en particulier comporte des fibres alimentaires solubles, du chrome, des acides aminés soufrés tels que la méthionine et la cystéine qui lui confèrent une très grande importance physiologique.

Les fibres, sous toutes les deux formes, jouent un grand rôle dans le métabolisme. "En effet, les fibres brutes et solubles séquestrent au niveau du tube digestif le mauvais cholestérol (LDL) et les éliminent avec les selles, ce qui engendre des conséquences physiologiques positives capitales pour la santé".

Au Niger, il y a eu la mise au point de pains composés à base de mélanges de farines de sorgho-blé. Et le Réseau National des Chambres d'Agriculture du Niger, un des partenaires clés de ce programme, a trouvé beaucoup d'avantages au pain composé : le mil, le sorgho et le niébé n'ont pas de gluten et apportent une solution à ceux qui sont allergiques au gluten ; ils sont plus riches en protéine, fer en sels minéraux que le blé si bien que leur incorporation apporte plus d'éléments nutritifs que le blé uniquement ; l'incorporation du niébé et sorgho jusqu'à 50% peut améliorer l'alimentation des diabétiques ; la forme de la baguette et sa composition offrent une durée de conservation plus longue.

Le niébé par exemple est assez riche en lysine et en arginine, ces acides aminés essentiels qui ne sont presque pas présents dans le profil des acides aminés des céréales, ajoute le Dr Traoré.

Des expérimentations infructueuses depuis les années 60

Cependant, il faut noter que toutes ces propriétés ne sont vraies que lorsque ces céréales sont utilisées dans leur forme entière ou lorsque le degré de leur décorticage est très faible.

De toute façon, les populations semblent ignorer les bienfaits sur la santé que peuvent procurer ces importants nutriments. La panification avec ajout de farines locales pour avoir ce que certains appellent « pain composé » ou « pain riche » a connu plusieurs tentatives sanctionnées par des résultats peu encourageants.

Il importe de rappeler que c'est depuis 1964 que ces efforts ont commencé avec l'appui de la FAO sous la forme d'un vaste programme de valorisation des céréales locales en Afrique.

Des produits comme le mil et le maïs ont fait l'objet d'expérimentations diverses pour être incorpores au pain dans une proportion de 15-30%.

Des échecs d'ordre organisationnel

En 1979, le gouvernement du Sénégal avait même décidé de rendre obligatoire l'incorporation du mil dans le pain. L'article premier stipulait que la fabrication et la vente de pain à base exclusivement de blé sont interdites sur l'étendue du territoire national. Mais moins d'une semaine plus tard, l'arrêté ministériel a été suspendu en raison notamment d'une pénurie de mil.

Par ailleurs, il y a eu le refus de certains boulangers de se conformer au décret, sans parler de la mauvaise qualité du pain produit : le mil présentait environ 15% d'impuretés pour une norme fixée à 5% et le produit fini était moins croustillant.

Dans les années 90, le « BROCI », un pain composé fabriqué avec de la farine de blé (85%) et de maïs local (15%) fait l'objet d'un programme à grande échelle en Côte d'Ivoire. Le pays a fait d'autres tentatives à partir de 2015.

L'Afrique centrale n'est pas en reste. Au Cameroun, des structures locales proposent du pain à base de farine de maïs, de manioc et de patate mais elles sont limitées par la faible disponibilité des matières premières.

…à quand l'adoption à grande échelle ?

Il est évident que l'utilisation de céréales ou légumineuses locales servira à promouvoir l'économie nationale, diminuer la dépendance et créer des emplois. Sans oublier un apport nutriotionnel conséquent pour le consommateur.

Des efforts un peu plus structurés sont en cours selon certains acteurs pour tendre vers la mise en place d'une chaine de valeur 'mil et maïs' composée des producteurs, des transformateurs, des boulangers et des institutions de recherche.

Mais des obstacles comme le manque de financement, la cherté des produits locaux, et surtout la faible disponibilité de ces farines persistent. L'incorporation de ces céréales exige une granulométrie très fine que peu d'industries de transformation arrivent à respecter.

Un éventuel succès dépend grandement des habitudes alimentaires des consommateurs.

Source: www.bbc.com