L’ancien ministre de la Santé, incarcéré à la prison de Kondengui, publie ce lundi un livre-choc sur les procès politiques de l’opération Epervier et le rôle de Mebe Ngo’o, Ze Meka, Laurent Esso, Issa Tchiroma, Amadou Ali, etc.
Presque huit ans après son incarcération, Urbain Olanguena Awono publie ce lundi un livre-témoignage sur son sort, depuis les aurores du 31 mars 2008, quand son arrestation estscénarisée et présentée en mondovision par une presse mise en alerte, jusqu’à ses péripéties judiciaires. L’ancien ministre de la Santé retrace dans son ouvrage de 456 pagesle souvenir des moments douloureux de cette mise à mort médiatique, dont le sommet est la caméra cachée réalisée par la CRTV dans la cellule de la direction de la police judiciaire, avec les images de « ma personne couchée à même le solsur un matelas dans une cellule infecte ». «J’ai vécu douloureusement cette humiliation avec ma famille et mes amis… Traiter un ancien ministre de plusieurs gouvernements comme un vulgaire et horrible braqueur », s’indigne l’auteur.
Cette charge est une petite mise en bouche de « Mensonges d’Etat : déserts de République auCameroun » que commet Urbain Olanguena Awono aux Editions du Schabel, à quelques jours de son huitième anniversaire d’incarcération, dans un style relevé qu’on avait déjà apprécié dans « Sida en terre d’Afrique », son dernier livre (Editions Privat). Le pensionnaire de Kondengui, qui purge une double peine de 15 et de 20 ans de prison, infligée en l’espace de deux mois, décrit, selon les mots de son avocat français, Me Richard Sedillot, préfacier de l’ouvrage, un exemple remarquable de ce type d’instrumentalisation et de manipulation politique de la justice, à l’occasion des manœuvres communément dénommées au Cameroun, « Opération Epervier. »
Cette thèse est reprise par l’auteur dans le livre ?sans doute le mieux imprimé de cette jeune maison d’édition?, qui dévoile les visages de ceux qui lui apparaissent comme les metteurs en scène de son « exécution. » En effet, Urbain Olanguena Awono raconte que pour son cas précis, tout est parti du G11. Une nébuleuse dont il dit ne rien savoir, qui n’existe même pas, mais qui a été créée par des officinestapies au sein des renseignements généraux de la police et du ministère de la Défense ayant juré sa perte, ainsi que celles de Polycarpe Abah Abah et JeanMarie Atangana Mebara. A la manœuvre de ce projet, l’ancien Minsanté voit Edgar Alain Mebe Ngo’o, ci-devant directeur du cabinet civil à la présidence de la République et DGSN au moment desfaits, et Rémy Ze Meka, ministre de la Dé- fense. « Les écuries de ces deux hommes, originaires de Zoétélé, dé- partement du Dja et Lobo, Région du Sud, et donc très proches des origines du chef de l’Etat, ont inventé et popularisé l’histoire du G11 », écrit Urbain Olanguena Awono. Le G11 a, d’aprèsle récit de l’auteur, été présenté à Paul Biya comme une conspiration politique en vue de le renverser.
La révélation de l’ouvrage, c’est que les émeutes de février 2008 sont considérés comme une « insurrection instrumentée par des élites politiques en mal de pouvoir », c’est-à-dire le G11, ce « machin ». On comprend pourquoi Paul Biya qualifiera les présumés tireurs de ficelle d’apprentis-sorciers, après avoir sorti des chars autour d’Etoudi pour sa protection. Comme il n’y a pas de hasard, le 19 mars 2008, sur ordre de Mebe Ngo’o, les passeports de Olanguena Awono et de Abah Abah leur sont retirés. Une douzaine de jours plustard, ilssont arrêtés. Ilsseront conduits à Kondengui sous escorte, avec motard et gyrophare. Urbain Olanguena Awono est persuadé qu’ils sont victimes de leur compétence, dans un marigot de médiocrité. « Avec l’enjeu de la succession, et la raison d’Etat d’éliminer ceux à qui on prête des ambitions, le mensonge s’est installé au cœur de l’Etat », écrit l’auteur. Qui pense que dans ce scénario, Paul Biya, qui croit tenir les rênes, n’est peut-être luimême qu’une victime de la manipulation. Et Urbain Olanguena de s’interroger: « peut-il comprendre que ceux qui tirent lesficelless’évertuent à le présenter comme l’organisateur direct du chaos généralisé d’une épuration dont on distingue mal le projet ? » Le Minsanté dissèque par ailleursles dix accusations préalablement portées contre lui, pour un montant initial de 8,5 milliards, qui passera à 474 millions pour que le procès ne porte que sur 92 millions de FCFA.
Une preuve, selon lui, de la légèreté des enquêtes, du vide de l’accusation et de son innocence finale, qu’il proclame tout le long du livre. L’ancien Minsanté est conforté par le rapport des experts judiciaires qui avaient conclu à une absence de malversation financière et par un communiqué du Fonds mondial de lutte contre le Sida, le paludisme et la tuberculose, qui avait déclaré n’avoir rien à reprocher à la gestion des financements mis à disposition du Cameroun et mouvementés par Urbain Olanguena Awono. Comment ne donc pas faire le procès de la justice, ce pouvoir étalé de soumission au pied de l’Exécutif ? L’ancien Minsanté se désole de l’Etat de droit sans droits pour les justiciables. 237online.com Il dénonce Amadou Ali, devenu le procureur d’Etat, condamnant sansjuger. Ils’interroge sur Issa Tchiroma, ministre à l’éthique douteuse et sans hauteur aucune quand il accuse Abah Abah, Olanguena Awono et Atangana Mebara de vouloirs’emparer du pouvoir. Et Laurent Esso, ce « tueur silencieux » … Paul Biya reçoit aussi ses coups de canif, plus subtils mais tout autant corrosifs.
Paul Biya isolé des réalités
« Le mal est en effet très profond et grave. Sa racine dans le système est ancrée dans les officines à l’œuvre autour et au service des proches du chef de l’Etat qui, encerclé et isolé des réalités, ne contrôle presque rien. Dans ces conditions, ses décisions mal informées servent moins l’intérêt du pays que les intérêts de ceux qui le manipulent. 237online.com Les constructions politiques de cette caste de manipulateurs lui échappent car ils ont compris qu’ils doivent fonctionner à la théorie permanente du complot pour lui faire peur pour son propre maintien au pouvoir, et obtenir ainsi tout ce qu’ils veulent. » Page 99 ("Olanguena Awono, "Mensonges d'Etat, déserts de République au Cameroun", Editions du Schabel, 2016).
EXTRAITS: Le cartel de Zoétélé
L’une des grandes inventions de ces petits machiavels des tropiques camerounaises aura été la création à l’orée de 2005 de ce qu’ils ont eux-mêmes baptisé le « G11 ». Cette basse manœuvre qui finira par déchirer politiquement, administrativement et socialement le Cameroun comme une lame de fond est l’un des hauts faits d’arme des officines tapies au sein des renseignements géné- raux de la police camerounaise et du ministère en charge de la Défense. 237online.com A cette époque, c’est un certain Alain Mebe Ngo’o, fraîchement débarqué de sa charge précédente de directeur du cabinet civil de la pré- sidence de la République qui était le chef de corps de la police, pendant que son grand frère, Zé Meka Rémy, occupait la fonction stratégique de ministre délégué à la présidence de la République chargé de la Défense. Les écuries de ces deux hommes originaires de Zoétélé, département du Dja et Lobo, Région du Sud, et donc très proches des origines du chef de l’Etat ont inventé et popularisé l’histoire du G11. Un groupe de personnalités auquel on a attribué, sans raison ni preuve, une dimension complotante avec l’objectif de s’emparer du pouvoir à l’élection présidentielle de 2011. La basse manœuvre des cabinets noirs autour de ces deux principaux pôles de contrôle du renseignement de l’Etat a consisté à créer sans aucune réalité ce fameux groupe et y associer des personnalités sans tenir compte de la réalité de leurs liens privés, mais seulement pour mieux les abattre en faisant accréditer l’idée d’une conspiration politique contre le régime en place. Evidemment, tous ceux qui pouvaient ou croyaient tirer un profit personnel de cette cynique affabulation l’ont cré- dité. 237online.com C’est cette idée qui a été popularisée, fantasmée et instrumentalisée aussi bien dans les réseaux que dans la presse pour livrer au public les figures emblématiques du gouvernement faisant partie du groupe « des ambitieux », notamment Messieurs Atangana Mebara Jean-Marie, Abah Abah Polycarpe et urbain Olanguena Awono. D’autres noms seront souvent ajoutés en fonction des circonstances politiques. Mais les trois cibles essentielles de cette machination politique demeurent les mêmes et subiront comme des martyrs leur purge et leur humiliation.
» Pages 97-98