Lorsque des scientifiques d'Afrique du Sud ont découvert Omicron, le nouveau variant du Covid-19, plusieurs éléments ont été mis en évidence.
Le premier et le plus important était le nombre considérable de mutations que présentait cette version du virus - une combinaison de mutations qui n'avait pas encore été détectée par la surveillance génétique effectuée par un réseau mondial d'experts.
"Omicron est arrivé avec quelque chose de complètement différent", a déclaré à la BBC le Dr Richard Lessells, spécialiste des maladies infectieuses à l'université du KwaZulu-Natal et membre de l'équipe qui a été la première à détecter le variant fin novembre.
Lessells et ses collègues ont estimé que quelque chose d'inhabituel s'était produit.
Ils pensent qu'Omicron a pu surprendre tout le monde en évoluant chez une seule personne au système immunitaire affaibli en Afrique subsaharienne - peut-être une personne atteinte du VIH non traité - avant de se propager dans plus de 40 pays.
Bien qu'il existe au moins deux autres explications viables pour l'émergence de cette variante, l'hypothèse d'une seule personne bénéficie d'un soutien important au sein de la communauté scientifique.
Mais pourquoi est-il important de savoir d'où vient Omicron, et comment il est apparu ?
Le Dr Lessells note qu'Omicron diffère considérablement des variants existants.
"L'analyse génétique a montré qu'il se situe sur une branche totalement différente de l'arbre généalogique".
Plus important encore, la lignée d'Omicron ne présente pas de traces de mutations intermédiaires plus récentes. La version la plus proche, selon Lessells, date de la mi-2020.
Cette lacune suggère que l'Omicron fortement muté a évolué "sous le radar", déclare François Balloux, professeur de systèmes de biologie computationnelle à l'University College London.
"Il a surgi de nulle part", ajoute Balloux. Et il est très, très différent.
Les analyses d'Omicron ont révélé que la nouvelle souche présente 50 mutations, dont plus de 30 dans la protéine spike, une partie du virus qui définit la manière dont il interagit avec les défenses de l'organisme.
Le variant Delta, en comparaison, ne présentait que sept mutations de la protéine spike.
Alors comment ce nouveau variant a-t-il pu diverger aussi radicalement de ses prédécesseurs sans que nous nous en apercevions ?
Alors que la plupart des gens éliminent le Sars-Cov-2 de leur organisme en peu de temps, des études menées dans le monde entier ont montré que le virus peut persister beaucoup plus longtemps chez les personnes dont le système immunitaire est affaibli - les patients atteints de maladies comme le VIH ou le cancer, ou les personnes ayant subi une transplantation d'organe, par exemple.
Avec moins de résistance de la part de son hôte, le virus a une chance d'acquérir un certain nombre de mutations qui nécessiteraient normalement une circulation plus large au sein d'une population.
En décembre 2020, des chercheurs de l'université de Cambridge ont tiré la sonnette d'alarme lorsqu'ils ont détecté que les échantillons d'un patient britannique atteint d'un cancer et décédé de Covid-19 en août présentaient l'émergence d'une mutation clé également observée dans Alpha, la première "variante préoccupante" reconnue par l'OMS et signalée initialement en septembre de l'année dernière dans le même pays.
Le patient était décédé 101 jours après son diagnostic initial.
"Une infection typique à coronavirus ne dure que sept jours et ce n'est pas assez de temps pour que le virus s'adapte et évolue, car le système immunitaire le combat", a déclaré à la BBC le professeur Ravi Gupta, de l'Institut d'immunologie thérapeutique et de maladies infectieuses de Cambridge, qui a dirigé les recherches.
Le professeur Gupta explique que l'infection chronique permise par un système immunitaire affaibli donne au virus une plus grande marge de manœuvre.
"Il faut un système immunitaire handicapé ou partiellement handicapé pour que le virus se développe", ajoute-t-il.
En juin dernier, le Dr Lessells et ses collègues ont annoncé les résultats d'une étude portant sur des échantillons de coronavirus prélevés sur une femme d'Afrique du Sud atteinte du VIH non traité.
Lors d'analyses génétiques répétées des échantillons, ils ont constaté des "changements d'étape significatifs" dans l'évolution du virus.
Les chercheurs ont averti que cela pourrait représenter le début d'une crise de santé publique : dans un article publié le 1er décembre dans la revue scientifique Nature, le Dr Lessells et ses collègues ont estimé qu'environ huit millions de personnes séropositives en Afrique subsaharienne ne reçoivent pas actuellement de traitement antirétroviral efficace - un nombre qui inclut des personnes qui n'ont jamais été testées pour la maladie.
Si le Dr Lessells et le professeur Gupta ont raison, cela représente un terrain idéal pour la création de nouveaux variants.
Iamarino voit des parallèles avec l'émergence d'un autre variant préoccupant, le variant Gamma, qui a provoqué une infection généralisée dans la ville brésilienne de Manaus, la plus peuplée de la région amazonienne, au début de 2021.
"La même hypothèse d'une évolution du virus chez une seule personne dont le système immunitaire était affaibli a été soulevée lors de la détection du Gamma", précise le biologiste.
"Mais il a été prouvé par la suite que des lignées intermédiaires étaient en circulation sans avoir été détectées et qu'elles accumulaient des mutations en se propageant dans la population locale."
Iamarino pense que des recherches supplémentaires pourraient révéler le même scénario avec Omicron.
"Cela correspond à la réalité. Omicron a été détecté sur un continent où les tests et la surveillance sont moindres que dans le reste du monde."
"Il se peut qu'Omicron circule en Afrique depuis bien plus longtemps que ce que nous croyons actuellement", ajoute-t-il.
"Il faudra que la balance des preuves penche en faveur de l'une ou l'autre de ces possibilités (d'origine)", dit-il, mais il voit des avantages à ne pas attribuer l'origine du variant à un individu particulier.
"L'une des choses que nous ne voulons pas faire est d'ajouter à la stigmatisation et à la discrimination auxquelles sont exposées les personnes vivant avec le VIH", dit-il.
M. Lessells estime plutôt que l'hypothèse d'une "personne unique" devrait être une raison supplémentaire d'intensifier les vaccinations en Afrique, et il n'est pas le seul à penser que les personnes non vaccinées représentent une priorité urgente pour les responsables de la santé publique.
Our World in Data, une collaboration entre l'université d'Oxford et une organisation caritative éducative, a estimé à la mi-novembre que moins de 7 % des Africains étaient entièrement vaccinés, alors que ce chiffre est de 40 % au niveau mondial.
A regarder sur BBC Afrique:
Le Dr Michael Head, chercheur principal en santé mondiale à l'université de Southampton, au Royaume-Uni, estime que nous devrions accorder plus d'attention à ce déploiement inégal des vaccins si nous voulons prévenir l'émergence de variants du Covid.
"Comme pour tout ce qui concerne le Covid, il y aura une série de facteurs qui contribueront à l'apparition de nouveaux variants, mais l'inégalité des vaccins est certainement l'une des raisons principales. Je pense qu'Omicron est une conséquence de cette iniquité en Afrique."
M. Head affirme qu'Omicron est "un autre signal d'alarme" pour une meilleure couverture vaccinale et que le déséquilibre vaccinal actuel "donne au Covid-19 des opportunités de prospérer".
"Si vous n'êtes pas vacciné, vous serez plus susceptible d'être plus gravement malade et pendant une plus longue période", dit-il.
"Cela signifie également que le virus a plus de chances de développer de nouvelles mutations, ce qui augmente le risque d'un nouveau variant préoccupant et la nécessité pour nous d'apprendre une autre lettre de l'alphabet grec."