Opération épervier: la contre-enquête de l'ANIF

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Thu, 16 Feb 2017 Source: Quotidien de l'Economie

Dans un document daté de février 2016, l’Agence nationale d’investigation financière (Anif) fait des supposés avoirs bancaires de Polycarpe Abah, Urbain Olanguena Awono, Emmanuel Gérard Ondo Ndong, Jean Baptiste Nguini Effa ou Atangana Mebara.

C’est un sujet qui a fait grand bruit dans la presse en 2014. La liste Ali, l’appelait-on. L’Agence nationale d’investigation financière (Anif) s’en est saisie pour mener sa propre enquête relative à un une liste des comptes bancaires supposés appartenir à de hautes personnalités aujourd’hui dans les serres de l’«Opération épervier ». Cette opération judiciaire initiée dans le cadre de la lutte anti-corruption. Le 10 février 2016 donc, le directeur l’Anif, Hubert Ndé Sambone, a livré les conclusions de ses recherches à Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général de la présidence de la République (SG-PR).

« Sur demande de la direction générale de la Recherche extérieur (Dgre) à la suite de la publication en 2014, par des organes de presse, d’une liste de comptes bancaires à l’étranger supposés avoir été ouverts par certaines personnalités faisant l’objet de poursuites judiciaires, l’Anif a engagé des investigations auprès des services homologues dans

les juridictions concernées afin d’évaluer la véracité des informations mises en circulation auprès de l’opinion publique », écrit M. Sambone dans une note « confidentielle ». Le directeur indique qu’il ressort globalement des réponses partielles obtenues des services de renseignement qu’une partie des informations publiées par la presse est avérée. S’agissant spécifiquement des comptes ouverts en France, les recherches de l’Anif à l’étranger ont permis d’établir que sur la vingtaine de comptes attribués à Polycarpe Abah Abah, ancien ministre de l’Economie et des finances et par ailleurs, ex-directeur des Impôts, les comptes « n°214300xxx-S » au Crédit agricole, « n° 3000003xxx » à la Société générale et « n°117xxx-13 » à la Hsbc ne sont pas connus de ces banques.

Par contre, indique l’Anif, deux comptes, ouverts au Crédit Lyonnais le 23 décembre 1994 et au Crédit industriel et commercial le 2 septembre de 1999lui appartiennent effectivement. Il apparaît que M. Abah Abah détient également un compte ouvert au crédit industriel et commercial le 2 septembre 1999 et détenu conjointement avec Mme Caroline Meva, son épouse. Cette dernière détient par ailleurs trois comptes bancaires au Crédit industriel et commercial, ouverts respectivement le 21 janvier 2004, le 30 octobre 2003, le 2 septembre 1999. Il faut noter que ces comptes ne figuraient pas dans la liste publiée dans la presse.

Et leur solde n’est pas communiqué. Concernant l’ex-SG-PR Jean Marie Atangana Mebara, l’Anif a conclu que le compte qui lui est attribué à BNP Paribas n’est pas connu. Par contre, il est titulaire de deux comptes d’épargne ouverts le 14 mars 1989 et le 30 mai 1989, bien longtemps avant même d’être membre du gouvernement. Pour son cas aussi, aucun montant contenu dans ces comptes n’est donné dans le document de l’Anif. Pour ce qui est d’Urbain Olanguena Awono, ancien ministre de la Santé publique (Minsanté), neuf comptes à l’étranger avaient été listés dans la presse.

L’Anif n’en a eu la confirmation de quatre, mais aucun d’entre eux n’est en lien direct avec l’ancien ministre de la Santé. Le « n°13906xxx » est effectivement ouvert à la Caisse régionale agricole du sud Rhône Alpes le 13 mars 2005 au nom de Toscano Gilles. Une procuration a été donnée sur ce compte à Mme Pedehontaa Mariette. Il reçoit des virements mensuels de 3000 euros en provenance d’un compte ouvert à la Bank of America. Selon la liste Ali, le solde de ce compte au 23 février 2010 était de 889 millions de FCFA FCFA.

Le cumul des mouvements au crédit, 2,5 milliards de FCFA. Celui des mouvements au débit étant de 1,6 milliard de FCFA. Le compte « n°13607xxx » existe bel et bien, selon l’Anif et a été ouvert au nom de Portier Murielle épouse Bisson à la Banque populaire centre Atlantique le 6 mai 1999 et clos le 31 mai 2013.

Le compte « n°10278xxx » est effectivement ouvert au Crédit Mutuel au nom de Dauffer Jean Paul. Le compte « n°1335xxx » est effectivement ouvert sous le nom de Bragato Pierre à la Caisse d’épargne d’Aquitaine Poitou Charentes le 26 septembre 1991. Au total, tous les comptes attribués au Minsanté n’ont pas pu être établis comme lui appartenant ou appartenant à un de ses proches connus. Concernant M. Jean Baptiste Nguini Effa, ex-DG de la Société camerounaise des dépôts pétroliers (Scdp), le compte « n°222xxxx » déclaré existé, n’est pas référencé à la Banque populaire en France.

Il est titulaire d’un compte ouvert à la BNP Paribas le 16 juin 1994. Il s’agit d’un compte joint avec son épouse Mme Nguini née Ada Marie-Rose. Au sujet de l’ancien DG du Feicom, Gérard Emmanuel Ondo Ndong, l’Aif déclare que le compte ouvert au Crédit mutuel existe bien mais est au nom de Fugit Mariette-Josette. Selon la liste de la presse, son solde au 31 décembre 2009 était de 3.718.000 euros soit 2.43 milliards de FCFA.

Pour le cas de sieur Martin Abessolo, arrêté dans le cadre de l’affaire de détournement sous l’ère Pierre Désiré Engo, l’Anif déclare que le compte bancaire qui lui est attribué n’existe pas. Il n’existe d’ailleurs pas de compte référencé sous ce nom dans le fichier bancaire de la France. Mais selon la liste de la presse, le solde de ce compte au 31 décembre 2009 était de 1.830.000 euros soit 1,198 milliard de FCFA.

Les curiosités des listings bancaires à l’étranger

Dans son enquête, l’Agence nationale d’investigation s’est curieusement gardée de donner les soldes des comptes supposés des personnalités arrêtées dans le cadre de l’Opération épervier. Le document « confidentiel » de Hubert Ndé Sambone adressé à Ferdinand Ngoh Ngoh contient quand même des curiosités. Car, confessant que c’est la liste des comptes bancaires supposés de certaines personnalités qui a suscité son enquête, l’on se serait attendu à avoir, comme dans les listes publiées par voie de presse, les soldes des quelques comptes qui auraient été traqués.

De deux choses l’une : soit c’est une omission volontaire, soit les montants dans lesdits comptes sont dérisoires. En outre, l’Anif ne s’est finalement prononcée que sur six personnalités, alors que la liste qui a suscité ses investigations en contenait 60. Car, l’on se rappelle qu’alors hebdomadaire, c’est « L’œil du sahel » qui publie le 12 février 2013 une liste supposée avoir servi de base à l’arrestation de plusieurs hautes personnalités au Cameroun. Sans source, cette liste fait apparaître des noms et des numéros de comptes affectés avec des opérations et/ou des soldes qui atteignent des centaines de milliards de FCFA.

On retrouve des noms connus, Yves Michel Fotso l’ancien Administrateur de la CAMAIR, Urbain Olanguena Awono, l’ancien ministre de la Santé publique, Haman Adama, l’ancienne ministre de l’Education de base. Mais aussi des noms peu ou pas connus Le record des comptes est battu par l’ancien ministre des Finances Polycarpe Abah Abah avec une trentaine de comptes bancaires. Les enquêtes vont révéler que cette fameuse liste de comptes bancaires émane d’un certain Francis Dooh Collins du cabinet Strageco.

Le 16 septembre 2007, Amadou Ali qui officie alors comme vice-Premier ministre en charge de la Justice, signe deux lettres de mission confidentielles à cet « expert en intelligence économique vivant entre l'Europe et l'Afrique » pour tracer la fortune supposée de certaines pontes du régime. Pour sa mission, M. Dooh Collins empoche un important chèque estimé par des sources à plusieurs centaines de millions de FCFA.

Mais « l'expert », comme ne l'indique pas le listing des comptes bancaires et des soldes qu'il fournira à son mandant, n'ira pas se tuer à la tâche. Son rapport se révèle un ramassis de quelques rares comptes réels aux soldes imaginaires et d'une quasi-majorité d'identités bancaires fictives aux contenus tout aussi inventés. La preuve: sa publication a suscité un concert de protestations de la part de Jean Baptiste Nguini Effa, Yves Michel Fotso, Abah Abah, etc.

Source: Quotidien de l'Economie