'Parjure, l'exemple vient d'en haut': un journal met la présidence camerounaise en colère

Paul Biya et des hommes du pouvoir

Mon, 30 Oct 2023 Source: Signatures N°184

En quatre décennies de règne, le président Paul Biya a prêté serment sept fois. Sept fois successives, il a juré « de veiller au bien général de la Nation ». Définissant lui-même ce serment comme un « engagement personnel de remplir les obligations » de Chef de l’État, telles que les définit la Constitution. Ce qui suppose donc un respect sans faille de ses engagements républicains. Mais à l’épreuve des faits, la réalité est tout autre.

« Mon illustre prédécesseur n’a jamais failli à ce devoir (veiller au respect de la Constitution…), je n’y faillirai point. » Affirmation solennelle du président Paul Biya lors de sa toute première investiture, le 6 novembre 1982. Quarante et un ans après, six autres prestations de serment ont suivi, et bon pied, bon œil, «l’Homme du 6 novembre » tient toujours fermement le gouvernail du bateau Cameroun.

Preuve, s’il en est encore besoin qu’il n’a pas failli à son engagement initial, qui l’engageait d’ailleurs pour toute la durée de son règne, et aux six autres qui ont suivi.

Présenté comme un légaliste minutieux et méticuleux, Paul Biya bénéficie de l’entière confiance de ses concitoyens, qui la lui renouvèlent à chaque fois qu’il les sollicite. Une légitimité qui n’empêche pas certains observateurs tout aussi pointilleux et regardants de faire remarquer que le chef de l’Etat ne prêche pas souvent par l’exemple. Du moins en ce qui concerne l’observance stricte des lois et règlements de la République.

Ces contempteurs rappellent ainsi à l’envi la réforme constitutionnelle opérée via l’adoption par l’Assemblée nationale en 1984 d’une loi portant modification du nom du pays, remplaçant «République Unie du Cameroun» par «République du Cameroun», le même nom que le Cameroun francophone avait avant sa réunification avec le Cameroun anglophone. Peut-être du fait de l’état de grâce dont il bénéficiait encore, aucune voix ne s’est élevée pour le dénoncer. Il a fallu attendre près de vingt-cinq ans pour voir les régions anglophones du pays protester vivement contre cette réforme constitutionnelle, qui, dans leurs esprits, renvoyait à un statu quo ante. La crise née de cette insurrection perdure à ce jour.

Hors-Constitution

En1996, le Cameroun s’est doté d’une nouvelle constitution dont la mise en œuvre s’est étalée «progressivement» sur vingt ans. L’article 66 de ladite Constitution est très important pour la gestion transparente des biens du pays. Il stipule que «Le Président de la République, le Premier Ministre, les membres du Gouvernement et assimilés, le Président et les membres du Bureau de l’Assemblée Nationale, le Président et les membres du Bureau du Sénat ,les Députés, les Sénateurs, tout détenteur d’un mandat électif, les Secrétaires généraux des ministères et Assimilés, les Directeurs des administrations centrales, les directeurs généraux des entreprises publiques et parapubliques, les Magistrats, les personnels des administrations chargés de l’assiette, du recouvrement et du maniement des recettes publiques, tout gestionnaire de crédits et des biens publics, doivent faire une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction». Près de trois décennies après, cette disposition est loin d’être appliquée ni respectée, même pas par le Premier magistrat de la République lui-même.

Le Conseil Constitutionnel, longtemps resté en gestation, n’a jamais été saisi pour statuer sur un contentieux portant sur la non-application de cet article 66. Lui-même n’a pas soulevé ce préalable avant ou après l’investiture du président de la République. La Constitution du Cameroun interdit le cumul des mandats, mais il s’en trouve des ministres et des parlementaires qui cumulent leurs fonctions avec celles de Présidents de Conseil d’administration (Pca) et de Directeurs généraux (Dg) de sociétés d’Etat et parapubliques, nommés par le Président de la République. Comme si cela ne suffisait pas, certains ministres sont en plus Pca de deux, voire trois entreprises publiques et parapubliques. Plus grave, la loi de 2017, porte limitation des mandats des Pca et des Dg. Mais certains de ces responsables sont maintenus advitam æternam à leurs postes. Soit trente ou quarante ans pour certains.

Ousman Mey, ancien gouverneur qui jouissait paisiblement de sa retraite depuis une vingtaine d’années, s’est vu nommé Président du Conseil d’administration de la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps) .A son installation, Jean Baptiste Bokam, alors ministre du Travail et de la Sécurité sociale avait prononcé cette phrase restée célèbre : «Il ne saurait y avoir de retraite pour les grands hommes ».

Entretemps, les fils de cet «indispensable» ont été promus ministre et Secrétaire général de ministère. « Indispensables» avez-vous dit ? Par acquit de conscience, Viviane Ondoua Biwolé, lasse d’attendre qu’elle soit démise de ses fonctions de Dg de l’Institut supérieur de Management public après ses trois mandats de trois ans chacun, normalement non renouvelables, a déposé son tablier dans l’indifférence générale.

Jean Pierre Kedi ,Dg de l’Agence de Régularisation du Secteur de l’Electricité (Arsel) lui a emboité le pas sans que cela ne prête à conséquences. Il a démissionné alors que son Pca, Jean-Marie Aléokol, en poste depuis la création de ladite entreprise s’y trouve encore. De même que Honoré DemenouTapamo, Dga à ce poste depuis la création de l’Arsel. Le statut général de la Fonction publique est à plusieurs vitesses. L’autorisation de faire valoir leurs droits à la retraite est accordée à certains et pas à d’autres atteints par la limite d’âge.

A la présidence de la République, il existe une loi non écrite qui veut qu’on ne permette pas aux commis de l’État qui y exercent de faire valoir leurs droits à la retraite, et on ne les oblige pas à prendre leur retraite à terme légal échu. Au sein de l’Armée, les plus croulants des généraux restent en fonction alors que les plus alertes sont envoyés en deuxième section.

Serment, silence, secret

Lorsque certains osent critiquer, timidement d’ailleurs ou du bout des lèvres, ces différents manquements, il s’en trouve qui prétendent que, selon la Constitution, c’est le président de la République qui nomme aux emplois civils et militaires. Archi faux ! répondent sous cape d’autres constitutionnalistes. Pour eux, non seulement les lois sont prises en conformité avec la Constitution, mais c’est l’exécutif qui initie ces lois au Cameroun, les soumet ensuite à l’appréciation des parlementaires qui les adoptent, et ces textes devenus lois sont ratifiés par le président de la République. Pourquoi donc ferme-t-il les yeux quand celle-ci n’est pas respectée ou quand sont violées des lois adoptées par l’Assemblée nationale et dont la constitutionnalité a été établie par le Conseil constitutionnel ?

Les tribunaux administratifs sont du reste pleins de dossiers d’accusation de non-conformité constitutionnelle des actions et actes gouvernementaux. Et systématiquement, l’Etat perd tous ces procès. Le dernier cas emblématique en date qui a fait sensation, c’est celui de la suspension, ordonnée le 15 octobre 2021 par le Président du Tribunal Administratif du Centre, des effets de la décision du Minesup du 22 mars 2021, portant mise du professeur Charlemagne Pascal Nyamding Messanga à la disposition de l’annexe de Garoua de la Faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Université de Ngaoundéré. «Qui a organisé ?», se demanderait Jean-Miché Kankan. Ou, plutôt, qui a désorganisé : le président de la République, qui a prêté serment devant le peuple camerounais, les autres titulaires de mandats, ou les autres membres de la classe politique et socioéconomique dirigeante ? Et à quelles fins ?

Des analystes politiques poussent la réflexion plus loin, en faisant valoir que le pouvoir a une dimension mystique. Et que, pour eux, le pouvoir se nourrit aussi et surtout de l’apport spirituel des réseaux ésotériques. Entre le serment républicain et celui fait dans les loges, lequel fait plus obligation à l’assermenté ? Déjà au plan religieux, le Coran est clair : « Que l’un d’entre vous s’obstine à respecter son serment en nuisant à sa famille, est auprès d’Allah un péché » .

Or, le président de la République est astreint à servir l’intérêt général et non sa famille, fût-elle parentale, politique, religieuse ou ésotérique. Il est donc possible de confondre serment et vœux pieux. Et pour éviter ce mélange de genres, il serait souhaitable de faire mentionner en lettres d’or dans la Constitution : «Nul ne saurait prétendre à la fonction de président de la République s’il est sectaire, mais doit abandonner son sectarisme en accédant à cette fonction».

Source: Signatures N°184