Au-delà des restrictions d'âge et de diplôme, la proposition de modification du code électoral camerounais comporte d'autres dispositions tout aussi significatives qui transformeraient profondément le paysage politique du pays. Ces mesures concernent notamment la limitation du renouvellement des mandats et la synchronisation du calendrier électoral. Prises ensemble, ces dispositions révèlent une ambition bien plus vaste qu'une simple modernisation administrative, il s'agit véritablement de redessiner l'architecture politique du Cameroun.
La limitation du renouvellement : Une rupture avec le passé
L'un des aspects les plus remarquables de cette réforme concerne l'introduction d'une limite stricte au renouvellement des mandats électifs. L'Article 169 pour les conseillers municipaux et l'Article 148 pour les députés stipulent clairement que ces mandats sont désormais renouvelables une seule fois. Cette disposition signifie concrètement qu'un élu ne pourrait exercer que deux mandats consécutifs maximum, soit dix ans pour un conseiller municipal et dix ans pour un député, chaque mandat durant cinq ans.
Cette limitation représente une rupture majeure avec la pratique politique camerounaise où certains élus locaux et députés ont pu exercer pendant plusieurs décennies d'affilée, construisant ainsi de véritables fiefs politiques. Le texte va même plus loin en précisant qu'un élu ayant déjà servi deux mandats consécutifs devra attendre une mandature complète du Conseil ou une législature complète avant de pouvoir se représenter pour une nouvelle élection. Autrement dit, après dix ans d'exercice, un élu devra observer une pause obligatoire de cinq ans avant de pouvoir solliciter à nouveau le suffrage de ses concitoyens.
Cette limitation du renouvellement crée un contraste saisissant avec l'histoire politique camerounaise récente, où le président Paul Biya est au pouvoir depuis 1982, ayant été réélu à plusieurs reprises sans limitation temporelle. Cette incohérence soulève des questions fondamentales sur la philosophie politique qui sous-tend cette réforme. Comment justifier qu'un conseiller municipal ou un député ne puisse exercer plus de deux mandats consécutifs alors que la fonction présidentielle n'est pas soumise à la même contrainte.
Cette asymétrie pourrait s'expliquer par plusieurs logiques différentes. On pourrait y voir une volonté d'empêcher l'émergence de baronnies locales et de féodalités politiques au niveau inférieur de la hiérarchie institutionnelle, tout en préservant la stabilité au sommet de l'État. Certains pourraient également interpréter cette mesure comme un mécanisme pour contrôler l'ascension de figures politiques qui, en s'enracinant durablement dans leurs circonscriptions, pourraient développer une base de pouvoir suffisamment solide pour contester le leadership national.
L'Article 169 pour les municipales et l'Article 148 pour les législatives introduisent une disposition cruciale qui transforme radicalement le calendrier politique camerounais. Ces articles stipulent que l'élection aura lieu le premier dimanche du mois de février en même temps que l'élection des Conseillers Municipaux et celle des députés à l'Assemblée Nationale. Cette synchronisation signifie que les Camerounais se rendront aux urnes le même jour pour élire simultanément leurs représentants locaux et nationaux, créant ainsi une échéance électorale unique d'une importance considérable.
Cette unification du calendrier électoral présente plusieurs implications pratiques et politiques qu'il convient d'examiner attentivement. Sur le plan budgétaire, cette mesure permettrait des économies substantielles en concentrant tous les déploiements logistiques en une seule opération plutôt que d'organiser plusieurs scrutins séparés à des dates différentes. Le coût des élections représente une charge importante pour le budget national, incluant la fabrication et la distribution du matériel électoral, le déploiement des forces de sécurité, la formation et la rémunération des agents électoraux, et la mobilisation de la commission électorale sur l'ensemble du territoire.
Du point de vue de la mobilisation citoyenne, une seule grande échéance électorale pourrait favoriser une participation plus importante des électeurs. Plutôt que de solliciter les citoyens à plusieurs reprises dans l'année, ce qui peut générer de la lassitude et de l'abstention, cette approche concentre l'attention politique et médiatique sur un moment unique. Les campagnes électorales seraient plus intenses, les débats plus suivis, et l'enjeu démocratique plus visible pour l'ensemble de la population.
Cependant, cette synchronisation comporte également des risques significatifs qu'il serait dangereux d'ignorer. La complexité du scrutin augmente considérablement lorsque les électeurs doivent faire des choix multiples le même jour. Un citoyen devra simultanément se prononcer sur ses représentants municipaux et ses députés, ce qui exige une connaissance approfondie des candidats à différents niveaux et une capacité à distinguer les enjeux locaux des enjeux nationaux.
Plus préoccupant encore est le risque d'un effet de balayage où le vote pour un parti dominant au niveau national se répercuterait automatiquement sur les élections locales, nuisant ainsi à la diversité politique locale. Un électeur pourrait être tenté de voter pour le même parti à tous les niveaux par simplicité ou par loyauté partisane, même si ce choix ne correspond pas nécessairement aux intérêts spécifiques de sa commune. Cette dynamique favoriserait la concentration du pouvoir et pourrait faire disparaître les contre-pouvoirs locaux qui constituent souvent le dernier rempart contre les dérives autoritaires.
Les dispositions transitoires et leur impact
Les Articles 169 et 148 précisent qu'un conseiller municipal ou un député ayant déjà servi deux mandats consécutifs devra attendre une mandature complète du Conseil ou une législature complète avant de pouvoir se représenter pour une nouvelle élection. Cette disposition transitoire crée un mécanisme de respiration démocratique qui force périodiquement le renouvellement de la classe politique. Un élu qui aura exercé dix ans devra céder sa place pour au moins cinq ans, période pendant laquelle de nouveaux acteurs pourront émerger et faire leurs preuves.
Cette rotation forcée présente des avantages indéniables en termes de renouvellement démocratique. Elle empêche la fossilisation de la classe politique et garantit que régulièrement, de nouvelles perspectives, de nouvelles énergies et de nouvelles idées peuvent s'exprimer dans les assemblées élues. Les jeunes générations ne restent pas éternellement dans l'antichambre du pouvoir à attendre qu'une place se libère, ce qui peut générer frustration et désaffection politique.
Cependant, cette disposition comporte également le risque d'une perte d'expérience au sein des assemblées. Un conseiller municipal ou un député qui maîtrise parfaitement les rouages institutionnels, qui a développé une expertise dans certains domaines, et qui entretient des relations de travail productives avec ses collègues se verra contraint de quitter ses fonctions alors qu'il pourrait encore apporter beaucoup. Cette discontinuité peut affaiblir l'efficacité des institutions, d'autant plus que la courbe d'apprentissage pour un nouvel élu peut être assez longue.
L'exigence d'expérience politique : Le double tranchant
L'Article 117 impose aux candidats présidentiels une exigence particulièrement contraignante en matière d'expérience politique. Ils devront justifier d'une expérience politique d'une durée minimale de dix années, dont au moins cinq années exercées en qualité de cadre dirigeant au sein d'une formation politique légalement constituée. Cette disposition transforme radicalement les conditions d'accès à la magistrature suprême en excluant totalement les candidatures issues de la société civile, du monde académique, de l'entrepreneuriat ou de toute autre sphère non partisane.
Cette exigence peut se justifier par le souci de garantir que les candidats présidentiels ont une connaissance approfondie du système politique, de ses mécanismes, de ses contraintes et de ses possibilités. Un président qui comprend intimement le fonctionnement des partis politiques, qui a navigué dans les complexités des alliances et des négociations, et qui a appris à gérer les tensions internes d'une organisation pourrait théoriquement être mieux préparé aux défis de la gouvernance nationale. Cette approche réduit également le risque de candidatures fantaisistes portées par des personnalités populaires mais dépourvues d'ancrage politique réel.
Cependant, cette disposition crée une barrière à l'entrée presque insurmontable pour les nouveaux acteurs politiques et favorise outrageusement les candidats issus des partis établis. Comment un citoyen brillant, animé d'une vision pour son pays mais n'ayant jamais appartenu à un parti politique, pourrait-il soudainement présenter sa candidature à la présidence. Il devrait d'abord rejoindre un parti, y gravir les échelons pendant au moins dix ans dont cinq comme cadre dirigeant, avant même de pouvoir envisager une candidature présidentielle. À ce moment-là, il aurait probablement contracté tellement d'obligations et de compromis envers son parti qu'il ne serait plus le candidat indépendant et visionnaire qu'il aurait pu être.
Les Articles 169, 148 et 137 établissent des dispositions précises concernant le début effectif des mandats électoraux. Pour les conseillers municipaux et les députés, le mandat commence le jour de la première session du conseil municipal ou de l'Assemblée Nationale suivant la proclamation des résultats de l'élection. Cette session se tient le deuxième mardi suivant la proclamation des résultats. Pour le président de la République, le Conseil Constitutionnel arrête et proclame les résultats de l'élection présidentielle dans un délai maximum de dix jours à compter de la date de clôture du scrutin pour le premier tour.
Cette disposition vise à éviter les périodes de vide institutionnel qui peuvent créer de l'instabilité et de l'incertitude. En établissant des délais précis et courts entre l'élection et la prise de fonction effective, le texte garantit une transition fluide du pouvoir et maintient la continuité de l'action publique. Cette clarté procédurale est particulièrement importante dans un contexte où les contestations post-électorales sont fréquentes et où les périodes de transition peuvent devenir des moments de tensions sociales et politiques.
Impact global sur le paysage politique camerounais
L'ensemble de ces dispositions, examinées dans leur cohérence globale, dessine un système électoral qui pourrait considérablement renforcer le contrôle du parti dominant sur l'ensemble de l'architecture politique. La synchronisation des élections facilite l'effet de balayage qui permet à un parti performant au niveau national d'emporter également les scrutins locaux. Les exigences d'expérience politique favorisent les partis établis disposant de structures de formation et de ressources pour développer des cadres sur le long terme. La limitation du renouvellement, si elle crée du mouvement, empêche également l'émergence de leaders locaux trop solidement enracinés qui pourraient devenir des rivaux.
Cette architecture pourrait ainsi créer un renouvellement contrôlé de la classe politique où le changement s'opère à l'intérieur de paramètres étroitement définis qui préservent la suprématie du système en place. Les nouveaux élus seraient nécessairement issus des rangs des partis établis, formés selon leurs codes et leurs valeurs, et dépendants de leurs structures pour leur avancement politique. Cette forme de renouvellement sans transformation profonde pourrait donner l'illusion du changement tout en perpétuant les logiques de pouvoir
Plusieurs questions cruciales demeurent sans réponse claire dans le texte proposé. Le sort des élus actuels qui ont déjà exercé plusieurs mandats n'est pas explicitement traité par les dispositions transitoires. Seront-ils autorisés à terminer leur mandat en cours avant que les nouvelles règles ne s'appliquent, ou devront-ils immédiatement se conformer aux nouvelles limitations. Comment sera concrètement assurée et vérifiée la formation politique exigée pour les candidats présidentiels, et qui sera habilité à certifier qu'un candidat a effectivement exercé cinq années comme cadre dirigeant d'un parti.
Plus fondamentalement, la limitation du renouvellement s'applique-t-elle également à la présidence de la République. Le texte reste étrangement ambigu sur ce point pourtant crucial. Cette ambiguïté pourrait être délibérée, laissant ouverte la possibilité d'interprétations divergentes selon les circonstances politiques futures. Cette zone grise au cœur même de la réforme soulève des interrogations légitimes sur la cohérence et la sincérité de l'ensemble du projet.
Cette seconde dimension de la réforme électorale révèle une tentative de restructuration profonde du système politique camerounais qui va bien au-delà d'un simple ajustement technique. Entre volonté affichée de renouvellement et mécanismes qui pourraient paradoxalement favoriser les structures établies, ces propositions incarnent les tensions et les contradictions qui traversent le projet politique camerounais actuel.
Le débat démocratique qui doit impérativement accompagner l'examen de ces propositions devra clarifier les objectifs réels de cette réforme. S'agit-il véritablement de favoriser l'émergence d'une nouvelle génération de leaders politiques capables d'apporter des perspectives neuves et de répondre aux aspirations d'une population majoritairement jeune, ou de mettre en place un système de filtres sophistiqués garantissant que seuls certains profils, façonnés par les structures existantes et loyaux envers elles, puissent accéder aux responsabilités électives.