Jean Marc SoBoth, dans une lettre ouverte adressée à la gérontocratie incarnée par Paul Biya et René Sadi, exprime son sentiment de visée par les récentes déclarations gouvernementales sur le respect dû aux aînés. Il se présente comme un journaliste, syndicaliste et citoyen, et clarifie son intention de ne pas manquer de respect aux dirigeants âgés du pays. Cependant, il critique ouvertement le système de gérontocratie au Cameroun, soulignant les décennies de pouvoir absolu exercées par une génération vieillissante. Il dépeint l'échec du pouvoir actuel à réaliser les promesses de prospérité et de modernité faites par les anciens dirigeants, soulignant l'émergence d'une génération de débrouillards au lieu d'une transformation économique significative. SoBoth appelle à un changement de leadership, mettant en avant la jeunesse comme une alternative capable et créative. Il exhorte les aînés à passer le flambeau et à permettre à la jeunesse de prendre les rênes du pays, affirmant que c'est leur moment pour façonner l'avenir du Cameroun.
LA LETTRE OUVERTE DU JOURNALISTE JEAN MARC SOBOTH À LA GÉRONTOCRATIE CAMEROUNAISE ÉTERNELLE INCARNÉE PAR PAUL BIYA ET RENÉ SADI
Après avoir écouté au soir du 10 février 2024 l’adresse aux jeunes du chef de l’État camerounais, S.E.M. Paul Biya, et en lisant le communiqué du ministre de la Communication porte-parole du gouvernement, René Emmanuel Sadi (en date du 8 février) dénonçant le manque de respect dû aux aînés, promettant des représailles aux contrevenants « où qu’ils se trouvent », je me suis senti visé.
Je reconnais avoir pointé du doigt la gérontocratie de Yaoundé ces derniers jours. Des suites, j’aimerais dire, en ce qui me concerne, que :
Je ne suis pas politicien, ni influenceur, mais journaliste, syndicaliste et simple citoyen. Je n’ai pas l’intention de manquer de respect aux aînés qui dirigent le pays. Je m’excuserais donc si mes « sorties », parfois excessives ou passionnées, ont été perçues ainsi. Je n’envisage pas de faire le « buzz ». L’âme du syndicaliste impose des prises de position qui ne soient ni opportunistes, ni monnayées, ni empreintes de vantardise…
J’essaie toutefois de ne dire que la vérité ou ce que je pense être la vérité. Une gérontocratie est un gouvernement de Vieux. Et c’est le cas dans notre cher pays le Cameroun. On se le rappelle à chaque apparition publique, manifestement laborieuse et ardue du président, M. Paul Biya, comme ce 10 février encore. L’idée à l’origine est que les plus âgés sont plus sages. Mais on les a vus à l’œuvre des décennies durant.
On a longtemps observé cette génération d’anciens jeunes diplômés d’universités françaises qui nous avaient fait rêver. On nous en avait fait miroiter le paradis : la prospérité, la démocratie, la modernité… On m’avait dit, en 1982 : « Tu verras ! Ce sont des Blancs qui sont maintenant au pouvoir ! Bientôt nous serons comme la France ! »
Mais la plus grande prouesse de ce pouvoir c’est d’avoir engendré un peuple de débrouillards.
Ces anciens jeunes diplômés « français » se sont transformés, avec le temps, en de vieux gâteux du pouvoir jouissif, du pouvoir absolu, du pouvoir éternel, du pouvoir sans partage. Leur pouvoir « commandiste » a engendré : guerres, trucages électoraux, tribalisme, exclusions, satanisme…
Cette génération-des-mille-diplômes français avait hérité son pouvoir d’un jeune vrai bâtisseur que l’intelligentsia de l’époque avait présenté comme « illettré et inculte ». Ce jeune, qui avait ses défauts, avait élégamment passé le pouvoir après une œuvre titanesque, sans attendre de devenir Vieux.
Avec ces Aînés, nous sortons donc de plusieurs décennies de diplomite aiguë. Des diplômés d’universités françaises parmi les plus prestigieuses qu’on nous avait dit, à l’époque, être les meilleures au Monde. Ces ex-jeunes transformés en Aînés-fouettards ne pensent pas aider les débrouillards camerounais répandus à travers la planète à la « recherche de la vie ». Quand ils les évoquent, c’est pour traquer, expulser, taxer, empêcher de venir visiter leurs parents, punir… « où qu’ils se trouvent », si jamais ils se plaignent que, des décennies après, les inamovibles Aînés n’ont pas transformé leur pays en Dubai africain.
Plus jamais je ne ferai confiance aux diplômes en guise d’atout pour diriger un pays ! Je ne ferai plus confiance qu’en un vrai patriote, un vrai programme politique qui reconstruise notre fierté dans le concert des Nations. Les vrais diplômés, pour moi, ne seront plus jamais ces agrégés français de ceci ou cela assoiffé de pouvoir, mais n’ayant pour seul projet de société que décrets et remaniements, mais les vrais fabricants de projets de société, les porteurs de projets structurants, ces capitaines d’industrie soi-disant illettrés, toutes ces Mamans et Papas qui, sans le sou et sans aide étatique, se battent au quotidien pour éduquer leurs enfants, tous ceux-là qui n’ont jamais vécu une vie de sangsues sur la fortune publique.
Nous rêvons d’un projet de société qui construit, recrée l’amour fraternel entre Camerounais, et entre Africains, qui rétablit l’amour du pays — ce qui n’a rien à voir avec le soi-disant « attachement aux institutions de la République » ou à la gérontocratie-distributrice-de-strapontins comme nous le prêchent nos politologues…
À notre époque et dans toute l’histoire de la démocratie, disais-je, il ne semble pas normal d’avoir à la tête de son pays une telle vieille génération « éternelle ». Ces anciens fonctionnaires devaient légitimement aspirer au repos après des décennies au service de l’État et de l’Intérêt général. Manifestement, ils n’en ont toujours ni le désir, ni la culture… C’est elle qui, à mon humble avis, ternit l’image du pays quatre décennies plus tard.
D’autant qu’à chacune des apparitions publiques ou télévisées de nos Aînés bien-aimés, des millions de Camerounais à travers le Monde doivent immédiatement répondre, expliquer, ruser, tenter l’impossible pour justifier de cet « état d’anomalie » face à des millions et des millions de questionneurs parmi lesquels nos propres enfants…
C’est dire qu’il faille vite rétablir l’honorabilité des Camerounais. Pas dans le sens qu’on nous indique.
En clair, c’est au tour de la « Jeunesse » dont une partie a attendu son tour jusqu’à se faire rattraper — pour une grande partie d’entre elle — par la retraite, le désespoir ou la mort, c’est à elle de prendre le relais. C’est elle qui devrait s’occuper, avec affection, de cette vieille génération. On l’a vu à maintes reprises à la télévision, elle n’a plus toutes ses facultés motrices, cognitives ou simplement physiologiques pour diriger adéquatement un pays aussi complexe, accroché volontairement à un mécanisme constitutionnel suranné, hypercentralisé entre les mains d’une poignée de fonctionnaires à Yaoundé.
Notre Jeunesse est capable. Elle n’a plus besoin de nouveaux discours, de nouvelles promesses, de nouveaux programmes d’emplois et autres utopies d’amélioration — électricité, eau, etc. ; la Jeunesse n’a plus besoin de boniments de nos Aînés. Elle a besoin de s’occuper des Aînés dans leur retrait de la vie publique, et non le contraire. La Jeunesse n’a pas besoin de nouveaux bavardages ou de menaces…
La chose la plus généreuse, le plus loyale, la plus honnête que l’on puisse faire pour la Jeunesse aujourd’hui est de la mettre à l’épreuve, de lui donner la direction du pays :
de PASSER LA MAIN et ALLER SE REPOSER en toute immunité/humilité.
La Jeunesse vous donnera des résultats si elle a des coudées franches. Et vous verrez : le génie créateur de la Jeunesse est inimaginable, époustouflant !
Qui a dit que la longévité au pouvoir procédait de la Constitution ? C’est un mensonge. Ce n’est ni la Loi fondamentale, ni les autres lois et règlements qui justifient l’omniprésence de nos Aînés. La Constitution, c’est eux qui la font, et non le contraire. La Constitution ? C’est ceux ! Ils en font ce qu’ils veulent. Quand ils veulent. On a déjà l’habitude de l’entendre : la différence de modus operandi entre les coups d’État militaires et nos « démocrates » d’aînés n’existe pas. C’est le costume versus le treillis. Les militaires procèdent désormais sans effusion de sang. Nos « démocrates » privilégient de plus en plus le sang, la brutalité extrême, les geôles… parce qu’ils tiennent à punir, à faire peur, à susciter l’abandon du vrai militantisme politique, sous prétexte qu’on le leur a enseigné à Science Po.
Les Camerounais devraient attendre gentiment qu’ils décident de partir. Ils n’ont toujours pas envie de quitter ces lieux étatiques. Parce qu’ils n’ont jamais prévu de quitter tant qu’ils n’y sont pas forcés. Parce que nos Aînés en ont tous les moyens. La séparation des pouvoirs n’existe pas. L’exécutif, c’est eux ! Le législatif, c’est exclusivement leurs « projets de lois » ! Le judiciaire c’est essentiellement leurs « très hautes instructions »…
Ce n’est ni la tradition bantoue ni la culture démocratique occidentale qui ont créé cette déontologie de la res publica. Avouons-le. C’est eux ! Au détriment de tous !
Dites-nous, s’il vous plaît ! À quel endroit, dans quelle loi est-il écrit ou établi que le Cameroun concède la fabrication et la gestion de son argent, de sa monnaie, à la direction générale du Trésor français et à la Banque de France ? Quand a-t-on voté la loi transférant cette importante prérogative de souveraineté à un pays étranger où les Camerounais n’ont aucun droit ? Aucun droit. Aucun droit… Où on n’a pas droit à un simple visa d’entrée et où cet argent ne peut pas acheter le moindre beignet ? Qui sait à quel endroit en France on fabrique cette monnaie de singe ? Quand notre parlement a-t-il permis d’accepter et de perpétuer une telle forfaiture, une telle escroquerie ? Que se passe-t-il exactement ?
Sacrebleu! J’oubliais les fameux « accords secrets ». Voilà ! Nos aînés doivent probablement leur longévité aux « accords secrets » et non au suffrage universel. Vont-ils dénoncer ces « accords secrets » avant de partir et nous en libérer ou bien la culture bantoue interdit de dénoncer les accords coloniaux ? Impossible à faire ? C’est, à mon avis, cette façon de faire qui nuit au pays — ne riez pas ! Ce ne sont pas les Camerounais qui vivent à tel ou à tel endroit de la planète qui nuisent, pas ceux-là qui travaillent très dur tous les jours pour suppléer aux carences régaliennes.
Il faut donc passer la main. Ainsi verra-t-on exploser au grand jour le génie créateur de nos Jeunes, eux qui admirent tant le génie de leurs congénères du Liptako-Gourma. Ils montreraient leur capacité à implémenter le projet souverainiste des pères fondateurs, leur capacité à mobiliser les ressources humaines les plus chevronnées du pays, effacées ou expatriées jusqu’à présent parce que ne faisant partie d’aucun réseau.
La Jeunesse n’a plus besoin que les aînés s’occupent d’elle. Elle a besoin de s’occuper des Aînés. Nuance. Le temps presse.
La Jeunesse a besoin de montrer de quoi elle est capable. Elle a besoin de faire le Pays à l’image de son époque, débarrassé des machins-trucs coloniaux. C’est son temps. Qu’on arrête de lui promettre un avenir qui n’existe pas. Le présent est son avenir. L’avenir c’est maintenant ! Que les vieux - bientôt centenaires — arrêtent de promouvoir l’idée que leur place est perpétuelle. C’est de la manipulation. No condition is permanent.
On le voit partout dans le monde, les Jeunes ont de la créativité, du style et du succès. Les Jeunes sont capables. Telle est le vrai ordre des choses.
Donnez le pouvoir, comme on l’a fait pour vous, chers Aînés ! Soyez fiers de partir à temps ! Mettez sur pied une infrastructure normative empêchant que le très mauvais exemple du pouvoir-jouissif-« démocratique »-éternel soit copié à l’avenir. J.-M.S.