Polémique autour de l'identité de la 'femme' de Ruben Um Nyobè

Um Nyobé Femme Polémique Qui est donc cette femme vue au Palais de l’Unité entourée d’une nuée de journalistes?

Tue, 23 May 2017 Source: camer.be

Une image est passée en boucle hier sur la CRTV chaîne nationale, une dame d’un certain âge est présentée comme étant la veuve du nationaliste Ruben Um Nyobè. Elle est brandie tel un trophée de guerre, le député de l’UPC à la célèbre béquille n’est pas loin, il est peut-être la caution morale et « républicaine », qualificatif que l’on a retrouvé hier à toutes les sauces dans la bouche des journalistes de la CRTV. Cette fois ce ne sont pas les journalistes qui sont mis en cause mais tout de même ! C’est nous historien, Achille Mbembe en premier, lui le spécialiste de Ruben Um Nyobè, moi en second pour avoir initié il y a quelques années de faire remonter à la surface cette partie de notre histoire qualifiée de « hideuse » par ceux qui nous dénient toute humanité et toute intelligence.

Qui est donc cette femme vue au Palais de l’Unité entourée d’une nuée de journalistes ? Certainement pas la veuve de Ruben Um Nyobè. Marthe Um Nyobè femme de 90 ans que j’ai autrefois rencontrée au quartier « Ndjock-Kong », à ne pas confondre avec le village du même nom dans la localité de Boumyèbel. Je l’ai connu alors que j’étais J’avais demandé à Mayi Matip s’il pouvait me permettre de dire bonjour à cette « mbombo ».

Pourquoi donc les « nouveaux historiens » ont brandi à la face du monde hier au Palais de l’Unité une vraie fausse veuve du leader nationaliste camerounais ? Etait-ce la volonté de Paul Biya lui-même ou des officines de manipulation qui pullulent au Cameroun en ce moment ? Je connais Marthe Um Nyobè, je connais ses histoires de lit avec Um, j’ai vu son acte de mariage, la photo qui l’accompagne et cette femme vue au Palais de l’Unité n’est pas Marthe Um Nyobè pourtant toujours en vie.

Marthe Ngo Mayack dans le poids de l’âge reste pourtant une femme assez ouverte, c’est vrai, elle ne dit pas bonjour en français, mais parle couramment le bassa’a et le pidgin ! Elle a quelques mots éwondo et douala. Ils se sont mariés en 1944, je cite de mémoire puisque je n’ai pas sous la main mes notes prises lors de notre rencontre. Elle avait fait la cuisine pour moi, je marque un point face à mon frère Achille Mbembe qui n’a pas eu cet honneur. Je pourrais parler de sa taille, de sa beauté, de son intelligence, de sa capacité de séduction, mais ce n’est ni le lieu ni le moment, car belle elle fut et le demeure, intelligente aussi, mais surtout, oui, une véritable bombe de séduction dans le canon de beauté des femmes de cette partie de notre pays. Il n’y a qu’à regarder ses yeux, ses lèvres et les fesses rebondies sous son kaba qui trouvent toujours chalands !



Que de nuits passées à la belle étoile à se conter fleurette ? Que de parties de pêche à l’épuisette pour nourrir son homme et faire grandir les enfants ? Quatre années de maquis, quatre années de brousse, quatre années pour que le Cameroun lui serve un autre visage en lieu et place du sien ? Elle m’avait confié comme un secret, « Aloga, l’Etat nous a abandonné, ton devoir est que le Cameroun ne le fasse pas à son tour ».

Marthe Um Nyobè née Ngo Mayack, un fait historique pas une vue de l’esprit ni un construit politique…

De toutes les disciplines qui étudient l’évolution humaine, l’histoire figure parmi les plus anciennes. Elle occupe une place de choix dans la vie des sociétés. L’histoire, c’est la connaissance aussi complète que possible des itinéraires suivis par les générations précédentes. C’est la mémoire de l’humanité. À ce titre, elle constitue un immense réservoir d’expériences. Tous les problèmes qu’analysent les spécialistes en sciences humaines ont une dimension historique puisqu’ils s’inscrivent dans le temps.

Voilà pourquoi elle est essentielle à la compréhension des phénomènes actuels qui interpellent les sociétés. Étudier en histoire, c’est scruter le passé pour évaluer les enjeux importants de notre temps et contribuer à dessiner les voies de l’avenir.

Dans sa pratique, l’historien doit interroger une documentation souvent très abondante, sous plusieurs angles. Il importe aussi pour lui de se placer dans la peau des gens de l’époque pour interpréter de façon rigoureuse les lambeaux de preuves qui subsistent du passé. Finalement, il fera la synthèse des informations recueillies et formulera ses observations dans une langue soignée et dynamique.

L’histoire est une science humaine qui formule des problèmes et propose des explications, elle est essentielle à la prise de décision éclairée. Nous sommes ainsi loin d’une conception de l’histoire qui la réduisait naguère à une accumulation de dates, d’événements, à un récit plus ou moins centré sur de grands personnages. Voilà pourquoi vous pouvez aisément faire des fouilles, parfois chemise et pantalon retroussés pour montrer à la face du monde actuel des faits sans lesquels il lui sera difficile de se dire et de se connaître. Marthe Um Nyobè tout comme Marthe Moumié et Marthe Ouandjé ne sont pas une vue de l’esprit, elles sont toutes les trois des faits historiques et ne sauraient être substituées pour créer une émotion collective. La femme présentée au Palais de l’Unité le 20 mai dernier n’est pas la veuve du nationaliste camerounais Ruben Um Nyobè.

Au Cameroun rien n’est le fait du hasard mais rien non plus n’est nouveau sous le soleil.

Depuis une dizaine d’années, de jeunes compatriotes qui ont laissé aux oubliettes la question du nationalisme à cause de ses connotations péjoratives à l’international, ont choisi de refaire vivre la mémoire de Um Nyobè et en même temps de subvenir même partiellement aux besoins élémentaires de celle qui fut son épouse et demeure sa veuve et gardienne de sa tombe, madame Marthe Ngo Mayack veuve Um Nyobè. Cette activité s’est organisée autour d’une dizaine de jeunes au départ, je ne cite pas de noms de peur d’en oublier certains qui se trouveraient ainsi blessés dans leur générosité… Aujourd’hui, elle attire de plus en plus de jeunes qui ont fait de la tombe officielle de Um Nyobè un véritable lieu de pèlerinage à Boumnyebel. Loin de chez nous, un peuple, une race luttait pour ses droits civiques et ou constitutionnels, c’était aux Etats-Unis, un homme, un pasteur, Martin Luther King était la figure de proue de ce combat. Le FBI, pour le discréditer, lui trouva des étranges passions et une lettre sortie du placard : « Vous êtes un immense imposteur, un imposteur diabolique et vicieux ». King est alors accusé de se livrer à des « orgies sexuelles », son épouse est ébranlée mais garde confiance en l’homme qu’elle a aimé et dont elle sera la veuve pour toujours. Le fait que les patriotes fassent remonter à la mémoire collective la figure de Um Nyobè et sa parole prophétique que me révéla un jour Mongo Beti : « Un jour l’héritier se lèvera, il sera jeune, le peuple lui fera confiance et il le conduira » inquièterait-il le régime à ce point pour substituer à l’épouse légitime madame, Marie Ngo Ndjock pour la présenter comme l’épouse et la veuve de Ruben Um Nyobè ? Est-ce une tentative de faux héritiers politiques de Um Nyobè ? Ceux qui assument mieux la légende du crabe dans un panier ? Ceux qui n’ont pas hésité à livrer le frère, l’ami, le guide ? L’explication que nous donne le député Robert Bapoot Lipot pour qui nous avons estime et respect ne nous convainc pas intellectuellement.

« Sosthene on se respecte mutuellement. Voilà pourquoi je t’apporte cette précision. RUBEN UM NYOBE a laissé deux veuves, qui étaient d’ailleurs invitées d’Honneur du CHEF DE L’ÉTAT. UNE, MARIE NGO NDJOCK était hier au Palais de l’Unité avec son fils DANIEL RUBEN UM NYOBE, né le 25 avril 1957 dans le maquis. Cette dame que vous avez vue hier en boucle à la CRTV était dans le maquis avec son mari. Le 13 septembre 1958 à LIBELLINGOI sous ses yeux furent assassinés son mari et sa propre mère. Daniel RUBEN UM NYOBE, son fils que vous avez vu à côté d’elle, fut atteint par la balle qui tua sa grand-mère qui le tenait dans ses bras. Cette famille est restée longtemps dans l’ombre et martyrisée. Certaines personnes ont tout fait pour qu’elle soit oubliée. Nous avons choisi de mettre la famille UM NYOBE au-devant de la scène car c’est un patrimoine du Cameroun. Combien de Camerounais si émus j’ai pu voir hier devant ce patrimoine. Le PROPOS DU CHEF DE L’ÉTAT à l’Endroit de la veuve est inoubliable. »

Si certes, la communauté bassa’a, si les Nyambong, si les Log Ngond reconnaissent que Um Nyobè leur fils, leur frère, leur père a fait un enfant avec madame Marie Ngo Ndjock, rien ne dit qu’elle fut son épouse comme on nous la présente aujourd’hui. Que la fille de Um Nyobè aille sur Vision 4 revolver au cul pour « reconnaitre » Marie Ngo Ndjock comme seconde épouse du leader historique de l’UPC, les faits historiques restent à jamais têtus ! Ils sont écrits, ils sont des faucilles, ils sont des récits et la cosmogonie en fait partie. Dans cette cosmogonie bantoue, une dot fait office de mariage, une femme qui demeure au village après le décès de son mari, oui, ce sont des mariages d’égale valeur avec les mariages civils et ou religieux. Maintenant la fille de Um Nyobè serait-elle devenue une des neuf muses capables de dire la création avant qu’elle-même ne vînt à l’existence ?

Pour revenir à la note de l’honorable Robert Bapoot Lipot aucun fait historique ne vient corroborer ce récit de la présence de madame Ngo Ndjock Marie dans le campement le 13 septembre 1958, à Libelingoï aux portes de Boumnyebel le jour de l’assassinat de Ruben Um Nyobè. J’en ai fait un récit pour le journal Le Soir du 16 septembre 2016 et pour le site en ligne camer.be[1] en m’appuyant sur les travaux de Joseph Achille Mbembe et de Joseph Richard qui sont les deux meilleurs spécialistes de l’histoire de l’UPC et de Ruben Um Nyobè. Aucune trace donc, ne vient étayer cet argumentaire ! Mais oui, nul ne saurait cependant nier le fait qu’elle a eu un enfant avec Ruben Um Nyobè. Autre fait troublant révélé par le journaliste de Cameroon Tribune Jean Baptiste pour qui « Bapooh Lipot Robert député de l’UPC est un aujoulatiste à la manœuvre pour inviter les Um Nyobè au Palais de l’Unité » ! Upéciste et aujoulatiste ? Um Nyobè se retournerait dans sa tombe. Mais enfin une tombe il faudra bien lui en donner une autre puisque le député à la manœuvre nous signale la construction d’un énième monument à la mémoire de Um Nyobè cette fois dans le village de « Marie Ndjock où Um Nyobè a vécu avec sa femme suivant la tradition Ekang, ainsi que sa belle-mère qui avait qu’elle vive avec Um et sa fille puisque cette dernière était encore trop jeune » !

C’est moi la vérité….

Je laisse aux camerounais le temps de se familiariser avec l’histoire de leur pays, d’interroger la cosmogonie bantoue et de desceller les incohérences dans les déclarations de l’honorable Robert Bapooh Lipot. Je comprends les lacunes dans le raisonnement, elles sont béantes dans l’investissement du récit mémoriel de notre pays, dans la politique et par l’enseignement scolaire et universitaire. La revendication mémorielle n’est pas pour nous un simple « dolorisme victimaire » qui mènerait tout droit à la réhabilitation d’une épouse abandonnée ! Mais que Non, c’est la veuve de Ruben Um Nyobè, celui qui a lutté pour l’indépendance du Cameroun. Marthe Um Nyobè est la gardienne de cette mémoire de la théorisation de l’indépendance du Cameroun.

Avec elle, avec les historiens de notre pays, les patriotes qui depuis 10 ans travaillent à reconstituer ce visage lévinasien, nous témoignons avant tout d’un besoin de reconnaissance des souffrances subies par le peuple camerounais, d’un souci de réintégration, au cœur de l’histoire nationale, de mémoires qui sont demeurées trop longtemps périphériques. Um Nyobè en est une et peut-être la plus illustre mais ce n’est pas à nous de la nommer ou de l’ériger. Maintenant, Marthe Um Nyobè, comme Marthe Moumié et définitivement comme Marthe Ouandjè, ne sont pas dans la « concurrence » ou la « guerre » des mémoires, dès lors qu’elles acceptent vivantes ou mortes de faire une place à la vérité historique. Ce qui s’est passé le 20 mai à la Présidence de la République du Cameroun, montre que le Cameroun n’est pas encore indépendant, notre volonté d’indépendance se jouerait aujourd’hui sur la construction de notre mémoire collective, ceci n’est pas une donnée politique mais bien historienne. Marthe Um Nyobè en est une figure tutélaire de cette histoire, dans 10 ans comme dans 100 ans, c’est moi la vérité. La grandeur d’une civilisation la nôtre, dans ce Cameroun réunifié mais pas assumé, se mesurera demain aussi à son ouverture au monde. Le monde c’est déjà nous-même en vérité. Une civilisation sur le déclin se ferme à l’autre, vit sur elle-même, se replie, et fabrique des murs à partir des petits mensonges comme ceux avec lesquels on voudrait nous contraindre à cohabiter aujourd’hui. Gens de mon pays, Qu’en dites-vous ?

Source: camer.be