Sur l’affaire qui oppose le Groupement professionnel des acconiers du Cameroun à l’un des syndicats parmi la vingtaine que compte les dockers exerçant sur cette place portuaire, la Cour d’appel du Littoral vient de condamner le patronat des acconiers à payer près de 8,6 milliards de F CFA au titre de manque à gagner au bénéfice de ces travailleurs saisonniers. Ce verdict est fortement contesté par les mis en cause, qui dénoncent une sentence arbitrale inique.
Le Groupement professionnel des acconiers du Cameroun (GPAC) est une organisation professionnelle regroupant certaines compagnies d’acconage établies sur la place portuaire de Douala. Il gère pour le compte de ses membres les travailleurs occasionnels communément appelés dockers, qui les utilisent pour leurs opérations de manutention selon les besoins et flux de leurs activités. À cet effet chaque acconier se voit facturer la main d’œuvre qu’il aura utilisé pendant la période concernée. Le travailleur docker dont les conditions d’emploi sont régies par la Convention collective nationale de la manutention portuaire, obéit à un régime spécial.
C’est ainsi que le travailleur docker peut ne pas se présenter au travail pendant 15 jours consécutifs sans aucune sanction ; il est embauché au jour le jour et est affecté aux tâches disponibles suivant les besoins des acconiers utilisateurs, la manutention portuaire dénombrant 36 corps de métiers, d’où le caractère multidisciplinaire de son emploi ; il est payé sur pointage des heures travaillées avec une prime sur la productivité, son salaire étant calculé sur le cumul des heures effectivement travaillées ; le travailleur qui se présente à l’embauche, n’est pas affecté à une tâche, reçoit une indemnité journalière forfaitaire appelée garantie…
Il y a lieu d’indiquer que l’activité de la manutention portuaire au Port de Douala a conduit à ce jour à la création d’une vingtaine de syndicats travailleurs auxquels le travailleur docker est libre d’adhérer.
Pomme de discorde
La genèse du conflit entre acconiers et sieur Mougoue Oumarou, président de l’un des syndicats parmi la vingtaine que compte les dockers exerçant sur le Port de Douala, remonte il y a une dizaine d’années. En effet, courant juillet 2014, en pleine saison de pluie, les parties sont confrontées à une situation qui n’est pas prévue par la Convention évoquée en sus : comment rémunérer le travailleur recruté en « sacherie » (l’une des 36 disciplines de la manutention portuaire) dont la prestation se trouve interrompue du fait de la pluie ? D’un côté le travailleur est présent mais ne parvient pas à travailler à cause de la pluie, et de l’autre côté l’employeur qui n’a pas bénéficié de la prestation attendue du même fait de la pluie mais doit rémunérer le travailleur en l’absence de la prestation.
Les parties entament des négociations et aboutissent au Protocole d’accord de juillet 2014 sur le « pointage en sacherie en cas d’interruption par la pluie ». Cet accord qui est signé par les représentants des travailleurs dockers (délégués du personnel élus) et les représentants du GPAC, sera appliqué jusqu’en 2018 uniquement sur le cas du « pointage en sacherie en cas d’interruption par la pluie », date de la révision de la Convention collective nationale de la manutention portuaire dont les termes vont intégrer le « cas de force majeure dans les éléments de pointage ».
Une curieuse sentence arbitrale
A cette époque, le Syndicat départemental des travailleurs de la manutention portuaire et assimilés du Wouri (SDTMPAW) de Mougoue Oumarou, vient de perdre les élections et surtout son hégémonie dans le secteur depuis une dizaine d’années et n’est pas éligible aux discussions par ce que n’ayant aucun délégué de personnel. C’est justement ce syndicat, du fait de la perte des élections et de sa chute ne participera pas aux négociations ayant abouti au Protocole d’accord de juillet 2014 sur le « pointage en sacherie en cas d’interruption par la pluie », qui va saisir le Conseil d’arbitrage de la Cour d’appel du Littoral pour le compte prétendu des travailleurs dockers.
Les dockers sont représentés par le SDTMPAW, qui agit comme un conseil juridique conformément au Code du Travail alors que le GPAC est représenté par son avocat. A la différence du GPAC qui est une personne morale ayant qualité pour ester en justice, les dockers dans ce procès ne sont pas constitués en collectif, donc ne sont pas une personne morale. Ils ne sont pas non plus identifiés nommément dans une liste de telle sorte que ces travailleurs saisonniers ne sont ni une personne morale ni une personne physique ni des personnes physiques ayant une revendication commune.
Protocole d’accord
Le SDTMPAW dit que l’application du Protocole d’accord de juillet 2014 sur le « pointage en sacherie en cas d’interruption par la pluie » de 2014 à 2018 a entraîné un manque à gagner aux dockers qui sera évalué à la somme de 8 584 040 000 de F CFA par Conseil d’arbitrage. A qui va-t-on payer cette somme ? Quels sont les dockers concernés ? Qui va payer cette somme ? Comment sera t’elle répartie entre les employeurs ? Étant donné que depuis lors certaines des entreprises ont fermé et d’autres sont dans d’autres groupements Mystère ! D’autant qu’aucune liste n’a été produite, aucun nom n’a été cité, aucun collectif n’a été constitué. Le SDTMPAW n’a même pas pu produire la liste de ses adhérents malgré la demande du Conseil d’arbitrage de la Cour d’appel du Littoral. Tous les travailleurs dockers ne sont pas et ne peuvent pas être représentés par le SDTMPAW de Mougoue Oumarou alors qu’il y a une vingtaine de syndicats de la manutention portuaire.
Tout se passe comme si de 2014 à 2018 au port de Douala on a manutentionne que la sacherie et de plus qu’il y a eu la pluie tous les jours. Même les statistiques portuaires de l’époque démontrent le contraire.
Flou artistique
Par ailleurs, les heures de travail concernées n’ont pas été indiquées et plus grave, le Conseil d’arbitrage a pris le nombre de jours de pluies enregistrées par la météo de 2014 à 2018, sans pour autant déterminer que pendant tous ces jours de pluies pris en compte, il y a eu des prestations effectives en « sacherie » et interrompues du fait de la pluie. Autant les bénéficiaires de ces prestations en « sacherie » ne sont pas indiqués et les travailleurs ayant fournis ces prestations ne sont pas désignés, autant la somme d’environ 8,6 milliards ne détermine ni les personnes nommément qui en sont bénéficiaires ni la clé de répartition à appliquer.
Le Conseil d’arbitrage ne répond pas non plus à la question de savoir si tous les travailleurs dockers enregistrés au GPAC exercent uniquement et exclusivement en « sacherie » au détriment des 35 autres corps de métiers de la manutention portuaire. Il arrête que le SDTMPAW de Mougoue Oumarou représente tous les travailleurs dockers du GPAC, et en déduit de manière unilatérale le nombre sans pour autant l’indiquer.
Sentence inique
Le Protocole d’accord signé entre les représentants des travailleurs et les représentants des employeurs n’est-il pas la loi des parties s’agissant d’une convention légalement formée ? De là à se demander si la sentence qui condamne le GPAC à payer près de 8,6 milliards aux dockers non identifiés par ailleurs dans les conditions spéciales décrites dans le cas d’espèce, n’obéit pas aux motivations obscures qui échappent à toute analyse juridique objective et rationnelle étant donné même que les travailleurs dockers du GPAC continuent à vaquer à leurs occupations sans aucune revendication de cet ordre.
Il faut ajouter en plus qu’une convention collective est en cours de signature entre les employés de la manutention et les employeurs convention à laquelle participe curieusement le Sieur Mougoue et pour laquelle cette préoccupation des dockers et des employeurs a trouvé un consensus à la satisfaction de tous
Depuis lors, le GPAC fait feu de tout bois pour que cette sentence arbitrale inique ne soit pas entérinée. Mais si tel venait à être le cas, elle pourrait constituer le détonateur des troubles à l’ordre public dans la ville de Douala en cette veille d’élection présidentielle. Une forte menace au climat social alors que depuis 2019, il règne une relative accalmie sur les berges du Wouri. Aussi, le syndicat des acconiers a-t-il jugé opportun de saisir le Comité national de facilitation des échanges (CONAFE), le ministre des Transports, le gouverneur de la région du Littoral, ainsi que le Port Autonome de Douala, prenant à témoin toutes ces institutions d’une mafia autour de 8,6 milliards validée par des magistrats en mal de notoriété.