La semaine dernière, le groupe État islamique (EI) a revendiqué ses premiers attentats suicides en Ouganda, un mois seulement après le début de ses activités dans le pays.
Le groupe a revendiqué ces attaques par l'intermédiaire de sa branche de la province de l'État islamique en Afrique centrale (en abrégé ISCAP), qui opère également en République démocratique du Congo (RDC) voisine ainsi qu'au Mozambique.
Les autorités locales ont imputé ces attaques aux Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe islamiste ougandais qui a prêté allégeance à l'EI et opère sous la bannière de l'ISCAP.
Si l'EI n'a pas menacé l'Ouganda de manière notable par le passé, son intérêt soudain pour le pays n'est pas surprenant compte tenu du lien avec l'ADF. Mais cela soulève la question suivante : pourquoi maintenant ?
Les autorités et les médias en Ouganda et en RD Congo attribuent toujours les attaques revendiquées par l'EI sur leur territoire aux membres de l'ADF, omettant généralement de mentionner le lien avec l'EI. De son côté, l'EI ne fait jamais référence à l'ADF dans ses communiqués.
L'ADF est née en Ouganda dans les années 1990, mais ses membres ont été repoussés au début des années 2000 vers les zones frontalières de l'est de la RD Congo, où ils sont largement actifs depuis lors. Leurs liens avec l'EI semblent avoir été consolidés en 2019. C'est à ce moment-là que l'EI a revendiqué ses premières actions dans la région de Beni en RD Congo en avril de la même année et, déclarant ainsi la création de la branche RDC de l'ISCAP.
En mars, les États-Unis ont inscrit les Forces démocratiques alliées (ADF), sur la liste des "organisations terroristes" en raison de leurs liens avec l'EI.
La première, l'explosion d'un engin explosif improvisé "à l'intérieur" d'un poste de police le 7 octobre, a selon l'EI fait des blessés.
Le 23 octobre, une explosion a été provoquée par un engin explosif déposé dans un restaurant d'un quartier commercial populaire de la capitale. Une serveuse a été tuée.
La troisième, composée de deux attentats-suicides distincts perpétrés par trois assaillants, a frappé près du commissariat central et du Parlement le 16 novembre. Le président ougandais Yoweri Museveni a déclaré que les kamikazes étaient des membres de l'ADF et les a qualifiés de "porcs".
Dans son attaque du 23 octobre contre un restaurant, le groupe a justifié l'explosion en disant qu'elle visait un "bar" fréquenté par "des membres et des espions du gouvernement croisé ougandais".
Avant ces attaques, l'Ouganda ne figurait pas en bonne place dans les communiqués ou les menaces de l'EI.
Malgré les discussions de ces derniers mois sur la collaboration entre l'Ouganda et la RD Congo dans la lutte contre les militants djihadistes dans la région, les opérations conjointes réelles ne semblent pas avoir commencé.
L'idée d'un déploiement en RD Congo comporte des sensibilités historiques, étant donné le soutien de l'Ouganda aux rebelles congolais dans les années 1990.
En octobre, le président Museveni a déclaré que son pays était "prêt à aider" à combattre l'ADF sur le sol congolais, "si le gouvernement du Congo nous y autorise". Mais jusqu'à présent, aucune annonce d'une opération conjointe n'a été faite.
Un mois après la déclaration du siège, l'EI s'est moqué de son "échec" à réprimer l'activité de l'EI et s'est même vanté de ses "premières" attaques à l'intérieur de la ville de Beni, au Nord-Kivu, en affirmant que les militants de l'EI étaient à l'origine d'un attentat à la bombe dans une église et d'un attentat suicide, le premier de l'EI en RD Congo, dans un bar. Les attaques précédentes avaient été confinées à la périphérie de Beni.
"La pression militaire de l'état de siège [de la RDC] a l'avantage de limiter la mobilité de l'ADF sur le territoire de la RDC, les obligeant à se replier sur l'Ouganda", a déclaré en octobre le journaliste Nicaise Kibel'Bel Oka, auteur de plusieurs ouvrages sur le djihadisme dans la région de Beni.
Le fait que l'EI soit récemment devenu actif en Ouganda correspond à l'inclinaison générale du groupe vers l'Afrique depuis 2019, après avoir perdu ses dernières bases au Moyen-Orient, et à son programme expansionniste typique. Compte tenu des liens étroits entretenus entre l'ADF et l'Ouganda, ce dernier apparait comme une zone idéale pour les activités de l'EI. Cela permet également à l'EI de relier progressivement ses affiliés en "Afrique centrale", à savoir la RD Congo, l'Ouganda, la Tanzanie, où l'EI n'a revendiqué que deux attaques, et le Mozambique.
Compléments d'information : Paul Brown