Pourquoi l'État islamique attaque-t-il l'Ouganda ? - Analyse

Pourquoi l'État islamique attaque-t-il l'Ouganda ?

Sun, 28 Nov 2021 Source: www.bbc.com

La semaine dernière, le groupe État islamique (EI) a revendiqué ses premiers attentats suicides en Ouganda, un mois seulement après le début de ses activités dans le pays.

Le groupe a revendiqué ces attaques par l'intermédiaire de sa branche de la province de l'État islamique en Afrique centrale (en abrégé ISCAP), qui opère également en République démocratique du Congo (RDC) voisine ainsi qu'au Mozambique.

Les autorités locales ont imputé ces attaques aux Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe islamiste ougandais qui a prêté allégeance à l'EI et opère sous la bannière de l'ISCAP.

Si l'EI n'a pas menacé l'Ouganda de manière notable par le passé, son intérêt soudain pour le pays n'est pas surprenant compte tenu du lien avec l'ADF. Mais cela soulève la question suivante : pourquoi maintenant ?

Les autorités et les médias en Ouganda et en RD Congo attribuent toujours les attaques revendiquées par l'EI sur leur territoire aux membres de l'ADF, omettant généralement de mentionner le lien avec l'EI. De son côté, l'EI ne fait jamais référence à l'ADF dans ses communiqués.

L'ADF est née en Ouganda dans les années 1990, mais ses membres ont été repoussés au début des années 2000 vers les zones frontalières de l'est de la RD Congo, où ils sont largement actifs depuis lors. Leurs liens avec l'EI semblent avoir été consolidés en 2019. C'est à ce moment-là que l'EI a revendiqué ses premières actions dans la région de Beni en RD Congo en avril de la même année et, déclarant ainsi la création de la branche RDC de l'ISCAP.

En mars, les États-Unis ont inscrit les Forces démocratiques alliées (ADF), sur la liste des "organisations terroristes" en raison de leurs liens avec l'EI.

Les attaques de l'EI en Ouganda

L'EI a jusqu'à présent revendiqué un total de trois attaques en Ouganda, toutes dans la capitale Kampala.

La première, l'explosion d'un engin explosif improvisé "à l'intérieur" d'un poste de police le 7 octobre, a selon l'EI fait des blessés.

Le 23 octobre, une explosion a été provoquée par un engin explosif déposé dans un restaurant d'un quartier commercial populaire de la capitale. Une serveuse a été tuée.

La troisième, composée de deux attentats-suicides distincts perpétrés par trois assaillants, a frappé près du commissariat central et du Parlement le 16 novembre. Le président ougandais Yoweri Museveni a déclaré que les kamikazes étaient des membres de l'ADF et les a qualifiés de "porcs".

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Une infographie récente couvrant les activités de l'ISCAP au cours des quatre derniers mois attribue quatre attaques à l'Ouganda.

Il est possible que l'EI ait compté ses attentats-suicides du 16 novembre comme deux attaques distinctes, portant le total à quatre attaques en Ouganda. Il se peut également que la quatrième attaque fasse référence à l'attentat suicide perpétré contre un bus le 25 octobre près de Kampala, dans lequel seul le kamikaze aurait été tué, mais pour lequel aucune revendication individuelle n'a été émise. Les autorités ougandaises ont déclaré que le kamikaze était un membre des ADF.

Tuer ou blesser des "chrétiens"

Dans toutes ses revendications, l'EI a déclaré que les attaques visaient le gouvernement ougandais "croisé" et ses forces de police.

En revendiquant ces attaques, l'EI s'est également réjoui d'avoir tué ou blessé des "chrétiens" et d'avoir visé le parlement ougandais "polythéiste".

Dans son attaque du 23 octobre contre un restaurant, le groupe a justifié l'explosion en disant qu'elle visait un "bar" fréquenté par "des membres et des espions du gouvernement croisé ougandais".

Avant ces attaques, l'Ouganda ne figurait pas en bonne place dans les communiqués ou les menaces de l'EI.

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Tout en revendiquant les attaques du 16 novembre, l'EI a souligné que l'Ouganda faisait "partie des États qui participent à la guerre contre l'EI en Afrique centrale".

Dans un communiqué publié le 18 novembre par son hebdomadaire phare, al-Naba, I'EI a déclaré que les attaques suicides "marquent une nouvelle phase dans la guerre entre les moudjahidines et le croisé Ougandais", étant donné, a-t-il répété, le rôle du pays dans la lutte contre les djihadistes en "Afrique centrale".

L'EI a poursuivi en expliquant que l'Ouganda s'était rendu complice de cette guerre en "envoyant des troupes" en RD Congo pour y combattre les militants de l'EI, "après que l'armée congolaise avait échoué à faire des progrès sur le terrain".

Pourquoi maintenant ?

Ce n'était qu'une question de temps avant que l'EI, avec ses ambitions djihadistes expansionnistes, ne s'aventure en Ouganda, le pays d'origine du groupe affilié ADF.

D'après les messages de l'EI, il semble que le groupe pense que l'Ouganda a récemment commencé à jouer un rôle actif contre ses affiliés dans l'est de la RD Congo, ou du moins qu'il utilise cette affirmation comme excuse pour cibler l'Ouganda.

Malgré les discussions de ces derniers mois sur la collaboration entre l'Ouganda et la RD Congo dans la lutte contre les militants djihadistes dans la région, les opérations conjointes réelles ne semblent pas avoir commencé.

L'idée d'un déploiement en RD Congo comporte des sensibilités historiques, étant donné le soutien de l'Ouganda aux rebelles congolais dans les années 1990.

En octobre, le président Museveni a déclaré que son pays était "prêt à aider" à combattre l'ADF sur le sol congolais, "si le gouvernement du Congo nous y autorise". Mais jusqu'à présent, aucune annonce d'une opération conjointe n'a été faite.

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Le timing des attaques de Kampala pourrait donc être une tentative de l'EI de retourner l'opinion publique contre tout déploiement militaire en RD Congo. Les groupes djihadistes utilisent souvent les interventions militaires pour justifier leurs attaques contre les civils.

En effet, la dernière attaque majeure à Kampala, les attentats à la bombe de la "Coupe du monde" 2010, qui ont tué 74 personnes, ont été revendiqués par al-Shabab en représailles au déploiement de l'Ouganda en Somalie.

Le 23 novembre, le ministre ougandais des Affaires étrangères, Henry Okello-Oryem, a déclaré, selon le journal Red Pepper, qu'aucune action transfrontalière ne serait entreprise sans l'autorisation de Kinshasa : "Vous avez besoin de légitimité. Vous ne pouvez pas vous précipiter sur le territoire de quelqu'un".

L'EI a fait l'objet d'une répression sévère dans l'est de la RD Congo depuis le mois de mai, lorsque le gouvernement a déclaré l'"état de siège" et le régime militaire dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri, à la frontière avec l'Ouganda, où l'EI est principalement actif. Le siège a été prolongé à plusieurs reprises et reste en place.

Un mois après la déclaration du siège, l'EI s'est moqué de son "échec" à réprimer l'activité de l'EI et s'est même vanté de ses "premières" attaques à l'intérieur de la ville de Beni, au Nord-Kivu, en affirmant que les militants de l'EI étaient à l'origine d'un attentat à la bombe dans une église et d'un attentat suicide, le premier de l'EI en RD Congo, dans un bar. Les attaques précédentes avaient été confinées à la périphérie de Beni.

"La pression militaire de l'état de siège [de la RDC] a l'avantage de limiter la mobilité de l'ADF sur le territoire de la RDC, les obligeant à se replier sur l'Ouganda", a déclaré en octobre le journaliste Nicaise Kibel'Bel Oka, auteur de plusieurs ouvrages sur le djihadisme dans la région de Beni.

Le fait que l'EI soit récemment devenu actif en Ouganda correspond à l'inclinaison générale du groupe vers l'Afrique depuis 2019, après avoir perdu ses dernières bases au Moyen-Orient, et à son programme expansionniste typique. Compte tenu des liens étroits entretenus entre l'ADF et l'Ouganda, ce dernier apparait comme une zone idéale pour les activités de l'EI. Cela permet également à l'EI de relier progressivement ses affiliés en "Afrique centrale", à savoir la RD Congo, l'Ouganda, la Tanzanie, où l'EI n'a revendiqué que deux attaques, et le Mozambique.

Compléments d'information : Paul Brown

Source: www.bbc.com