Pourquoi le Cameroun peine-t-il à livrer ses chantiers d’infrastructures ?

Pourquoi le Cameroun peine-t-il à livrer ses chantiers d’infrastructures ?

Wed, 29 Mar 2023 Source: www.bbc.com

Des infrastructures sportives aux infrastructures routières, presqu’aucun chantier n’est livré dans les délais au Cameroun. Certains vont au rythme d’un kilomètre par an. BBC Afrique tente une explication.

Les amoureux du ballon rond ont eu des sueurs froides à la veille de la coupe d’Afrique des Nations que le Cameroun a accueilli en début de l’année dernière. Tous étaient suspendus à la décision d’une mission d’inspection de la confédération africaine de football (CAF), devant dire si le pays était prêt, du point de vue de ses infrastructures, pour accueillir la fête du football africain.

Les camerounais n’avaient pas encore oublié le retrait de la précédente édition (2019 confiée in extrémis au Maroc), pour retard dans l’évolution des travaux infrastructurels, engagés pour certains au lendemain de l’attribution de l’organisation de la compétition en 2014.

Complexe sportif d’Olembé, plus de milliards, chantier à l’arrêt

L’un des chantiers ayant fait le plus craindre un nouveau « glissement de la Can» pour reprendre l’expression du président Biya au lendemain du retrait de l’organisation de l’édition 2019, c'est celui du complexe sportif d’Olembé, dont le stade a finalement accueilli la cérémonie d’ouverture et de clôture de la CAN jouée début 2022.

Le complexe dont les travaux ont démarré début mars 2017 devait être livré 30 mois plus tard, avec comme composantes, un stade de 60 mille places, deux stades d'entraînement de 1000 places chacun, en plus d’un gymnase omnisports, d'une piscine olympique, d'un centre sportif extérieur, d'un hôtel de 70 chambres et d'un centre commercial comprenant des salles de cinéma et de conférence, pour un coût global de 163 milliards de Francs CFA.

Mais au début de la coupe d’Afrique des Nations en janvier 2022, soit près de 5 ans après le début du chantier, seul le stade de 60 mille places était opérationnel, même s’il n’était pas totalement achevé.



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Entre temps, le financement du chantier est passé de 163 milliards à un peu plus de 218 milliards de francs CFA, suite à une rallonge de 55 milliards décidés en 2021 par la présidence de la République.

Le chantier a été repris par l’entreprise canadienne Magil en novembre 2019, après la résiliation par Yaoundé, d’un premier contrat avec une autre entreprise étrangère pour cause de lenteur dans la réalisation du projet.

Au moment d’annoncer son intention de rompre le contrat en décembre 2022, l’entreprise canadienne a déjà consommé 76 % des 55 milliards supplémentaires décaissés en 2021, alors que « Magil n’a achevé aucune composante du complexe d’Olembe» selon le ministre des sports Narcisse Mouelle Kombi, qui l’a sommée de rembourser une partie de l’avance perçue sous peine d’être « poursuivie pour atteinte à la fortune publique », écrivait le ministre.

Réunion au Palais pour relancer les travaux

La guerre semble véritablement ouverte entre la partie camerounaise et Magil, qui accuse nommément le ministère des sports de vouloir, entre autre, « asphyxier financièrement » ses sous-traitants, « malgré la disponibilité des fonds, et de n’avoir pas exonéré de taxes le matériel devant servir pour le chantier ».

Des accusations rejetées par Narcisse Mouelle Kombi dans une de ses sorties.

Nous avons sollicité Magil, pour en savoir davantage sur ce problème.

L’entreprise accuse d’abord son prédécesseur d’avoir surestimé les taux d’avancement des travaux, d’avoir laissé de nombreux conteneurs de matériel détériorés, périmés ou inutilisables, des constats faits en compagnie des responsables du maitre d’ouvrage, le ministère des sports, en plus des retards dans le décaissement des finances évoqué plus haut.

Lors d’une visite au stade, au lendemain d’une réunion tripartite au palais présidentiel le 12 janvier, les deux parties ont convenu d’une reprise des travaux, à la mi-janvier.



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Au moment où nous bouclons cet article, soit trois mois plus tard, la société Magil n’a toujours pas repris les travaux.

Magil dit avoir posé des conditions pour la reprise, lors de la réunion au palais. Entre autres « le règlement des 4,5 milliards représentant le coût des travaux réalisés d’urgence pour la CAN, et les 13 milliards de FCFA que lui doit le ministère des sports». Ce qui n’a pas été fait, plus de trois mois après.

Et l’entreprise Canadienne de poursuivre «Magil a reçu un ordre de service valant mise en demeure en date du 23 Février de la part du ministère des sports intimant la reprise immédiate des travaux » sous un mois.

Le délai a expiré il y a plusieurs jours, mais les travaux n’ont toujours pas repris.

Malgré plusieurs relances, les responsables de communication du ministère des sports n’ont pas donné suite à nos requêtes.

A la question que compte faire Magil si elle n'est pas payée, «nous avons la confiance du Secrétariat général de la Présidence de la République, et il n’y aura pas de rupture » répond une source proche de l'entreprise, qui n’a pas voulu être citée.

Entrée- Est de Douala : perpétuels embouteillages

C’est aussi l’un des chantiers qui devait s’achever avant le début de la CAN de l’année dernière, pour mieux desservir le stade de Japoma, et fluidifier la circulation dans la zone, mais sa livraison n’est pas pour demain.

Au centre de cette lenteur, plusieurs aspects, dont le choix des prestataires, et le manque de finances.

Tout comme le complexe sportif d’Olembé, c’est l’entreprise canadienne Magil qui hérite du projet de réalisation de cette autoroute de 9 kilomètres et le confie à un sous-traitant, Razel, après la résiliation du contrat de départ attribué au groupement chinois WIETC/CRCC14.



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L’Etat reproche à ce dernier sa lenteur, et la qualité de ses travaux. Magil hérite du chantier en 2019. Faute de moyens, les travaux sont en arrêt, avant la mobilisation de nouveaux financements un an plus tard.

Mais les travaux ne bougeront pas, Magil étant en conflit avec son sous-traitant, le français Razel, au sujet des avances d’un montant de 17 milliards de Francs CFA, que Razel réclame sur plusieurs chantiers dans le pays, réalisés pour le compte de l’entreprise canadienne, alors que les autorités affirment que Magil a déjà empoché 34 milliards de FCFA.

Le ministère des travaux public qui est le maitre d’ouvrage explique ces décaissements par “un modèle de financement auquel l’Etat n’est pas habitué”.

Contacté, le canadien Magil dit ne pas reconnaitre la dette envers Razel, et dit l’avoir écarté pour recruter une entreprise « moins chère ».

C’est finalement le 20 février dernier que les travaux ont repris sur cette voie, porte d’entrée des véhicules en provenance de la capitale Yaoundé, ou des pays voisins, notamment la Centrafrique et le Tchad, qui comptent sur le port de Douala pour leurs importations.

Le nouvel exécutant, Mag Sarl, un sous-traitant de Magil, entré en scène après la résiliation du contrat de Razel, promet de livrer le chantier en janvier 2024. Si le délai est respecté, cela fera en moyenne 5 années d’attente pour les usagers de cet axe.

Autoroute Yaoundé - Nsimalen : voie “interminable”

Elle a une importance stratégique au Cameroun. Cette autoroute se présente comme la vitrine du pays, puisqu’elle relie l’une de ses principales portes d’entrée, l’aéroport international de Yaoundé Nsimalen, au centre de la capitale.

La deuxième mission étant de fluidifier la circulation dans cette ville d’environ 4 millions d’habitants.

Lancés en mai 2014, les travaux de cet axe long de 23 kilomètres allant de l’aéroport au Boulevard Jean Paul II en contre bas du palais des congrès ne sont pas encore achevés.

L’ouvrage est divisé en deux sections. C’est le 5 janvier 2022, 4 jours avant le début de la CAN, que la première section dite “rase champagne”, 11 kilomètres de long, a été mise en circulation.

La construction des 12 autres kilomètres traversant le centre-ville jusqu’au boulevard Jean Paul II n’a pas encore démarré.

Pourquoi ce chantier tarde-t-il à être livré? Les autorités sont peu disertes sur la question. Le responsable du développement des infrastructures routières au ministère de l’habitat et du développement urbain a décliné notre demande d’interview.

Citée par presse locale, la ministre en charge de l’habitat qui est maitre d’ouvrage de ce chantier parle de problèmes d’indemnisations, puisque l’Etat doit indemniser les riverains impactés.

Il est donc difficile donc de savoir à quel niveau se trouve ce processus et combien de temps il faudra encore attendre avant la livraison de l’ouvrage complet.

Autoroute Yaoundé Douala : 60 kilomètres en 9 ans

Lorsque les travaux de cette infrastructure démarrent en avril 2014, les autorités caressent l’espoir de relier pour une première fois, deux chefs-lieux de régions du pays par une autoroute longue de 196 Kilomètres.

L’ouvrage est alors divisé en deux phases, dont la première, longue de 60 kilomètres, devant être livrée en 48 mois.

Mais c’est finalement en janvier dernier, soit 9 ans après le lancement des travaux, que ces 60 premiers kilomètres ont été réceptionnés, malgré les multiples mises-en garde du ministre en charge du secteur.

Yaoundé souhaite mettre en circulation cette première phase, en la reliant à la route nationale No 3, un ouvrage construit au début des années 80.

Là encore, les délais ne sont pas tenus. Ces voies de raccordement d’une longueur totale de 25 kilomètres repartis sur les extrémités de l’autoroute ont déjà manqué leur premier délai de livraison prévu en septembre 2022. Trois kilomètres doivent encore être bitumés, selon le ministère des travaux publics ; reste donc à savoir si le nouveau délai du 30 avril 2023 sera respecté.

L’une des raisons du retard dans l’avancement de ces travaux, c’est que l’Etat du Cameroun tarde souvent à verser sa quote-part dans le financement.

En 2020 par exemple, le Cameroun devait environ 200 milliards de FCFA aux entreprises de BTP, sur l’ensemble de ses chantiers en cours, ce qui constitue le « principal facteur de la contre-performance de nos efforts de construction » reconnaissait le ministère des travaux publics dans l’un de ses rapports.

Le ministère pointe également du doigt des blocages liés notamment à la libération des emprises des chantiers. Parmi les occupants, les habitants, mais aussi, les installations des entreprises d’Etat comme la Camwater, la société de distribution d’eau, Eneo la société de commercialisation de l’électricité ou encore Camtel l’opérateur public de téléphonie.

Une lenteur qui n’est pas sans conséquences sur le financement des projets. Les 60 premiers kilomètres de l’autoroute Yaoundé - Douala devaient initialement couter 338,7 milliards, mais l’enveloppe est passée à 423, 6 milliards de FCFA selon le ministre Emmanuel Nganou Djoumessi, répondant à la question d’un sénateur en 2020.

Des décrets devant être pris pour accélérer la libération des emprises tardent à venir, explique-on au ministère, à côté du mauvais ficelage des projets, qui font trainer les travaux sur le terrain, « même si cet aspect se fait de moins en moins ressentir », déclare un responsable.

Si malgré tout, cette première phase entrevoit le bout du tunnel, l’on ne sait pas encore quand la seconde phase, la plus longue d’ailleurs (136 kilomètres) démarrera.

L’appel à manifestation d’intérêt lancé au premier trimestre 2020 n’a pas encore livré ses résultats.

De source proche du dossier, le ministère qui a opté pour un partenariat public privé, est en discussion avec Mota Engil, sélectionné parmi les trois de la short list publiée fin 2020.

L’entreprise portugaise avait déjà hérité de certains chantiers d’infrastructures de la Can 2021, à Garoua dans le nord du pays.

En termes plus simples, la deuxième phase dont les travaux démarreront après l’entente entre les deux parties sera financée par un investisseur, qui devra exploiter l’axe, selon des termes arrêtés de commun accord.

Insécurité et flou dans la passation des marchés

Au ministère des marchés publics, on parle également de « mauvaise organisation de certaines entreprises » pour expliquer le retard dans la livraison des chantiers.

Le ministre a résilié des contrats d’une vingtaine d’entreprises en charge de la construction, les accusant entre autres d’abandonner les chantiers, de dépasser les délais contractuels, ou encore de ne pas avoir de ressources humaines et matérielles suffisantes, ou tout simplement d’être incapables d’exécuter les travaux dans les normes.

Des aléas liés à des failles dans l’attribution des marchés, reconnait une responsable du ministère contactée par la BBC. Même si « Le Ministère n’est pas le seul acteur, les commissions de passation de marchés interviennent et on ne peut pas compter sur l’intégrité de tout le monde » explique-t-elle.

D’autres chantiers ont été abandonnés pendant de longues durées, le cas de Maroua- Dabanga, dans l’extrême nord du pays ou encore celle de Babadjou à Bamenda, devant relier l’ouest francophone au nord-ouest anglophone.

Comme l’extrême nord depuis 2014, la partie anglophone est affectée par une crise sécuritaire depuis 2016, qui met à mal l’exécution des travaux. Profitant de l’accalmie apparente dans ces zones, les travaux reprennent progressivement.

Les responsables du ministère se félicitent quand même d’avoir réalisé certains chantiers « dans les temps » parmi lesquels les axes Batchenga-Ntui, Yoko-Léna, Lena-Tibati-Ngatt, qui offrent une alternative aux voyageurs à destination du nord du pays, un trajet qui se fait généralement par train.

Source: www.bbc.com