L’élection présidentielle du 20 décembre 2023 en République démocratique du Congo se déroule dans un contexte économique et social tendu. Le pays connaît une crise financière accentuée par une forte inflation et l’instabilité dans l’est.
La persistance des conflits et la lenteur des progrès économiques ont entraîné une baisse du niveau de vie année après année.
La pauvreté est une réalité qui se vit au quotidien. En 2022, près de 62 % des Congolais, soit environ 60 millions de personnes, vivaient avec moins de 2,15 dollars par jour, selon la Banque mondiale.
Pourtant, le pays est doté de ressources naturelles exceptionnelles. La RDC détient entre autres, plus de la moitié des réserves mondiales de cobalt, un minerai essentiel à la fabrication des téléphones portables et des batteries de voiture, ainsi qu'un potentiel hydroélectrique unique en Afrique.
Plus grand pays d'Afrique subsaharienne, la République démocratique du Congo possède également l'une des plus grandes forêts tropicales au monde, représentant le deuxième plus grand puits de carbone au monde.
Mais le paradoxe est que ces richesses ne profitent pas à la population.
Avant un rendez vous électoral décisif pour l’avenir du pays, BBC Afrique a donné la parole à deux spécialistes congolais, Mathieu Takizala, entrepreneur et analyste économique et Uber Wangota, sociologue du développement, afin de comprendre les défis économiques et sociaux autour de cette élection présidentielle.
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C'est aussi, et c’est là le paradoxe, un territoire qualifié de scandale géologique qui est à la traîne sur le plan économique. Car les innombrables ressources de son sous-sol (cobalt, or, diamants, cuivre, diamants, uranium, coltan, étain...) n'ont pas contribué à améliorer les conditions de vie de la population.
La monnaie locale, le franc congolais, perd de sa valeur, se dépréciant par rapport au dollar.
Alors que l'informel occupe la majeure partie de l'économie, les entreprises formelles baignent dans un océan de difficultés et le taux de chômage avoisine les 80% de la population, d’après les chiffres officiels.
Conséquence de la guerre entre la Russie et l'Ukraine, les prix des denrées alimentaires ont flambé depuis un an et l'inflation a atteint 22% sur un an en octobre, selon le Fonds monétaire international (FMI).
Une situation qui s'explique, selon l'entrepreneur et analyste économique Mathieu Takizala, par une économie caractérisée par une grande dépendance aux importations.
"Quand vous avez un système économique extraverti où les entreprises n'ont pas de travail et que le travail est dans la rue, automatiquement le système économique va en pâtir. Je crois qu'il faut qu'on redynamise l'économie de la RDC parce qu'elle ne colle pas avec ce que devrait être l'économie du vingt et unième siècle, il faut travailler à avoir une économie moderne et des entreprises compétitives parce que nous sommes en économie de marché. Mais quand vous regardez aujourd'hui, trois quarts des PME congolaises manquent de travail, de ressources, de financement. Même l'encadrement fait défaut."
"Il y a un taux de chômage qui est énorme dans ce pays, c'est à dire que trois Congolais sur quatre sont au chômage. Donc le nombre des entreprises est en régression par rapport aux années soixante-dix et quatre-vingt. Je crois que le problème, c'est qu'on doit parler de l'entreprise parce que l'économie du vingt et unième siècle sans entreprise, ça n'existe pas. Et les candidats ne doivent pas penser que c'est uniquement avec leurs militants qu'ils vont refaire l'économie congolaise. Ils doivent maintenant chercher des voies et moyens à associer les chefs d'entreprise, les scientifiques, toutes les ressources humaines et les compétences pour relancer l'économie congolaise", suggère Mathieu Takizala.
« Aujourd'hui, il y a des secteurs comme par exemple celui des logements sociaux qui doivent être une priorité. Vous voyez que les trois quarts des Congolais se logent du côté de l'informel. L'informel, c'est quoi? C'est l'inflation permanente, c'est la spéculation, c’est l’absence de règles. Donc il faut que dans tous les secteurs économiques, que les différents acteurs prennent les mesures qu’il faut pour sauver l'économie et l'entreprise et oser les ruptures dans tous les secteurs de la vie nationale, si nous voulons quand même améliorer les choses dans ce pays ».
Selon l'analyste économique, l’activité privée est en chute libre, la grande partie des PME et des TPE qui emploient les 3/4 des congolais peinent à s'en sortir.
Plusieurs raisons expliquent cette situation, notamment une quasi absence d'industries, un faible taux de couverture en électricité, le manque d'infrastructures et la corruption.
Le régime du président Thisekedi avait pourtant fait de la lutte contre la corruption et l’amélioration de l’environnement des affaires, une des priorités de son gouvernement. Mais à l’heure du bilan, l'analyste trouve le tableau peu reluisant.
"Il y a eu des engagements qui ont été pris par le gouvernement de la RDC mais ce n’est toujours pas effectif. La plupart des Congolais n'ont pas un salaire à la fin du mois, donc je crois que la priorité maintenant c'est de mettre beaucoup de moyens pour réformer l'environnement autour de l'entreprise afin de stimuler la production locale et lutter contre le chômage des jeunes ", préconise M.Takizala.
Depuis plusieurs années, la RDC est confrontée à un défi de taille : comment faire pour que l'extraction des ressources puisse bénéficier aux communautés locales et à l’économie nationale.
" Il nous faudrait aller vers la diversification de l'économie. Chacun doit prendre ses responsabilités, les candidats doivent aussi proposer des stratégies économies claires, comment on va gérer les ressources et sauver les entreprises. Le management d'entreprise est différent du management politique. Ça veut dire qu'il faut mettre à la tête de ces entreprises des gens qui ont l’expertise et les compétences pour gérer des boîtes, parce que la plupart de nos entreprises sont en difficulté" poursuit l’expert en économie.
La République Démocratique du Congo dépend des exportations de ses ressources naturelles, en particulier le cuivre (60% des recettes d'exportation) et le cobalt (20%).
Les conséquences économiques persistantes de la guerre en Ukraine se font de plus en plus sentir, à travers la hausse des prix des produits alimentaires, l'hyperinflation, la fluctuation du taux de change et la cherté de la vie.
La persistante crise sécuritaire à l’Est du pays entraîne des défis sur le plan humanitaire, économique et social.
Uber Wangota, Sociologue du développement, ne s'attend toutefois pas à beaucoup de changement sur le plan social.
"Sociologiquement, il n'y a pas grand-chose à attendre. Nous sommes déjà dans une culture où pratiquement ce sont les plus forts qui essaient de dominer les plus faibles et que pratiquement il n'y aura pas de changement majeur au niveau de ceux qui auront la chance d'être élus. Ce sont les gens qui ont amassé beaucoup d'argent au niveau de la gouvernance du pays qui vont encore remettre cet argent, essayer d'amadouer la population, les électeurs et se retrouver encore une fois élus. Nous allons dans cette campagne électorale, mais nous voyons également que la faim ne fait que grimper et ça s'étend pratiquement au niveau de presque tous les ménages. Et aujourd'hui, le taux du dollar ne fait que monter, l'inflation est au zénith. Et finalement on se dit: nous allons en campagne. Mais pour quelle fin? Pour quelle finalité? Pour quel résultat? " se demande M.Wangota.
L'ampleur des violences dans l'est du pays et les difficultés d'accès dans certaines zones de la RDC font qu'il est difficile d'assurer la fourniture des services publics de base.
Le faible développement du secteur privé formel et le manque de ressources humaines qualifiées constituent également des limites pour les millions de jeunes diplômés en quête d’opportunités d’emploi. La réduction du chômage constitue donc un enjeu majeur.
Plusieurs initiatives sociales ont été lancées par le président sortant Félix Tshisekedi, avec pour objectif de soulager les souffrances des populations.
Parmi ces initiatives, figurent le programme de la gratuité de l’enseignement primaire et la gratuité des soins de santé pour les femmes qui accouchent dans les structures publiques.
Des programmes qui toutefois, n’ont pas toujours eu l’effet escompté sur toute l’étendue du territoire national.
Pour Uber Wangota, sociologue du développement, la priorité pour le futur gouvernement de la RDC est de renforcer la sécurité dans la partie est du pays et d'intensifier la construction d'infrastructures routières dans un pays enclavé.
" Selon moi, la priorité des priorités dans le contexte congolais, c'est pratiquement le chantier route. Parce que là où la route passe, le développement suit. Et, vous allez voir également que si et seulement si le gouvernement s'investit dans la remise en état de presque toutes les routes importantes du pays, ce qu'on appelle communément les routes nationales qui passeraient par tous les territoires, localement on ferait un effort de manière à relier les routes secondaires provinciales et les routes de desserte agricole à cette route principale bitumée, ce qui aurait des répercussions jusque au niveau de la sécurité qui va même s'améliorer " .