Prisonnier puissant: voici Yacou le Chinois, 'le détenu qui contrôlait toute une prison'

Yacou le Chinois traité comme un roi en prison

Wed, 19 Apr 2023 Source: Arol Ketch

L'écrivain et activiste politique camerounais Arol Ketch, a partagé ce mercredi 19 avril, l'histoire d'un prisonnier ivoirien très particulier. Voici pourquoi.



"C’est l’histoire d’un personnage fantasque. C’est l’histoire d’un prisonnier qui suscitait à la fois crainte et fascination. Le prisonnier le plus célèbre de la MACA (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan) en Côte d’Ivoire. Un véritable personnage de cinéma.

YACOU le chinois, n’était pas grand ou costaud ; rien à priori ne le disposait à devenir un véritable caïd ; et pourtant, YACOU le chinois a régné comme un empereur sur la MACA (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan) au point d’y instaurer un véritable gouvernement dont il était chef. En prison, il vivait comme un chef d’Etat. Il avait son gouvernement, sa garde personnelle, ses employés ; il contrôlait et organisait tout, il avait des smartphones derniers cris et n’hésitait pas à se produire en spectacle sur les réseaux sociaux depuis la prison.

C’est ainsi qu’on a vu pulluler sur les réseaux sociaux de nombreuses vidéos de ce personnage fantasque. Depuis la prison, on le voyait par exemple parader avec des liasses de billets de banque ou encore distribuer de l’argent aux prisonniers démunis. On le voyait aussi chicoter les détenus qui selon lui avaient enfreint certaines règles. C’était lui le boss de la prison. Il n’hésitait à célébrer ses anniversaires en prison et invitait même des artistes de renom pour l’occasion ; il distribuait alors des billets de banque à ceux-ci devant tout le monde (farotage). YACOU était très influent en prison ; il prenait aussi en charge les frais de santé des prisonniers démunis et organisait des évènements sportifs pour égayer les détenus.

Mais qui est donc ce personnage ?

De son vrai nom Yacouba Coulibaly, il a été surnommé « YACOU le Chinois » en raison de ses yeux légèrement bridés qui ressemblent à ceux d’un chinois. YACOU est brigand. Il est incarcéré pour la première fois alors qu’il est encore mineur. Il va y séjourner à plusieurs reprises.

En 2010, il est condamné et enfermé pour vol aggravé mais YACOU réussit à s’évader. Au plus fort de la crise postélectorale opposant Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, il s’engage aux côtés des forces loyales à Ouattara où il obtient même le grade caporal. Mais les vieilles habitudes ont la peau dure, YACOU le chinois multiplie les braquages à mains armées. En 2011, il est arrêté pour le braquage d’une banque et est condamné à 20 ans de prison.

En prison, YACOU devient le véritable chef ; c’est lui le boss de la MACA. Ses liens avec quelques chefs de guerre loyaux à Ouattara lui permettent d’avoir un statut d’intouchable. Il va même se murmurer qu’il avait pour mission en prison de surveiller et de mater les prisonniers politiques pro-Gbagbo. Sam l’africain, un prisonnier pro-Gbagbo qui l’a côtoyé en prison avait battu en brèche cette hypothèse.

Toujours est-il que YACOU le chinois faisait régner sa loi en prison ; il n’hésitait pas à liquider les prisonniers qui osaient s’opposer à lui.

YACOU le chinois était très proche du commandant WATTAO, un chef de guerre, fidèle du Président Ouattara. Il n’était pas rare de voir YACOU le chinois quitter ponctuellement la prison pour aller s’amuser en boite de nuit aux côtés de son ami WATTAO.

YACOU le chinois étendait son influence sur toute la prison. Il organisait et gérait tout. Il va mettre en place un trafic de drogues puissant au sein l’établissement pénitencier ; il multiplie les conquêtes féminines et réussit à les faire pénétrer dans le quartier des hommes alors qu’elles n’y ont pas accès légalement. Et parmi ses conquêtes, tenez-vous tranquilles, il y a plusieurs agents de l’administration carcéral qui sont prêtes à se battre pour être ses favorites.

YACOU le chinois avait de l’argent, il se pavanait toujours avec des liasses de billets de banque. Très élégant et propre, il arborait les vêtements à la mode et avait une préférence pour la couleur blanche. En prison, il avait tout ce qu’il voulait : smartphones, télévisions, pistolets etc. Il avait toute une cour à son service. Il avait une garde rapprochée pléthorique qui assurait sa sécurité. Il avait à son service des détenus qui faisaient la cuisine, la lessive et le ménage pour lui.

Il avait même fait peindre sur l’un des murs de la cour de la prison une peinture sur laquelle on pouvait lire : « Yacou la paix ». Le texte était encadré par deux colombes portant un rameau. Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, il apparaissait aux côtés des détenus pro-Gbagbo et s’érigeait dorénavant en homme de paix prêt à œuvrer pour la réconciliation en Côte d’ivoire. Il citait notamment Nelson Mandela et Houphouët Boigny comme étant ses modèles.

YACOU était surnommé El CAPO. C’était lui le capo. C’était lui qui faisait la pluie et le beau temps en prison. Il était intouchable. Il était seul dans sa cellule, un véritable luxe lorsqu’on sait que les autres détenus pouvaient être une quarantaine dans une cellule. Il pouvait aller partout, dans tous les bâtiments, toutes les cellules, toutes les cours, avec la complicité des gardes et des chefs de bâtiment officiels. Il était aussi surnommé « le général » par ses éléments qui faisaient le salut militaire lorsqu’il le voyait s’approcher.

Peu à peu, YACOU le chinois devenait gênant pour le régime ivoirien. Alors que la Côte d’ivoire dirigée par Alassane Ouattara envisageait implémenter une politique de reconstruction nationale et de pardon après la violente crise postélectorale qui a secoué le pays ; il était impératif de faire renter YACOU le chinois dans les rangs car il incarnait l’impunité et la Côte d’ivoire avait à cœur de montrer à la communauté internationale l’image d’un pays apaisé dans lequel régnait la justice. Le pouvoir décide donc de faire rentrer YACOU dans les rangs. En 2012, on décide de transférer YACOU dans une prison à Bouaké dans le Nord du pays. YACOU réussit à organiser une mutinerie à la MACA pour exiger son retour. La mutinerie va se solder par la mort d’un gardien de prison et YACOU signe son retour triomphal à la MACA.

La goutte d’eau qui fera déborder le vase c’est lorsque YACOU le chinois va diffuser sur les réseaux sociaux une vidéo dans laquelle sous des airs paternalistes, il distribue de l’argent à des prisonniers et est entouré d’une équipe portant des tee-shirts à son nom et à son effigie. Il va profiter d’un concert organisé par une ONG au sein de la prison pour se livrer en spectacle, fêter son anniversaire et distribuer des billets de banque aux artistes invités. Le régisseur de la prison en personne va prendre la parole pour exprimer son admiration pour YACOU, il va même mentionner que : « Tout le monde aime YACOU le chinois », invitant tous les autres prisonniers à faire comme YACOU.

Ce régisseur est immédiatement démis de ses fonctions et le nouveau régisseur nommé est décidé à en finir avec YACOU le chinois. Il propose à YACOU le chinois un transfert dans une autre prison mais ce dernier refuse ; c’est lui le CAPO de la MACA quand même.

Le 20 février 2016, une mutinerie éclate à la MACA. A l’issu d’une banale fouille, un détenu suspecté de vouloir faire entrer la drogue en prison est bastonné par les gardiens. En réalité c’était un prétexte pour créer des troubles dans l’optique de neutraliser YACOU.

Les autres prisonniers qui ont assisté à la scène décide de protester vigoureusement en lançant des projectiles sur les gardiens de prison. Les gardiens ripostent en ouvrant le feu sur les prisonniers. Un détenu est atteint. Le sang de YACOU le chinois ne fera qu’un tour. Il ne supportait pas qu’on s’en prenne à ses éléments. Il va sortir de son logis armé d’une Kalachnikov et d’une arme de poing pour rétablir la donne.

YACOU fut héroïque ce jour. Il va affronter tout seul les gardiens de prison. Barré d’amulettes YACOU se croyait invulnérable. Il va réussir à faire plier et battre en retraite les gardiens de prison. Mais cette fois-ci, YACOU a franchi le Rubicon ; il est allé très loin en utilisant sa kalachnikov contre les gardiens. Il faut l’éliminer. C’est le début d’une véritable chasse à l’homme à l’intérieur de la MACA : YACOU doit mourir !

Les éléments de YACOU décident de faire corps pour le protéger ; ils sont prêts à mourir pour lui. Un de ses éléments abat froidement un gardien de prison. Les gardiens décident alors de riposter lourdement. La police et la gendarmerie sont appelés à la rescousse. YACOU demande à ses éléments de le laisser agir car c’est lui qu’on souhaite éliminer. YACOU sort de sa cachette pour mener la bataille finale et reçoit une rafale de balles ; il s’écroule au sol mais est encore en vie, il croit en la puissance de ses amulettes. Ses hommes réussissent à le mettre à l’écart sur la cour principale pour essayer de le soigner. Trop tard !

YACOU doit mourir. Il est abattu d’une balle dans la tête par un gardien. Son cadavre est aussitôt humilié dans le but de désacraliser le mythe de l’invincibilité de l’homme. On enlève ses vêtements et son corps est exposé nu ; on peut voir ses partis intimes exhibés. Des photos de son corps nus sont alors diffusés un peu partout sur les réseaux sociaux. YACOU le chinois est mort. Il avait 45 ans.

Les véritables chiffres de cette mutinerie ont été cachées par les autorités ivoiriennes. Ce fut une véritable purge. Au moins une quinzaine de détenus et un gardien de prison ont péri. On va profiter de la mort de YACOU pour nettoyer la MACA. Des fouilles sont organisées par les forces de l’ordre, des armes, smartphones, liasses de billets, amulettes sont saisis. Les fidèles de YACOU seront séparés et transférés dans d’autres prisons pour taire en eux tout désir de vengeance.

Le 20 février 2016, lorsque la dépouille dénudée de YACOU a été exposée sur les réseaux sociaux ; certains ivoiriens vont pleurer à chaudes larmes et d’autres vont plutôt se réjouir de la mort du caïd. YACOU suscitait à la fois crainte et fascination, admiration et dégoût. Il était à la fois ange et démon. Il était capable d’être d’une gentillesse profonde mais aussi d’une cruauté indicible".

Source: Arol Ketch