Prisons du Cameroun : les aveux du ministres Laurent Esso

Le ministre était face aux députés

Wed, 29 Jun 2022 Source: Mutations N°5610

Face à la représentation nationale le 24 juin 2022, le ministre d’État, ministre de la Justice (Minjustice), Laurent Esso, a ex- posé les causes de la surpopulation carcérale au Cameroun. Le Garde des Sceaux répondait précisément aux questions orales du député Moustapha Saya Kaigama, élu Rdpc, circonscription du Mbam et Kim. « Au terme des visites des prisons centrales, il se dégage le constat selon lequel la grande majorité de la population carcérale est constituée de prévenus personnes en attente de jugement devant le tribunal de première instance), des détenus condamnés qui purgent une peine située entre trois mois et deux ans et des contraignables, c'est-à-dire des personnes incarcérées en vertu d'un mandat d'incarcération en exécution soit d'une amende, des dépens (au profit de l'État) et des dommages et intérêts au profit des victimes », développe le parlementaire. Pourtant, remarque-t-il, le Code pénal en son article 26-2 relatif à la mise en œuvre des peines alternatives, dispose clairement que « les modalités d'application des peines alternatives sont fixées par un texte particulier ». Sa question : « Pourquoi ne pas modifier le texte particulier fixant les modalités d'application des peines alternatives afin de désengorger nos centres pénitenciers ? »

L’élu ne s’arrête pas là et glisse une seconde préoccupation au représentant du gouvernement : « Pensez-vous qu'après plus d'une décennie d'application de ce Code, qu'il soit effectivement un gage de célérité pour la Justice ? » D’après lui, « les lenteurs judiciaires constituent l'une des causes de surpopulation carcérale, car dans toutes les prisons, les prévenus sont toujours plus nombreux que les condamnés. Ce qui veut dire que dans nos prisons nous avons plus de personnes qui attendent d'être jugées que de personnes qui purgent une peine ».

Pédagogue

En réponse, et sans toutefois contredire le député, Laurent Esso s’est voulu quelque peu pédagogue en la matière. En effet, « conformément à l’article 26-1 du Code pénal, seules les infractions passibles d’une peine inférieure à deux ans d’emprisonnement ou d’une peine d’amende peuvent faire l’objet d’une peine alternative. En réalité, les peines alternatives ne concernent pas les sanctions prononcées par les juges pour les délits qui, par le jeu des circonstances atténuantes ou d’une excuse atténuante, ont donné lieu à une peine d’emprisonnement inférieure à deux ans. Par ailleurs, les amendes et frais de justice prononcés à cette occasion, sont immédiatement exécutoires dès le rendu du jugement. Ils ne sont pas éligibles aux peines alternatives, car la note d’incarcération est délivrée par la juridiction de jugement séance tenante », précise le ministre. S’agissant des travaux relatifs à l’élaboration du texte particulier portant modalités d’application des peines alternatives, le Garde des Sceaux assure qu’ils « sont en cours de finalisation ». Dans les faits, ajoute le ministre, « il a été question ici d’obtenir des 10 procureurs généraux près les cours d’appel du Cameroun des éléments sociologiques spécifiques à chacune des régions pouvant être retenus comme peine alternative, notamment en ce qui concerne les travaux d’intérêt général. Il va de soi que ce qui peut être retenu comme travaux d’intérêt général dans une région peut ne pas être la même chose dans une autre région ».

Déficit de 2700 personnels

Si au plan légal on est d’accord, il se pose cependant un problème qu’on pourrait qualifier d’ordre matériel, en ceci qu’il découle du déficit de personnels. Au sens de Laurent Esso, c’est celui de « l’encadrement des personnes qui pourraient être condamnées à une peine alternative », cerne-t-il. Et d’ajouter que « l’administration pénitentiaire au Cameroun compte 4351 personnels pour une population carcérale de 32 003 pensionnaires. Ce qui donne un ratio d’environ 1000 détenus pour un gardien. Dans les grandes métropoles, ce ratio peut passer d’un détenu pour un gardien. Ce qui fait apparaître en l’état que l’administration pénitentiaire a déjà un déficit de 2700 personnels ».

Peint ainsi, ce tableau place le Cameroun bien loin des standards internationaux en la matière qui « recommandent trois détenus pour un gardien », souligne le membre du gouvernement. Mais ce n’est pas tout. « S’il faut s’arrimer aux normes internationales, le déficit est de près de 6 500 personnels », renchérit-il.

Pessimiste ou réaliste, toujours est-il que le Cameroun, pour le moment, n’a pas les moyens de se mettre à niveau, semble dire Laurent Esso. Car, « s’agissant des peines alternatives à l’emprisonnement, la mise en œuvre de cette mesure devrait s’accompagner au préalable d’un recrutement tant quantitatif que qualitatif en raison de ce qu’il faudrait donner à ces personnels une formation particulière. Jusqu’ici, nos personnels sont formés pour garder les prisons et non pour accompagner personnes condamnées à exécuter les taches en dehors de la prison. Je signale en passant à ce sujet que les derniers recrutements au sein de ce corps datent de 2017 », développe le ministre.

Source: Mutations N°5610