Après le récent coup d’Etat au Niger, des intellectuels africains ont publié une note encourageant la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à se réinventer. À ce jour, quatre des quinze pays membres de l’organisation.
La BBC s’est entretenue avec Djifa AGBEZOUKIN, docteur en droit public et sciences politiques, analyste au sein du département Afrique sub-saharienne de l'institut d'études de géopolitique appliquée (IEGA) sur les moyens de prévention et de réaction de la CEDEAO face aux coups d'État.
Quelles sont les principales raisons de la recrudescence des coup d’Etat ?
La principale raison donnée par les putschistes eux-mêmes c’est la dégradation de la situation sécuritaire dans les pays concernés : le Mali, la Guinée, le Burkina Faso et le Niger. Mais il est important de voir au-delà et chercher les causes profondes même de l’insécurité grandissante. À mon avis, et je pense que cet avis est partagé par bien d’autres analystes de la situation dans la sous-région, c’est la pauvreté qui est à la base de tout cela. Parce que les personnes qui deviennent finalement des terroristes et qui traumatisent les populations, ce ne sont pas des étrangers, ce sont des nationaux, des personnes qui se sentent abandonnés, laissés pour compte par le pouvoir politique.
Face à la misère, les gens sont capables de tout pour s’en sortir. Alors, si les coups d’Etat se justifient par la situation sécuritaire, cette dernière s’explique à son tour par la misère et la pauvreté, le chômage, spécialement chez les jeunes qui résulte finalement de la mauvaise gouvernance de nos État. Alors, les coups d'État ne sont que la manifestation d’un mal plus profond qu’est la mauvaise gouvernance, l’absence de responsabilité de la part des dirigeants.
Nous avons tendance à oublier quelque chose en Afrique, c’est que l’exercice du pouvoir politique va de pair avec la responsabilité envers la population et qui parle de responsabilité évoque également le devoir de rendre compte de ce qu’on fait et de ce qu’on n’a pas fait. Or, combien d’hommes politique se soucient réellement des populations quand ils arrivent au pouvoir ? C’est d’abord les intérêts personnels et partisans. Il faudrait changer la conception de la politique dans nos pays car, nombreux sont ceux qui rentrent en politique pour devenir riche et non pour servir l’intérêt général. Et malheureusement, c’est ce genre de politiciens qui dominent nos pays. Alors pour résumer, la recrudescence des coups d’Etat, si elle s’explique par la dégradation de la situation sécuritaire, c’est avant tout le chômage et la pauvreté créés par la mauvaise gouvernance qui en est la racine.
La CEDEAO a-t-elle une base légale pour conduire une intervention militaire afin de remettre un président déchu au pouvoir ?
La CEDEAO, en tant qu’organisation régionale interétatique, dûment constituée et avec un statut ratifié par l’ensemble des États membres a la légitimité de mener cette intervention. La base juridique principale reste le traité révisé de 1993 dont l’article 58, prévoit dans son alinéa F la possibilité de constitution d’une force régionale de maintien de la paix. Cette force, ECOMOG, a déjà été déployée en Sierra Leone en mars 1998 pour restaurer dans ses fonction le président Ahmad Tejan Kabbah qui avait été renversé par un coup d'État.
En plus du traité, il y a aussi le protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité qui a été signé le 10 décembre 1999 à Lomé. Ce protocole fait partie intégrante du traité de la CEDEAO et donc s’impose aux États membres. Il prévoit, dans ses objectifs, la constitution et le déploiement d'une force civile et militaire pour maintenir ou rétablir la paix dans la sous-région, chaque fois que nécessaire.
Cette option avait été récemment activée pour résoudre la crise post-électorale en Gambie pour obliger l'ancien président Yahya Jammeh qui avait refusé de céder le pouvoir à son successeur à l'issu des élections présidentielles de 2016. Même s'il n'y avait pas eu d'intervention, l'annonce de la mobilisation de cette force militaire régionale couplée à la pression internationale a fini par obliger Yahya Jammeh à quitter le pouvoir et céder la place au président élu Adama Barrow.
Aussi, l'accession au pouvoir par des militaires après avoir renversé un dirigeant démocratiquement élu constitue-t-elle une violation du Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité qui stipule que l'armée est apolitique et doit être soumise à l'autorité politique régulièrement établie.
Un coup d'État est une opération qui est caractérisée par le secret de sa préparation. Il est donc difficile pour une organisation régionale telle que la CEDEAO de prétendre prévenir les coups d'État sous l’aspect qu’on pourrait être tenté de croire en premier lieu, c’est-à-dire faire échouer un coup d'État. La CEDEAO ne dispose pas à proprement parler d’agence de renseignement qui pourrait permettre d’identifier les coups lorsqu’ils sont en préparation. Toutefois, la CEDEAO peut agir autrement. Comment ? en faisant en sorte de lutter contre les causes qu’on a cité précédemment, c’est-à-dire la pauvreté et le chômage des jeunes. Toutes les actions devraient aller dans le sens d’aider les pays à rehausser le niveau de vie de leur population en créant de l’emploi et ensuite en étant intransigeant vis-à-vis des gouvernements qui violent les constitutions de leurs pays ou qui persécutent leurs opposants. Ne rien dire quand un président change la constitution de son pays dans le seul but de pouvoir se représenter, c’est en quelque sorte semer les graines d’un potentiel coup d'État.. L’exemple de la Guinée est assez éloquent.