« Le lac n’est plus rose, il a perdu sa couleur. »
C’est le triste et désastreux constat que réalise Mor Gueye, président de l’association des artisans du lac Rose. « Toutes ces boutiques sont perdues », dit-il en pointant du doigt les échoppes envahies par les eaux.
Des boutiques en ruine, des portes décrochées, certaines qui tiennent à peine debout, tel est le décor d’une partie du village des artisans prise par les eaux du lac.
« C’est vraiment dur pour des pères de famille qui ont investi leur argent dans ce commerce et qui ont tout perdu aujourd’hui », lance Mor Gueye, dépité.
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Un lac pas comme les autres
Situé à 35 KM, de Dakar, le lac Retba communément appelé lac Rose est devenu célèbre dans le monde en raison de sa coloration.
Elle doit sa teinte rosée à un micro-organisme dénommé Dunaliella salina. Une micro-algue qui se développe dans les eaux très salées.
Le lac constitue une attraction pour les touristes. Plusieurs activités économiques ont fini par se développer autour du site devenant ainsi le poumon économique des villages environnants.
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Le lac se caractérise également par une forte densité en sel, 120 g/l à 340 g/l selon une étude réalisée par des scientifiques sénégalais alors que l’eau de mer peut aller jusqu’à 30g/l.
Avec l’urbanisation galopante de la région de Dakar, les nouvelles habitations ainsi que certains quartiers inondés de la banlieue ont redirigé leurs eaux de pluies dans un canal pour le déverser dans le lac. Ce qui a eu pour conséquence une augmentation sans précédent du niveau de l'eau.
« Cette année dans cette zone nous avons 358 mm de pluie en cumul sur l’hivernage alors que la moyenne sur 1991-2020 était de 396 mm », affirme le ministre sénégalais de l’Assainissement, Serigne Mbaye Thiam.
La profondeur du lac, qui était de 3 mètres a quasiment doublé, passant à 6 mètres.
Attraction touristique en péril
Assis à l’ombre d’un des abris qui accueillent les touristes, Babacar se tourne les pouces sur les rives du lac. Ses yeux roulent dans tous les sens à la recherche d’un client à embarquer dans ses pirogues désespérément vides.
Babacar qui se surnomme No stress, s’inquiète de la chute du nombre de touristes qui fréquentent le lac mais craint par-dessus tout, la prochaine saison des pluies. « On ne peut pas abandonner un site aussi important. Nous devons trouver une solution et il y a assurément une solution », affirme-t-il.
A quelques mètres de lui, un plateau rempli de quelques sachets de sel est exposé. « C’est mon dernier stock », dit-il en me montrant le plateau. Ce sel, il l’achetait auprès des extracteurs qui le retirait du fond du lac. Ces hommes au torse nu que l’on trouvait souvent dans le lac, le raclant pour en extraire le sel qu’ils transportaient à bord de leur pirogue.
Babacar revendait le sel soit aux commerçants, soit aux touristes qui viennent visiter le lac. « Ces petits sachets de sel, je les revends aux touristes qui les ramènent chez eux comme souvenir », confie-t-il.
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Aujourd’hui, les touristes se font rare. Neus Borras, une espagnole venue visiter le « fameux lac rose », fait partie des quelques touristes qui continuent de fréquenter le site. Elle avoue être déçue par ce qu’elle a vu.
« Je pensais que le lac serait rose, La vérité est que ça me fait un peu mal parce que ce que j’ai vu ici est très différent des photos du lac rose sur Internet », affirme madame Borras.
Appareil photo autour du cou, elle prend néanmoins quelques images du cadre qu’elle trouve quand-même beau.
« Je vais continuer à faire la publicité du site même si le lac n’est plus rose. Il y a d’autres choses à visiter et j’espère que le lac va retrouver sa couleur », affirme-t-elle, petit sourire au coin.
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A quelques mètres de Babacar No stress, quelques travailleurs donnent des coups de pioche et de pelle à un monticule de sel. C’est un des derniers monticules de sel à être extrait du lac.
En effet, l’une des conséquences de l’augmentation du niveau du lac, est l’impossibilité d’en exploiter le sel. La forte quantité d'eau de pluie a fini par dilué l'eau salée du lac Rose.
« On a même constaté qu'il y a des poissons qui vivent dans le lac. A partir du moment où il y a des poissons dans le lac, n'est plus aussi salé qu’avant », informe Ibrahima Mbaye, président d’une association environnementale qui lutte pour la protection du lac rose et son environnement.
Avant la montée des eaux, le lac rose n’attirait pas que des touristes, mais aussi des travailleurs venus des pays voisins.
Selon Maguette Ndiour, président de la coopérative des exploitants de sel du Lac Rose, « les dernières estimations du personnel tournent autour de 3 000 exploitants. »
Ce chiffre ne prend en compte selon lui que « les gens qui vont chaque matin dans le lac pour extraire du sel. Il y a d'autres acteurs autour : les fournisseurs, les manœuvres, les gens qui s'occupent de la prestation, de l'iodation du sel, les camionneurs et les gens qui vivent indirectement de la filière », tient-il à préciser.
Aujourd’hui sur ces milliers de travailleurs, seul reste une centaine selon M. Ndiour. Ils sont chargés de mettre en sac les derniers monticules de sel.
« Présentement, presque tout le monde est au chômage », se désole Maguette Ndiour.
Le lac Retba pourrait-il retrouver sa couleur rose ?
Oui, selon Cheikh Ibrahima Youm, Enseignant-Chercheur en Sédimentologie au Département de Géologie de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar.
« Pour que la couleur rose du lac persiste dans le temps, il faut que le lac soit hypersalé, hyper-concentré, qu’il ne soit pas dilué », affirme le scientifique.
Selon lui, il faut du vent pour que les organismes responsables de la coloration rose se déplacent. « Il faut des rayons lumineux pour que ces organismes puissent refléter ces rayons » , affirment M. Youm.
Quelles solutions pour sauver le lac ?
Un comité régional de développement (CRD) a été organisé par l’Etat du Sénégal pour la préservation de l’écosystème et de l’activité économique du lac Rose. Si le ministre de l’Environnement, Alioune Ndoye a reconnu qu’il faut des actions urgentes, les acteurs comme Maguette Ndiour continuent de s’impatienter devant l’urgence de la situation.
Selon le ministre de l’Assainissement qui a également assisté à cette rencontre, il faut « limiter les ruissellements d’eau, soit en favorisant les infiltrations, soit en les délestant vers d’autres zones. »
« En même temps, préserver aussi les zones de Kounoune et de Bambilor [villages situés à quelques kilomètres du lac rose] qui ont besoin d’avoir leurs eaux évacuées », a-t-il renchéri.
Ibrahima Mbaye suggère pour sa part « d'aménager des bassins de rétention, que le lac rose ne soit pas considéré comme tel. » Pour lui, ces bassins de rétention vont permettre de recueillir les eaux de pluies des habitations environnantes puis de mettre cette eau à disposition des agriculteurs. « Nous sommes dans une zone où il y a beaucoup de culture maraichère », explique-t-il.
Maguette estime lui que pour sauver l’activité d’exploitation du sel, il n'y a qu’une seule solution : diminuer le niveau de l’eau du lac. D’autant plus que selon lui, la qualité du sol ne permet pas de faire de la saliculture.
En attendant les actions concrètes du gouvernement sénégalais, les artisans et autres exploitants de sel demeurent dans l’incertitude.