Une plainte a été déposée devant le Conseil constitutionnel camerounais contre l’État pour l’obliger à rétablir l’Internet dans deux régions anglophones du pays.
Le Cameroun est devenu le premier État à être traîné devant les tribunaux pour une coupure d’Internet. Une plainte a été déposée devant le Conseil constitutionnel camerounais, le 15 janvier, pour forcer le gouvernement à rétablir le Net dans deux régions anglophones, dans le nord-ouest et le sud-ouest du pays. Elles sont coupées du monde numérique ou bénéficient d’un accès plus que limité depuis début octobre 2017.Une précédente coupure avait déjà eu lieu de janvier à avril 2017.
La procédure, intentée par le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale, rejoint par les deux ONG Access Now et Internet sans frontières, vise à faire condamner le pays pour atteinte, entre autres, à la liberté d’expression ou encore au libre accès à l’information.
Mais pour les plaignants, les dommages causés par 235 jours sans Internet ou presque se comptent aussi en millions de dollars. Les régions anglophones privées de réseau abritent, notamment, la Silicon Mountain camerounaise, autour de la ville de Buéa. Internet sans frontières évalue les pertes pour l’économie camerounaise à 39 millions de dollars.
Climat social tendu
La coupure de l'Internet affecte aussi la situation sanitaire. “Nous avons recueilli des témoignages d’habitants qui, privés d’Internet, n’ont pas pu contacter leur médecin, alors qu’ils avaient besoin de soins, et aussi des médecins qui avaient pris l’habitude de s'entraider sur WhatsApp et ne peuvent plus le faire”, souligne Melody Patry, directrice de plaidoyer pour Access Now, contactée par France 24.
Le trouble numérique des régions du sud-ouest et du nord-ouest du Cameroun remonte à janvier 2017, lorsque le président Paul Biya avait imposé une coupure de trois mois en réponse aux manifestations dénonçant les discriminations dont se plaignent les anglophones. Mais le rétablissement, en avril 2017, n’avait été que de courte durée. Dès l’automne, et alors que la crise s’intensifiait, le pouvoir imposait un nouveau blackout numérique qui dure toujours.
C’est dans ce climat social tendu, et alors que Paul Biya se présente à sa propre succession lors de l’élection présidentielle d’octobre 2018, que la plainte a été déposée. Melody Patry espère que le gouvernement camerounais sera condamné non seulement pour le bien de la minorité anglophone mais aussi pour “créer un précédent”.
Elle veut croire que ce n’est qu’une première pierre à un édifice judiciaire encore à construire contre les États qui utilisent les coupures d'Internet comme des armes politiques.
Il y a de quoi faire : d’après le Centre américain de recherche sur l’innovation technologique du Brookings Institution, il y a eu 81 coupures d’Internet dans 19 pays entre juillet 2015 et juin 2016.