Les tensions ont ressurgi entre les deux pays à la suite de nouveaux affrontements entre les rebelles du Mouvement du 23 Mars, M23, et l'armée congolaise qui ont déplacé des dizaines de milliers de personnes à l'est du Congo.
La RDC a suspendu les vols de la compagnie aérienne rwandaise sur son territoire et détenu deux soldats rwandais, prétendument capturés au front aux côtés des rebelles du M23 ; une version que le Rwanda nie, évoquant plutôt un kidnapping de ses officiers. La RDC ne les a libérés qu'après la médiation du président angolais.
Des pourparlers entre les dirigeants des deux pays sont désormais attendus, toujours sous médiation angolaise.
Visiblement, ce dernier pic de tension est dû aux allégations selon lesquelles le Rwanda soutiendrait les rebelles du M23. Dans un communiqué, l'armée congolaise accuse Kigali d'avoir déployé 500 soldats en appui au M23. Kigali rejette ces allégations de soutien au mouvement rebelle.
Mais c'est loin d'être le début de l'histoire.
Qu'est-ce qui se cache derrière ces tensions ? Nous vous expliquons en six points.
1. Le découpage des frontières coloniales
Avant la colonisation, la sous-région était gérée par des rois.
L'étendue du royaume était déterminée de deux manières : par l'ordre d'arrivée d'un peuple sur les lieux et par sa capacité à conquérir de nouveaux territoires.
''Les populations se déplaçaient à travers cet espace et s'installaient où elles trouvaient du pâturage pour le bétail ou des terres à cultiver'', explique le professeur Jean Kambayi Bwatshia, enseignant d'histoire à l'Université Pédagogique Nationale de Kinshasa.
Lors de la conférence de Berlin en 1885, le découpage des frontières a modifié la configuration de la région.
''Pour décider des frontières entre les pays, il fallait se baser sur des limites naturelles, faciles à détecter'', explique le Dr. Eric Ndushabandi, chercheur au Centre de Recherche et de Dialogue pour la Paix basé à Kigali.
''Dans ce cas précis, il fallait donc repousser les limites de ce qu'était le royaume du Rwanda vers les volcans, les montagnes, les lacs et cours d'eaux'', ajoute-il.
D'un coup, des familles se sont retrouvées séparées des deux côtés de la frontière tout en gardant leurs langues, leurs cultures et leurs terres.
''C'est ainsi que certains seront appelés zaïrois rwandophones, parce qu'ils parlent le Kinyarwanda''; explique Eric Ndushabandi.
La gestion du pouvoir local par les colons a contribué aux tensions entre les peuples majoritaires, les Hutus, et les Tutsis, qui étaient minoritaires.
Le Professeur Bwatshia argumente que ''les problèmes de cet espace géographique viennent de l'inimitié, du besoin de vengeance et de la haine entourant les luttes sanglantes pour le pouvoir.''
Il illustre ses propos par les violences ethniques de 1959 à 1961 qui ont permis à la majorité Hutu de prendre le pouvoir et forcé des membres de la minorité Tutsi à se réfugier dans des pays voisins.
Ces conflits du passé ont donné lieux à des préjugés qui circulent encore aujourd'hui entre communautés locales, prêtant à tel ou tel autre camp des intentions d'envahir l'espace et les richesses de l'autre, explique un rapport de l'ONG internationale Interpeace sur la manipulation des identités dans la région des Grands Lacs.
Le rapport a été publié en octobre 2013. Il pointe aussi la manipulation de ces stéréotypes par des politiciens, créant ainsi un conflit ethno-politique.
Ces préjugés déforment la perception de l'autre et renforcent la peur de son voisin. Ceci crée une certaine méfiance entre les populations.
2. La question des ''congolais rwandophones''
On appelle ''congolais rwandophones'' les populations d'expression rwandaise que les frontières coloniales ont placées du côté de l'Etat Indépendant du Congo en 1885.
Elles ont acquis la nationalité congolaise à l'accession du pays à l'indépendance en 1960.
Douze ans plus tard, le président Mobutu Sese Seko signe un décret de naturalisation collective de tous les rwandais vivant au Zaïre.
Mais cette mesure sera abrogée en 1981, car contestée par les populations locales.
''Sous le président Mobutu, ces rwandophones ont bénéficié de politiques d'inclusion et de citoyenneté au Congo'', rappelle le Dr. Eric Ndushabandi avant de renchérir : ''Ils étudiaient, vivaient sur leurs terres et jouissaient de tous les droits.''
Cependant, les tensions liées à la discrimination et à l'exclusion des groupes au Rwanda ne tardent pas à s'exporter sur le territoire congolais.
Le Congo s'est ainsi retrouvé à héberger des réfugiés Tutsi qui avaient fuient les violences ethniques de la révolution rwandaise en 1959, les civils rwandais qui avaient fui le génocide de 1994 et des militaires Hutu qui fuyaient l'avancée des troupes Tutsi du Front Patriotique Rwandais, FPR.
''L'incapacité des autorités congolaises à séparer les réfugiés civils des militaires et à gérer cette crise a créé une situation complexe dont les conséquences se ressentent jusqu'à nos jours'', explique Eric Ndushabandi.
La ''congolité'' ou l'identité congolaise des ''communautés rwandophones'' est souvent remise en question par d'autres communautés.
Cette constante remise en question a été à l'origine de plusieurs conflits armés dans l'Est de la RDC.
''Les rwandais, plus particulièrement les Tutsi, n'ont jamais été accepté ici'', reconnait le Professeur Jean Kambayi Bwatshia. Selon lui, c'est plutôt un problème d'antagonisme Hutu-Tutsi qui doit être résolu au Rwanda et non au Congo.
''Tant qu'on aura pas résolu ce problème, les congolais réagiront toujours devant la présence Tutsi comme devant une menace'', ajoute-il.
Des milices qui prétendent défendre les intérêts des différentes parties s'affrontent régulièrement, causant des morts civils et des déplacements forcés.
La lutte contre la discrimination et la persécution des rwandophones Tutsi congolais figurait dans le cahier de charges des rebellions comme l'AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) qui avait renversé le Général Mobutu, le CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple) et aujourd'hui le M23.
En RDC, ces groupes sont perçu comme le bras armé du pouvoir de Kigali pour garder une influence sur les affaires internes du Congo, surtout sur la partie Est.
Le Rwanda a plusieurs fois nié tout lien avec ces groupes armés, sauf pour le cas de l'AFDL, dirigée à l'époque par Laurent Désiré Kabila.
3. La présence des FDLR au Congo, que le Rwanda considère comme une menace
Le groupe rebelle Forces Démocratiques de Libération du Rwanda, FDLR en sigle, a été créé au début des années 2000 par des anciens militaires du régime Hutu rwandais de Juvénal Habyarimana.
Vaincus militairement par les troupes du Front Patriotique Rwandais, dirigés par l'actuel président rwandais Paul Kagame, des soldats de l'armée rwandaise se sont réfugiés à l'Est de la RDC en 1994.
Les FDLR sont accusés d'avoir contribué à la conception et à l'exécution du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda la même année, peu avant leur débâcle.
L'ONU et des organisations de défense des droits humains les accusent également d'avoir mené plusieurs attaques contre des civils congolais en provinces du Nord et Sud Kivu ces dernières décennies.
Selon le Groupe d'Etude sur le Congo, c'est le plus grand groupe armé actif en RDC du point de vu nombre des combattants et de la superficie contrôlée. Des chercheurs estiment les combattants FDLR entre 1 000 et 2 500.
Même si les FDLR n'ont pas mené d'attaque majeure contre le Rwanda depuis 2001, celui-ci les considère toujours comme une menace pour sa sécurité.
Malgré des opérations militaires de traque visant ce groupe, il a réussi à se morfondre dans les forêts de la zone sous son contrôle et assurer ainsi sa survie.
Plusieurs de ses membres ont adhéré au processus de démobilisation et de réintégration social dans leur pays d'origine, le Rwanda. D'autres, disent craindre des représailles en raison de leur opinion politique ou une chasse aux sorcières à cause de leur passé.
Le Rwanda accuse souvent l'armée congolaise de collaborer avec le groupe Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) dans des opérations militaires.
Les autorités de Kinshasa rejettent catégoriquement ces accusations.
Le porte-parole des FDLR n'était pas immédiatement disponible pour faire des commentaires.
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4. L'implication présumée de ressortissants rwandais dans le Mouvement du 23 Mars (M23)
Pour comprendre le M23, il faut remonter au CNDP, le Congrès National pour la Défense du Peuple.
Entre 2006 et 2009, ce groupe armé avait réussi à déloger l'armée congolaise de plusieurs agglomérations de la province du Nord Kivu.
Le 23 Mars 2009, sous la facilitation internationale, le gouvernement congolais et le CNDP signent un accord qui prévoit, entre autres, le retour des réfugiés congolais vivant dans les pays voisins et la lutte contre la xénophobie dont sont victimes les ''congolais rwandophones.''
Mais en avril 2012, des anciens combattants du CNDP intégrés dans l'armée congolaise se mutinent et créent le M23.
Leur objectif : réclamer l'application des accords du 23 Mars 2009.
A son apogée en 2013, le groupe prendra le contrôle de la ville de Goma, capitale du Nord Kivu. Mais il sera défait militairement un an après sa création.
Ses combattants se sont réfugiés au Rwanda et en Ouganda, ou ils ont été démobilisés dans des camps de réfugiés par les forces de l'ordre de ces pays respectifs.
Sous pression de l'ONU, le gouvernement congolais a signé un accord avec les représentants du M23 en décembre 2013, à Nairobi, au Kenya.
Depuis, le gouvernement congolais et les rebelles n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur les termes de rapatriement des combattants cantonnés au Rwanda et en Ouganda.
Ces dernières années, le M23 a refait surface dans son ancien espace.
Malgré son avancée jusqu'à une vingtaine de kilomètres de la ville de Goma, le groupe rebelle a été repoussé par l'armée congolaise hors des agglomérations qu'il contrôlait.
Pour la première fois, le gouvernement congolais a classé le M23 comme mouvement terroriste.
Cependant, le Secrétaire General de l'ONU, Antonio Guterres a réitéré son appel pour que la RDC accepte de nouvelles négociations avec le groupe rebelle.
Selon Francois Mwamba, ancien responsable du comité congolais de suivi de l'accord-cadre d'Addis Abeba, 70% de combattants M23 étaient des citoyens rwandais.
De son coté, Kigali insiste que la rébellion est une affaire interne au Congo, avec des congolais qui ont des demandes à faire à leur gouvernement.
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5. La fragilité ou l'absence de l'autorité de l'Etat à l'Est du Congo
Avec une superficie de 2 345 000 km2, presque la taille de l'Europe occidentale, la RDC est le plus grand pays d'Afrique Sub-saharienne.
Les institutions nationales, les instances de prise de décision, sont basées à Kinshasa, à plus de 2 000 kilomètres de la partie Est, en proie à l'insécurité.
Il existe dans cette région des vastes étendues où il est difficile de trouver un représentant de l'Etat.
Les groupes armés profitent souvent de cette fragilité de l'autorité de l'Etat dans ces zones pour se substituer au gouvernement et imposer leur lois aux habitants.
Ce vide étatique dans certaines parties du pays va de pair avec la porosité des frontières.
La facilité de traverser la frontière entre la RDC et certains de ses voisins sans aucune forme de contrôle facilite le mouvement d'individus et de ressources, parfois vers des acteurs armés non étatiques.
Des organisations locales, dans l'Est de la RDC, alertent souvent sur une prétendue présence irrégulière des troupes rwandaises sur le territoire congolais. Le Rwanda a toujours rejeté ces accusations.
En juin 2014, les Forces armées de la RDC et les Forces de Défense du Rwanda avaient échangé des tirs qui se sont soldés par la mort de cinq soldats congolais.
Des habitants d'un village rwandais avaient accusé des militaires congolais d'avoir traversé la frontière pour voler des vaches.
Lambert Mende, porte-parole du gouvernement congolais à l'époque, n'avait ni confirmé ni réfuté cette hypothèse. Il parlait plutôt d'actes de provocation de l'armée rwandaise.
Ces genres d'incidents sont fréquents dans la zone frontalière. Les pays de la sous-région ont mis en place un mécanisme régional conjoint de vérification qui a pour charge d'établir les faits lors d'incidents transfrontaliers.
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6. L'exploitation et le trafic illégal de minerais
La RDC est l'un des pays les plus riches du monde en sol et sous-sol.
Depuis des années, les rapports du Groupe d'Experts de l'ONU dénoncent le trafic illégal de ressources du Congo vers des pays voisins, notamment le Rwanda et l'Ouganda.
A titre d'exemple, dans son rapport de mi-parcours daté de Décembre 2020, le groupe d'experts de l'ONU a indiqué que des réseaux criminels ont été impliqués dans le trafic de l'étain, du coltan et tungstène provenant de sites miniers sous occupation de groupes armés.
Le coltan a été le plus confisqué des trois minéraux à la frontière entre la République démocratique du Congo et le Rwanda entre janvier et septembre 2020, selon le groupe d'experts de l'ONU.
En juin 2021, les gouvernements congolais et rwandais ont signé un accord de complémentarité de la chaine d'exploitation de l'or.
Cela veut dire que l'or exploité dans l'Est de la RDC pourra être raffinée au Rwanda suivant un circuit officiel. Il s'agit pour les deux pays de couper aux groupes armés l'une de leurs sources de financement.
Avant cela, en mi-2010, le congrès américain avait passé le Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act exigeant entre autres aux grandes entreprises de technologie basées aux USA de déclarer l'origine de leurs minerais.
L'idée était de mettre en place un système de traçabilité pour s'assurer que ces entreprises n'achètent pas de minerais qui financent l'activisme des groupes armés, aussi appelées les minerais de sang.
Dans son tout dernier rapport publié en avril 2022, l'ONG Global Witness rapporte que certains minerais en provenance des mines non certifiées ont été introduits dans la chaine d'approvisionnement pour être vendues aux grandes entreprises de technologie.
Des citoyens congolais et des chercheurs soupçonnent le Rwanda d'encourager l'instabilité dans cette zone géographique pour affaiblir la capacité du gouvernement congolais à y contrôler le trafic des ressources naturelles (minerais, faune et flore).
Le Rwanda a toujours rejeté ces accusations et réaffirmé son engagement aux mécanismes régionaux de lutte contre l'exploitation illégale des ressources naturelles.