Entre frustration électorale et positionnements stratégiques, l'opposition se fragmente
Après la proclamation de la victoire de Paul Biya le 27 octobre, l'opposition camerounaise se divise. Entre ceux qui félicitent le président sortant, ceux qui soutiennent Issa Tchiroma Bakary et ceux qui choisissent le silence prudent, les positionnements révèlent des stratégies politiques à long terme et des calculs électoraux pour 2026.
Révélation Jeune Afrique : deux candidats de l'opposition ont choisi de féliciter Paul Biya malgré leurs scores décevants, trahissant ainsi une stratégie de survie politique plutôt qu'une conviction démocratique.
Cabral Libii, le candidat du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), est le premier à avoir franchi le pas dès le lundi 28 octobre. Celui qui rêvait d'incarner « une opposition jeune et décomplexée » n'a pourtant convaincu que 3,45 % des votants. Loin de contester un scrutin entaché d'irrégularités, il a choisi de féliciter Paul Biya pour son huitième mandat.
Denis Émilien Atangana, du Front des démocrates camerounais (FDC), a adopté la même posture en adressant ses « vives et chaleureuses félicitations » au président sortant. Un ralliement qui interroge sur les motivations réelles de ces opposants autoproclamés.
Ces choix assumés traduisent une volonté de préserver des canaux de dialogue avec le pouvoir en place, en vue notamment des élections législatives et municipales prévues en 2026.
Selon les informations exclusives de Jeune Afrique, plusieurs figures de l'opposition ont pris des positions contraires à celles de leurs formations politiques, créant des fractures internes inédites.
Akere Muna, avocat de renom et initialement candidat sous la bannière du parti Univers, a été le premier à se positionner en faveur d'Issa Tchiroma Bakary, avant même la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel. Après s'être désisté avant le scrutin pour soutenir Bello Bouba Maïgari, il a changé de camp le 14 octobre lorsque Issa Tchiroma Bakary s'est autoproclamé vainqueur sur la base de son propre décompte.
Jeune Afrique révèle que cette prise de position ne reflète absolument pas celle du parti Univers : son président, Nkou Mvondo, a refusé catégoriquement d'apporter son soutien à la revendication du chef du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC).
Quelques jours plus tard, un autre anglophone, Ateki Seta Caxton, figure influente de la société civile, a également reconnu la victoire d'Issa Tchiroma Bakary. Comme Akere Muna, il avait soutenu Bello Bouba Maïgari pendant la campagne. Et comme lui, il a changé de position contre l'avis de sa formation politique d'origine, le Parti de l'alliance libérale (PAL), qui a officiellement félicité Paul Biya.
Ces dissidences révèlent des clivages profonds au sein de l'opposition camerounaise, où les positionnements individuels priment désormais sur la discipline partisane.
Jeune Afrique a identifié une troisième catégorie d'opposants qui refusent de choisir entre Paul Biya et Issa Tchiroma Bakary, privilégiant une posture d'entre-deux qui mêle frustration électorale et prudence politique.
Joshua Osih, candidat du Social Democratic Front (SDF) crédité de seulement 1,21 % des voix, a publié dès le 27 octobre un communiqué savamment calibré. Plutôt que de saluer la victoire de Paul Biya, il s'est contenté de « reconnaître solennellement que la volonté des électeurs camerounais n'a pas favorisé [sa] candidature ».
Dans une formule révélatrice, il poursuit : « Les résultats tels que proclamés sont bien éloignés de [nos] attentes, mais en véritables démocrates, nous les acceptons, même lorsque ce choix porte la forte odeur de la privation de droits et de la fraude. » Pas un mot en revanche pour Issa Tchiroma Bakary, dont il ne reconnaît pas la revendication.
Serge Espoir Matomba, candidat du Peuple uni pour la rénovation sociale (Purs), a opté pour une stratégie similaire. Selon les informations de Jeune Afrique, un communiqué rédigé à l'issue d'une réunion de son bureau politique regrette que les Camerounais « n'aient pas consenti à l'offre politique proposée par le Purs et [aient fait] le choix de la continuité du système néocolonial ».
Révélateur de ses ambitions pour l'avenir, Serge Espoir Matomba appelle d'ores et déjà ses concitoyens à « se mobiliser pour les élections législatives et municipales de 2026 ». Un positionnement qui trahit une stratégie de préservation de son capital politique en vue des prochaines échéances électorales.
Jeune Afrique révèle que le parcours de Tomaïno Ndam Njoya illustre parfaitement les hésitations de l'opposition camerounaise. Après avoir envisagé de soutenir Bello Bouba Maïgari, elle s'est finalement décidée à se présenter elle-même et n'a remporté que 1,66 % des suffrages.
Contrairement aux dissidents Akere Muna et Ateki Seta Caxton, elle a attendu la proclamation officielle des résultats par le Conseil constitutionnel avant de contester la victoire de Paul Biya et d'apporter son soutien à Issa Tchiroma Bakary. Une prudence qui témoigne d'une approche plus institutionnelle, mais qui arrive peut-être trop tard pour peser sur le rapport de force.
Face à cette fragmentation, la question se pose : ces soutiens suffiront-ils à donner du poids à la revendication d'Issa Tchiroma Bakary ? L'analyse de Jeune Afrique suggère que c'est peu probable.
Les trois soutiens explicites (Akere Muna, Ateki Seta Caxton et Tomaïno Ndam Njoya) ne représentent qu'une fraction minime de l'opposition. Plus problématique encore : deux d'entre eux agissent contre l'avis de leurs propres partis, ce qui affaiblit considérablement leur légitimité politique.
À l'inverse, les ralliements à Paul Biya et les positionnements ambigus de la majorité des candidats opposants isolent davantage le chef du FSNC, reclus dans sa résidence de Garoua depuis le 10 octobre.
Cette bataille des soutiens, qui double le bras de fer entre Paul Biya et Issa Tchiroma Bakary, pourrait s'avérer décisive dans la séquence politique qui s'est ouverte au Cameroun. Pour l'instant, l'avantage semble nettement du côté du président sortant.