Le passage décrit dans le livre "AU CAMEROUN DE PAUL BIYA" par Fanny Pigeaud met en évidence le recours à la force armée par le régime de Paul Biya pour maintenir son contrôle sur le peuple camerounais et étouffer toute manifestation ou opposition.
Le régime de Paul Biya, en raison de son manque de légitimité, s'appuie en dernier ressort sur les forces de sécurité, notamment la police et l'armée, pour contrôler la population. Ces forces sont utilisées de manière violente pour réprimer toute forme de manifestation qui n'émane pas du pouvoir. Peu importe la raison de la mobilisation, les forces de sécurité répriment violemment à l'aide de matraques, canons à eau et effectuent des arrestations.
Ce recours à la force armée s'est manifesté lors des élections locales et législatives de 1996 et 1997, lorsque de nombreux militants de l'opposition ont été arrêtés, et des raids nocturnes ont été effectués pour créer un climat de crainte et d'intimidation avant l'annonce des résultats. Les années suivantes, des manifestations pacifiques pour dénoncer des problèmes tels que les détournements de fonds publics, les droits des travailleurs ou les besoins du monde rural ont également été violemment réprimées.
La répression par les forces de sécurité est parfois meurtrière, causant la mort de manifestants et de civils innocents. Des unités d'élite telles que le "Commandement opérationnel" (CO) et le "Bataillon d'intervention rapide" (BIR) sont impliquées dans des exactions, des arrestations arbitraires et des exécutions extrajudiciaires, bénéficiant souvent d'une impunité quasi totale.
En outre, le régime de Paul Biya surveille de près toute personne susceptible de troubler ses plans, en infiltrant les milieux politiques, universitaires et sociaux, alimentant ainsi la méfiance généralisée dans la société.
Ce résumé met en lumière l'utilisation répressive de l'armée et de la police par le régime de Paul Biya pour étouffer toute opposition et dissidence, laissant peu de place à la liberté d'expression et d'opinion au Cameroun.
Le recours à la force armée
En dernier ressort, le régime compte toujours sur les forces de sécurité pour compenser son manque de légitimité et assurer son contrôle sur les Camerounais. Police et armée 25 sont utilisées pour stopper, souvent violemment, toute tentative de manifestation n’émanant pas du pouvoir: quel que soit le motif de la mobilisation, elles répriment à coups de matraque, de canons à eau et procèdent à des arrestations. Au moment des élections locales et législatives de 1996 et 1997, de nombreux militants de l’opposition ont été ainsi arrêtés. En 1997, Amnesty International relevait des « raids nocturnes » effectués par les forces de sécurité dans plusieurs quartiers de Douala, au cours desquels « plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées et détenues pendant plusieurs heures avant d’être relâchées sans inculpation. » L’ONG ajoutait: « Il semble que les forces de sécurité se soient employées à créer délibérément un climat de crainte et d’intimidation en vue de décourager toute velléité de manifestation pendant la période précédant l’annonce des résultats des élections (très disputées, ndlr), le 6 juin 1997 ». Dix ans plus tard, rien n’avait changé. En 2008, invoquant des troubles à l’ordre public, la police a réprimé un rassemblement pacifique de membres de l’ONG Acdic, qui dénonçaient des détournements de fonds publics par les fonctionnaires du ministère de l’Agriculture. La réunion de l’organisation se tenait pourtant dans et devant son siège. Deux personnes ont été blessées, dix autres ont été arrêtées. En 2009, la police a chassé un groupe d’ex-employés des sociétés d’État liquidées ou restructurées, venus réclamer au ministère des Finances le paiement du reli quat de leurs droits. « J’ai 70 ans et les manifestants sont tous du troisième âge et sont malades. Ils n’ont pas d’argent pour se rendre à l’hôpital. (...) Nous réclamons nos droits depuis 15 ans. D’autres sont même morts à cause de ce problème, car faute d’argent ils n’ont pas pu se soigner. (...) Certains n’ont même pas leur pension vieillesse, parce que certaines sociétés ont fermé leurs portes sans avoir rempli les conditions fixées » par la sécurité sociale, expliquait l’un d’entre eux.
Fin mars 2010, cinq étudiants de l’université anglophone de Buea (sud-ouest) ont été arrêtés à leur tour lors d’une grève organisée pour protester contre la suspension des activités de leur organisation et réclamer de l’eau et des toilettes « opérationnelles » sur le campus. Ils ont été libérés après six jours de détention. Le même sort a été réservé le 1 er décembre 2010 à quinze responsables d’associations qui tentaient de manifester pacifiquement devant l’Assemblée nationale pour demander aux députés d’allouer au moins 15% du budget national à la Santé et de se conformer ainsi à la déclaration d’Abuja signée en 2001 par le Cameroun27. Quelques jours auparavant, le 11 novembre, sept syndicalistes de la Fonction publique avaient été interpellés et incarcérés pendant deux jours, avant d’être inculpés puis libérés: ils s’apprêtaient à organiser un petit rassemblement devant les services du Premier ministre, à qui ils voulaient remettre un document demandant l’amélioration de leurs salaires. Le3mai 2010, pourtant journée internationale de la liberté de la presse, la police a aussi chargé à Yaoundé un rassemblement pacifique de journalistes protestant contre la mort en prison d’un de leurs confrères et demandant la dépénalisation des délits de presse. En février 2011, lorsque des partis d’opposition – le Manidem, la branche de l’UPC présidée par Samuel Mack-Kit et le SDF – ont voulu tenir un meeting à Douala pour rendre hommage aux morts de février 2008 et demander le départ de Biya, les autorités ont de nouveau déployé en nombre les forces de sécurité sur les lieux du supposé rassemblement, dans le centre-ville de Douala. Ces dernières ont brutalement arrêté les leaders du mouvement, soit une dizaine de personnes, dix minutes après leur arrivée sur place. Elles les ont embarquées pour les relâcher en périphérie de Douala.
Le député du SDF pour le Wouri, Jean-Michel Nintcheu, a été brutalisé par des gendarmes. Les rares militants présents ont été dispersés à coups de matraque et de canons à eau. Les jours précédents, le gouvernement et le RDPC avaient énoncé de nombreuses mises en garde. « Ceux qui veulent accéder au pouvoir par effraction n’y parviendront pas », avait dit le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Issa Tchiroma Bakary, tandis que son collègue Jean-Baptiste Bokam, secrétaire d’État chargé de la gendarmerie, avait ordonné à ses hommes de « suivre à la trace les auteurs » des « appels à la sédition ». Un tract émanant de partisans du régime avait quant à lui prévenu que tous ceux ayant « des velléités de révolution » seraient « écrasés sans pitié ». Quelques mois plus tard, fin mai, 37 paysans et employés de l’Acdic ont été arrêtés à la veille d’une marche qu’ils avaient prévue à Yaoundé pour dénoncer la situation difficile du monde rural et réclamer une politique agricole. Ils ont été relâchés 24 heures plus tard. La marche, quant à elle, n’a pas pu avoir lieu : la police a empêché ses participants, rassemblés depuis la veille au siège de l’Acdic, de sortir de ces locaux. La répression est souvent meurtrière. En avril 2005, deux étudiants ont été tués à Buea (sud-ouest) par la police lors d’une grève universitaire nationale. En septembre 2007, deux jeunes qui participaient à une manifestation de protestation contre l’absence d’électricité dans leur localité sont également morts par balles à Abong Mbang (est), deux autres pour les mêmes raisons et dans les mêmes conditions à Kumba (sud-ouest) quelques semaines plus tard. En octobre 2007, deux jeunes conducteurs de moto-taxis ont été tués et une femme blessée par les forces de l’ordre à Bamenda (nord-ouest) devant un commissariat, alors qu’ils protestaient contre les tracasseries policières. Fin février 2008, les forces de sécurité ont immédiatement tiré à balles réelles sur les jeunes qui manifestaient contre la cherté de la vie et le projet de révision constitutionnelle de Biya visant à supprimer le nombre de mandats présidentiels.
Dès les toutes premières heures du mouvement, on comptait déjà des morts. Ce sont les unités d’élite qui font le plus de dégâts. Régulièrement constituées au sein de la police et de l’armée pour combattre le grand banditisme, elles sont mieux équipées et ont des pouvoirs plus étendus que les forces ordinaires. En février 2000, Biya a ainsi créé le « Commandement opérationnel » (CO) pour lutter contre le grand banditisme à Douala. Cette unité spéciale s’est cependant elle-même rendue coupable de nombreuses exactions, dont des exécutions extrajudiciaires. « De nombreux cas de torture, de blessures graves et d’assassinats sont signalés sur des victimes innocentes ou peut-être coupables, mais exécutées sans jugement... Beaucoup de familles n’ont pas retrouvé les corps de leurs enfants. Plus de 500 personnes exécutées, hommes et femmes confondus, jeunes filles et garçons », a écrit en juin 2000 le cardinal Christian Tumi, archevêque de Douala, dans une lettre adressée au gouverneur du Littoral. Cela n’a pas empêché que, le 23 janvier 2001, neuf jeunes hommes du quartier de Bépanda à Douala soient arrêtés, accusés d’avoir volé une bouteille de gaz, et disparaissent. Leurs corps n’ont jamais été retrouvés. En tout, on estime à 1500 le nombre de « disparitions » et d’exécutions extrajudiciaires dues au CO. Une autre unité d’élite s’est montrée aussi très brutale au cours des années 2000 : le Bataillon d’intervention rapide (BIR), créé en 199928 pour combattre le grand banditisme dans le nord et l’est du pays, et dont le domaine d’intervention s’est étendu à partir de 2009, puisqu’il a pris le relais de l’armée traditionnelle pour sécuriser la péninsule de Bakassi29. Particulièrement privilégié par la présidence dont il dépend directement, le BIR a à plusieurs reprises fait un usage disproportionné de la force et outrepassé ses missions. En 2009, un rapport de la Commission nationale des droits de l’homme, une structure officielle, a ainsi relevé que certains de ses membres s’étaient rendus coupables d’arrestation et de séquestrations arbitraires. En mars 2010, des conducteurs de moto-taxis de Kumba ont été victimes d’une quinzaine de militaires du BIR, qui les ont frappés avec des matraques.
En juin 2010, un capitaine et un lieutenant du BIR ont mené, dans le cadre d’une affaire privée, une opération de représailles sur le campus de Yaoundé II contre des étudiants. Ces derniers avaient la veille malencontreusement touché avec leur ballon de football une jeune fille qui traversait leur terrain de jeu : les deux militaires ont frappé les fautifs, les ont menacés avec leurs armes, les ont obligés à rester agenouillés pendant près d’une heure avec les mains sur la tête et à ramper dans la boue à plat ventre. Malgré leur gravité, aucune enquête n’est jamais lancée pour déterminer les circonstances et les responsabilités de ces « dérapages »: les forces de sécurité bénéficient d’une impunité quasi totale, qui rappelle celle des longues années de régime d’exception, dont elles ont gardé de nombreux réflexes. Après d’importantes pressions internationales, des poursuites ont certes été engagées contre huit membres du CO pour « assassinat, torture, corruption, violation des consignes » dans l’affaire des « neuf de Bépanda ». Mais seuls deux des huit militaires mis en cause ont été condamnés en juillet 2002, l’un à 16 mois de prison ferme et l’autre à 15 mois de prison avec sursis. Et ils ont été seulement reconnus coupables de « violation de consignes » et « complicité de violation de consignes ». En 2010, dans un rapport adressé à la Commission des droits de l’homme de l’ONU qui demandait des éclaircissements, le gouvernement camerounais a donné sa version officielle sur la disparition des neuf jeunes gens: « Pour le Cameroun, les neuf personnes disparues de Bépanda se sont évadées de leur cellule et ont trouvé refuge au Nigeria ». En mars 2010, seize soldats du BIR ont exceptionnellement été radiés pour des exactions commises sur des civils à Limbé. Selon un bilan officiel, ils avaient blessé 24 personnes, dont trois grièvement. Comme à l’époque d’Ahidjo, les autorités font aussi surveiller tous ceux qui pourraient troubler leurs plans.
La présence d’indicateurs des services de renseignements dans les salles de cours à l’université est courante. Les partis d’opposition, ONG, syndicats ou associations corporatistes, se disent pour beaucoup infiltrés. La suspicion est très répandue dans toutes les sphères de la société : on ne sait pas qui est qui et on ne parle pas de sujets politiques délicats au téléphone de crainte d’être écouté par les services de sécurité, devant des collègues de peur que l’un d’eux soit un agent des renseignements, tout comme on se méfie des chauffeurs de taxi, longtemps réputés être des relais de la police politique. Cette défiance ne relève pas du fantasme : en 2009, un enseignant a été arrêté à Yaoundé et emprisonné, accusé d’outrage au chef de l’État. Alors qu’il était à bord d’un taxi collectif, il avait fait part aux autres passagers de son agacement de voir une fois de plus les routes de Yaoundé bloquées à cause du passage du président Biya, de retour de voyage. Il avait été dénoncé par l’un des voyageurs, qui était visiblement un membre des services de sécurité. Après avoir passé plus d’un mois en détention provisoire, l’enseignant a finalement été libéré grâce au versement d’une caution, en attente de son jugement. Avant d’être contraint de partir en exil en 1995, le théologien et sociologue Jean-Marc Éla avait pour sa part été surveillé, suivi, harcelé au téléphone ; des visiteurs inconnus s’introduisaient à son domicile à des heures indues; son courrier était intercepté et ouvert et sa famille proche subissait des pressions.