Barthelemy Robaï, un nom qui ne vous dit peut-être rien, mais qui incarne une histoire riche et complexe au Cameroun. Dans une interview exclusive accordée au journal L’œil du Sahel, Barthelemy Robaï se livre et raconte son parcours, des rues de Yaoundé à la Garde Républicaine en passant par sa proximité avec le président Ahmadou Ahidjo.
« Une fois de plus, je suis honoré de répondre à vos questions. C’est pour la énième fois que je me livre à cet exercice dans les colonnes de L’œil du Sahel. Je suis né à Ngaoundéré, il y a 63 ans. Donc, le 17 novembre 2023, si Dieu le veut, je souffle sur ces 63 bougies. Je suis né à l’hôpital protestant de Ngaoundéré, d’un père qui était catéchiste. C’est lui qui assurait la fonction de guide des missionnaires norvégiens pour leur campagne d’évangélisation en pays Mboum. Il faut savoir qu’à l’époque, il n’y avait pas de route ; la Mission avait un hélicoptère. J’ai eu la chance de connaître l’Eelc avant de découvrir ses bâtiments parce que la maison de mon père était toujours inondée par ces missionnaires blancs. Mais mon père m’avait d’abord détaché chez un de ses aînés qui travaillait comme manœuvre à la station zootechnique de Wakwa, à 15 km de Ngaoundéré. Entre 1972 et 1973, je suis revenu auprès de mon père parce que la scolarité à Wakwa n’était pas très bien ; par deux fois, tout l’établissement échouait au Cepe ou à l’entrée en 6e. Je suis donc inscrit à l’école publique de Mabanga, où j’ai eu de bons enseignants. Et en 1973, les premiers bulldozers arrivaient à Ngaoundéré, pour déblayer l’emplacement de la gare ferroviaire. Entre 1974 et 1975, j’ai donc pu décrocher mon Cepe et mon entrée en 6e. Je suis entré au lycée de Ngaoundéré, au temps de M. Aurélien Lucien, le proviseur qui était un coopérant français. Quand j’entre au lycée, on ouvre la classe de 1ère. Personnellement, c’était difficile parce que sur la quinzaine d’enfants que mon père avait, j’étais le seul à flirter avec l’enseignement secondaire. C’était difficile d’allier les activités domestiques et l’école. Et à l’époque, j’avais été condamné à redoubler la classe de 5e, le proviseur estimant que j’étais très jeune. Mon père m’inscrit au collège protestant de Ngaoundéré, en 1977. Pauvre qu’il était, avec plus de 15 enfants, mon père n’a pas pu payer la pension. Je suis donc exclu au 3e trimestre et je me suis retrouvé dans la rue. J’ai appris à affronter la vie très tôt ; à 17 et 18 ans, je me débrouillais déjà à subvenir à mes besoins. La gare voyageurs m’a récupéré, j’étais quand même un docker. C’est avec l’argent que j’y gagnais que j’ai pu constituer le dossier d’entrée dans la gendarmerie », s’est présenté Barthelemy Robaï.
Sur la question de savoir comment Barthelemy Robaï a quitté la rue pour la gendarmerie, il a été plus explicite.
« Je passe le concours de la gendarmerie en 1980. En 1981, on m’enrôle. Et quand j’ai fini l’école de gendarmerie, je suis déployé à la Garde républicaine. Il est à préciser qu’à l’époque, il y avait sept légions et celle qui tenait lieu de 8e, c’était la Garde républicaine. Je m’y retrouve donc, dans l’un de ses trois pelotons d’honneur, plus proche du président Ahidjo. J’étais donc parmi les éléments qui assuraient la sécurité du président de la République.
Que vivez-vous dans ce peloton d’honneur proche du président Ahmadou Ahidjo ? Etre proche du président Ahidjo ne veut pas dire qu’on s’asseyait à la même table que lui pour discuter de certaines affaires de la République. Mais, au moins, j’étais parmi ceux qui étaient plus proches du roi, qui regardaient le roi et ses invités. En tant que gendarmes de la Garde républicaine, on pouvait également être pris avec beaucoup d’égards de la part des visiteurs du roi. De fait, en février 1982, je suis dans l’ancien palais présidentiel qui est actuellement le Musée national. Cette année, les choses sont allées très vite. C’est dès 1982 que nous avons compris que le vieux préparait son départ du pouvoir. Et ça nous rappelle que tous les soirs, avant qu’il n’intègre le palais de l’Unité à Etoudi, il y allait tout le temps superviser les travaux. Nous y allions avec lui chaque soir avec sa Citroën. Quand vous regardez l’esplanade du palais de l’Unité, il y a de petits pavés qui l’ornent. C’était une œuvre des ouvriers italiens. Et quand le président Ahidjo arrivait, il causait avec ces ouvriers et nous étions tout autour de lui. Et avant même que les travaux ne s’achèvent, il n’y avait pas de gazon, aucun arbre planté, le palais était dénudé et le président a décidé de l’intégrer. Il n’y a vécu que pendant trois mois et a démissionné. Je suis témoin du jour de l’annonce de sa démission », a expliqué Barthelemy Robaï au journal l’œil du Sahel.
Que s’est-il justement passé ce fameux jour de démission du pouvoir du président Ahmadou Ahidjo ? Quelle était l’ambiance au palais de l’Unité ?
« Un jour avant, le mercredi 03 novembre 1982 précisément, le président Ahidjo revient de France. Quand il atterrit à l’ancien aéroport, celui de Nsimalen n’existant pas encore, nous remarquons qu’il descend de l’avion les pas très lourds. Son pantalon trainait au sol. Sa gandoura, qui à ses moments de fierté était toujours relevée sur les épaules, pendait plutôt. Et on se disait : le vieux a mauvaise mine. Il est descendu de l’avion et j’ai l’impression qu’il ne s’était même pas assis sur le fauteuil du pavillon présidentiel de l’aéroport. Il a transité immédiatement dans la voiture et est rentré au palais de l’Unité. Le lendemain, 04 novembre 1982, j’ai eu l’honneur que c’est mon escadron qui était de garde au palais. Et dans l’après-midi, c’est mon peloton, le 1er, qui était commandé par un officier, un sous-lieutenant, qui était en poste. Donc à chaque fois qu’il y avait des cérémonies d’honneur à rendre aux ambassadeurs et autres, c’est le 1er peloton qui allait régulièrement. Nous étions donc une douzaine à avoir été convié au perron du palais de l’Unité. Quand les ministres que le président Ahidjo a convoqués d’urgence, arrivaient à pas alertes, c’est nous qui leur rendions les honneurs. Je me souviens avoir vu la ministre des Affaires sociales, Delphine Tsanga, le ministre des Sports, Félix Tonye Mbog, Ayissi Mvodo qui était à l’Administration territoriale, etc. Ils descendaient de leurs voitures pour arpenter le perron du palais, à pas très alertes. Maintenant, une quarantaine de minutes plus tard, ces ministres ressortent avec des visages crispés et affligés, têtes baissées. Chacun allait individuellement, pas de commentaires entre eux. Le visage qui m’a beaucoup frappé, c’était celui de la ministre Delphine Tsanga qui versait des larmes. Cette image nous renvoie à la journée d’avant, notamment la mine triste du président de la République. Nous rentrons à notre poste de garde étant aussi inquiets. On se demande ce qui est arrivé au président. Nous voyions toujours son bureau éclairé. Et puis, il y a eu ce retard de cinq minutes du journal de 20h. Brutalement, nous sommes toujours au palais, le président est dans son bureau en haut et nous sommes postés en bas, et l’information, c’est : « Camerounaises, Camerounais, j’ai décidé de démissionner de mes fonctions de président de la République ». La nouvelle est donc tombée, j’ai eu le privilège d’être au palais. Nous cherchions à connaître la relation directe entre les signaux que nous avions et la démission du président. On se demandait s’il était malade. Ensuite, ce 04 novembre, le président Ahidjo annonce que le 06 novembre 1982, le Premier ministre prend fonction comme président de la République. Mon escadron descend du palais de l’Unité immédiatement. En effet, nous avions généralement deux jours de repos quand on descend de la garde. Mais, cette-fois, on descend et on nous affecte directement au palais du Lac pour sécuriser le nouveau président de la République, Paul Biya », a répondu Barthelemy Robaï