Depuis son décès survenu le 30 novembre 1989 au Sénégal, le corps du premier président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo, n'a toujours pas été rapatrié dans son pays natal. Cette situation est due à une rupture passionnelle entre Ahidjo et son successeur, Paul Biya, ainsi qu'à des rancunes tenaces et des conflits de personnes irrémédiables.
Le 6 avril 1984, une mutinerie de la Garde républicaine a éclaté à Yaoundé, la capitale du Cameroun. Ahidjo, qui se trouvait en France à ce moment-là, a été accusé d'être derrière cette tentative de coup d'État. La mutinerie a échoué, les putschistes ont été arrêtés, jugés et condamnés, tandis qu'Ahidjo a été condamné à mort par contumace avant d'être gracié. Son nom a été honni dans l'espace public, le stade portant son nom a été débaptisé et ses partisans se sont exilés.
Depuis l'annonce de la mort d'Ahidjo, les autorités camerounaises et sa famille se renvoient la responsabilité du statu quo concernant le rapatriement de sa dépouille. Le président camerounais, Paul Biya, a toujours clamé que la décision revenait à la famille, mais a exclu un hommage national et les honneurs militaires lors des obsèques. La veuve d'Ahidjo, Germaine, est restée inflexible jusqu'à son décès survenu le 20 avril 2021, exigeant un retour avec un accueil digne d'un ancien chef d'État.
Bien que certains blocages d'ordre administratif et judiciaire aient été levés par la loi d'amnistie du 16 décembre 1991, l'amnistie n'est pas l'oubli. Le texte est difficile à appliquer en raison de problèmes de reclassement des anciens putschistes désireux de réintégrer l'armée, de complications liées à la succession des mutins exécutés et de difficultés relatives à la restitution des biens saisis. Tout cela a contribué à une atmosphère générale peu propice à la réconciliation.
La famille d'Ahidjo est divisée sur la question du rapatriement de sa dépouille. Certains membres de la famille se sont rapprochés du pouvoir de Yaoundé, comme Mohamadou Badjika Ahidjo, qui a reçu le titre et les avantages d'ambassadeur itinérant à la présidence, et Aminatou Ahidjo, qui a été nommée présidente du conseil d'administration du Palais des congrès de Yaoundé en 2013.
Le pouvoir de Yaoundé ne souhaite pas réhabiliter Ahidjo dans la mémoire collective, car il croit que cela pourrait encourager une culture du coup d'État au Cameroun. Paul Biya tient toujours Ahidjo pour instigateur de la tentative de coup d'État de 1984 et de l'assassinat qui le visait. Ahidjo n'a jamais plaidé son innocence devant la justice ni écrit à son successeur pour l'assurer de son innocence. Ainsi, la rancœur et l'orgueil de Biya, qui est au pouvoir depuis 42 ans, s'opposent à la condescendance d'Ahidjo, décédé depuis 34 ans.