L'opposant de Paul Biya a quitté ce monde dans la nuit du 12 au 13 juin. Portrait d'un combattant infatigable, rappelle Jeune Afrique qui a consacré un dossier sur lui notamment son combat pour renverser Paul Biya
Tout aurait pu basculer en 1991. À cette époque, un vent de démocratie souffle sur le continent africain, menaçant de renverser les pouvoirs qui, jusqu'alors, n'avaient guère été ouverts à la contestation politique en Afrique francophone. Au Cameroun, une coalition se forme autour de Mboua Massock et de John Fru Ndi, entre autres, pour remettre en question l'hégémonie de Paul Biya, qui est au pouvoir depuis déjà neuf ans, note Jeune Afrique
Cette alliance lance une opération appelée "villes mortes", qui paralyse rapidement au moins cinq régions du pays. L'opposition affirme même que Paul Biya, qui refuse d'organiser une conférence nationale souveraine, ne pourra plus mettre les pieds à Douala, cité réputée imprenable pour les résistants. John Fru Ndi proclame qu'il veut "rendre le pouvoir au peuple" et adopte le slogan "Le pouvoir au peuple".
John Fru Ndi, décédé dans la nuit du 12 au 13 juin, devient l'un des ennemis publics du chef de l'État, l'un des combattants "pour l'avènement de la démocratie", selon les mots de Cabral Libii. "Le multipartisme, que nous considérons aujourd'hui comme une évidence, porte l'empreinte indélébile du 'chairman' [son surnom]. Il a brisé les codes et la rigidité du parti unique", a écrit l'opposant après l'annonce de sa disparition.
"L'histoire du retour au multipartisme au Cameroun ne peut être écrite sans mentionner son nom en lettres d'or", a également témoigné Akere Muna depuis Dakar, au Sénégal, où il a appris la nouvelle du décès. Il retient du défunt opposant "un leadership consistant à servir et non à être servi". "Il est peut-être parti, mais son parcours reste immortalisé pour l'éternité", a ajouté l'avocat et homme politique. Mais quel est donc le parcours de ce libraire devenu symbole de la lutte pour l'alternance démocratique au Cameroun , se demande Jeune Afrique.
John Fru Ndi, fils de Joseph Ndi et de Suzanna Angoh, est né le 7 juillet 1941 à Baba II, dans le département de la Mezam, au Nord-Ouest, l'une des deux régions en proie à un violent conflit meurtrier depuis 2016. Après des études primaires à la Basel Mission School de Baforchu, puis à la Native Authority School de Santa entre 1952 et 1957, il décide de poursuivre son enseignement à Lagos, au Nigeria, en 1960, où il obtient son General Certificate of Education (GCE) en 1964.Il travaille ensuite pendant deux ans dans une entreprise nigériane, avant de rentrer au Cameroun en 1966. Discret, il ne se lance pas immédiatement dans la politique. Après avoir suivi une formation de libraire à Londres en 1970, il développe progressivement ses activités à Mamfé, Yaoundé et Garoua. Alors qu'il perd son épouse, décédée en couches, en 1972, et qu'il se remarie six ans plus tard, il devient une figure de proue dans la région du Nord-Ouest, où il dirige un club de football et, brièvement, la branche du Lions Club de Bamenda ; rappelle le Magazine panafricain.
« Le 11 octobre 1992, se déroule la toute première élection présidentielle uninominale majoritaire de l’histoire du pays. Mais, alors que les Camerounais se sont rendus aux urnes, les résultats tardent à être publiés. La coalition de l’opposition, déjà surprise par une élection anticipée et un scrutin à un tour, dénonce des fraudes. Le 20 octobre, John Fru Ndi proclame sa victoire. Mais, trois jours plus tard, la Cour suprême entérine la réélection de Paul Biya avec 39,9% des voix contre 35,9% pour son adversaire du SDF – Bello Bouba Maïgari, de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès totalise 19,22%.Des émeutes éclatent immédiatement dans les bastions de l’opposition pour dénoncer un « scrutin hautement défaillant », selon les termes du département d’État américain. Paul Biya déploie alors un impressionnant dispositif militaire et les manifestations sont réprimées dans le sang. John Fru Ndi a tutoyé la victoire, que certains de ses partisans ont même fêté prématurément. Mais le réveil est brutal. Le « chairman » devient l’ennemi public numéro un et est placé en résidence surveillée », lit-on dans JA