Amnesty International dénonce les graves irrégularités qui entachent la procédure intentée contre le correspondant de RFI, qui doit répondre de « complicité d’actes de terrorisme ». S’il est condamné, il risque la peine de mort. Il était là, en ce jour de juin 2015, dans l’un des couloirs de ce grand hôtel de Maroua où nous organisions un atelier de formation à la documentation et au suivi des violations des droits humains.
Ahmed Abba, le correspondant en haoussa de Radio France internationale (RFI), vêtu d’une chemise bleue, enregistreur et micro en bandoulière, était curieux et impatient d’en savoir plus sur la formation à laquelle il souhaitait prendre part. Il rappelait l’importance de la question des droits humains dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun et son souhait de contribuer à lutter contre leurs violations.
Au moment où il s’exprimait ainsi, Ahmed Abba n’aurait jamais pu imaginer ce qui allait lui arriver quelques semaines plus tard. Il a d’abord été arrêté par la police le 30 juillet 2015 alors qu’il venait d’assister à une conférence de presse. Il a ensuite été maintenu en détention secrète pendant trois mois, sans accès ni à sa famille ni à son avocat, et a été torturé. Le tribunal militaire de Yaoundé l’a enfin accusé de « non-dénonciation d’actes de terrorisme » et de « complicité d’actes de terrorisme ». Alors que son procès reprend demain, mercredi 19 octobre, il risque la peine de mort s’il est condamné.
Loi d’exception
Malheureusement, au Cameroun, des histoires similaires à celles d’Ahmed Abba sont devenues monnaie courante depuis que les autorités ont déclenché la riposte des forces de sécurité contre le groupe armé Boko Haram.
Le caractère trop souvent arbitraire de cette riposte a favorisé les violations des droits humains, et Ahmed en est une victime. Lorsqu’il avait été demandé aux autorités camerounaises de s’expliquer sur la détention au secret d’Ahmed, elles avaient publiquement déclaré agir au nom de la sécurité nationale, et en conformité avec la loi antiterroriste du pays, et avaient indiqué qu’il serait remis à la justice après son interrogatoire.
La loi antiterroriste a été adoptée en décembre 2014 pour faire face à la menace grandissante de Boko Haram, dont les membres ont, au cours des deux dernières années, commis des atrocités en tuant sans distinction, en détruisant des biens civils, en procédant à des enlèvements et en utilisant des enfants pour commettre des attentats-suicides. Cette mesure contre Boko Haram, tout comme d’autres, telles que le déploiement des forces de sécurité, a été favorablement accueillie par une grande partie de la population.
Mais, depuis un certain temps, sur le terrain, les imprécisions de cette loi et les excès qu’elle favorise ont contribué au développement d’un climat de suspicion et de peur dans lequel les droits sont violés et les libertés, bafouées. Les forces de sécurité, sous le couvert de cette loi, ont souvent brutalement répondu aux raids de Boko Haram en attaquant des villages, en détruisant des maisons, en tuant des civils et en arrêtant des centaines de personnes le plus souvent sans aucune preuve qu’elles auraient commis un crime.
La loi antiterroriste, qui contient une définition très vague du terrorisme, peut aisément être utilisée pour étouffer la dissidence. Cette loi donne compétence aux tribunaux militaires pour tous les cas de terrorisme. De nouveaux pouvoirs qui permettent aux autorités de détenir des personnes au secret sans inculpation, et pour une durée de quinze jours, renouvelable indéfiniment. La plupart des suspects jugés devant des tribunaux militaires qui ont été condamnés à mort l’ont été sur la base de preuves bien minces, même si aucun à ce jour n’a été exécuté.
Aujourd’hui, sous cette loi, des centaines de personnes, la plupart en attente de jugement, sont détenues dans des conditions atroces. Certaines ont été torturées à mort dans des centres de détention non officiels, et d’autres ont tout simplement disparu. Résultat : de nombreuses communautés craignent désormais les forces de sécurité qui sont pourtant censées les protéger.
Sourire et espoir
En février, Amnesty International a rendu visite à Ahmed Abba à la Prison principale de Yaoundé, où il est actuellement détenu. La différence dans son apparence était frappante. Il avait perdu plus de 10 kg et était très fatigué. Mais il avait gardé son sourire et l’espoir dans le système judiciaire camerounais.
Ahmed Abba était convaincu que le tribunal militaire devant lequel il devait comparaître pour la première fois, le 29 février, reconnaîtrait son innocence et abandonnerait toutes les accusations portées contre lui, d’autant qu’il avait plaidé « non coupable ».
La réalité est que son procès est entaché de graves irrégularités et a connu de nombreux renvois qui ont accentué la douleur de la détention, et donnent l’impression d’une justice hors d’atteinte. Les témoins à charge promis par l’accusation depuis le début du procès n’ont jamais été présentés à la barre et aucune enquête concernant les allégations de torture n’a été ouverte.
Demain, 19 octobre, Ahmed Abba comparaîtra une fois de plus devant le tribunal militaire de Yaoundé, qui doit se prononcer sur la demande d’acquittement de ses avocats. Ce tribunal lui donne peu de garanties de bénéficier d’un procès équitable. Le président Paul Biya avait promis au monde entier que la lutte contre Boko Haram serait menée en conformité avec les obligations internationales du pays. Le Cameroun a l’opportunité de montrer que cela n’est pas un vœu pieux.
Demain sera un jour nouveau pour Ahmed Abba. Ce jour ne devrait pas tuer l’espoir, mais promouvoir les droits humains dans un Cameroun résolu à protéger sa population.